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DEBAT INTERNE A LA FRACTION

Comme le rappelle l'introduction de ce bulletin, et comme nous l'avions mentionné dans le précédent, un désaccord a surgi au sein de la fraction sur l'orientation de son travail. A vrai dire, nous avons déjà mené ce débat avec différents camarades n'appartenant pas à notre fraction (cf. nos différents bulletins). Ce débat ne surprendra pas nos lecteurs : il a trait à ce que nous avons appelé la "méthode-fraction", et en particulier sur notre revendication et notre défense du CCI et de ses positions contre la dérive opportuniste qu'il subit aujourd'hui. Nous publions ici la résolution que nous avons adoptée en mai 2002 et qui définit notre orientation. A sa suite, nous commençons la publication d'un texte de la camarade Sarah que nous reproduirons en trois fois à cause de sa longueur.

Depuis, et d'un commun accord, la camarade Sarah ne participe plus au travail de la fraction. Malgré l'apport important que la camarade a apporté à notre combat au sein du CCI tant dans la constitution du Collectif de travail que dans la constitution de la fraction, sa démarche et l'orientation de son travail immédiat ne s'inscrivent plus, voire s'opposent, aux orientations immédiates présentes dans la résolution qui suit.

Néanmoins, nous sommes sûrs que nous nous retrouverons dans les combats à venir et nous ne désespérons pas de la convaincre de la validité de notre démarche. Pour l'heure, nous maintenons des relations fraternelles et n'hésiterons pas à inviter la camarade à participer à tout débat et toute collaboration politiques. Comme tant de militants, nous la considérons comme faisant partie du camp prolétarien.


Résolution adoptée par la fraction sur son travail
LE TRAVAIL POLITIQUE ET THEORIQUE DE LA FRACTION DU CCI

1/ La fraction est la continuité du CCI ce qui veut dire qu'elle défend l'ensemble des positions politiques de sa plate-forme et tous ses acquis politiques et organisationnels jusqu'au début 2001 qui sont aujourd'hui remis en cause et abandonnés - en particulier au plan organisationnel et au plan théorique avec la chute dans l'idéalisme spéculatif. La défense des acquis du CCI ne veut pas dire qu'ils ne faille pas revoir de manière critique de nombreux aspects politiques, théoriques et surtout organisationnels qui ont pu entraîner la dérive et la crise qu'il rencontre aujourd'hui. Mais la fraction doit le faire avec méthode et rigueur. C'est-à-dire qu'elle doit s'appuyer sur les acquis théoriques, politiques et organisationnels du CCI pour développer son bilan critique, y compris si cette "méthode de fraction" peut éventuellement l'amener à remettre en cause in fine certains de ces acquis. Dans ce sens, elle n'est pas "libre de tout remettre en cause" et rejette toute méthode "critique-critique" propre à la petite-bourgeoisie qui croit que l'histoire commence avec elle-même.

2/ Comme la fraction italienne, elle se considère comme une partie du CCI : aussi, si elle avait pu continuer à l'intérieur, son travail elle l'aurait fait. C'est contre sa volonté qu'elle se trouve à l'extérieur du CCI et ses militants exclus. C'est ce que disait la fraction italienne encore en 1935 (cf. le texte de la fraction sur les fractions publiés dans son bulletin n°9 en réponse à l'article du CCI dans la Revue internationale n°108). C'est dans ce sens qu'elle continue à demander la réintégration de ses militants dans le CCI et sa reconnaissance comme minorité organisée en son sein.

3/ Aujourd'hui (mai 2002) la fraction ne rejette rien de ce qui a constitué et développé le CCI. Dans un premier temps, elle devra examiner les aspects organisationnels, c'est-à-dire faire le bilan du CCI actuel et de sa crise organisationnelle et en tirer les leçons. Elle étudiera par quel processus et à quels moments les premiers germes de la crise se sont manifestés et développés, ainsi que sa ou ses causes. Telle est sa première responsabilité et son objectif prioritaire.

Elle devra aussi examiner tous les aspects théoriques développés par le CCI, notamment depuis l'effondrement des pays de l'Est, au moyen de la méthode définie au point 1. En lien avec ce qui précède, et en tant que partie du CCI et du MPP plus largement, elle se doit également de suivre et d'analyser l'évolution de la situation internationale et du rapport de forces entre les classes. C'est dans ce cadre qu'elle examinera, y compris de manière critique, les questions théoriques sur la base des méthodes et des outils d'analyse que le CCI avait lui-même repris et élaboré à partir de ceux légués par le mouvement ouvrier.

Toute autre vision et méthode l'entraînerait à rompre avec le CCI et l'obligerait soit à créer un autre groupe politique sur une autre plate-forme politique, soit à rentrer de manière prématurée dans une autre organisation existante du MPP.

4/ C'est pourquoi elle réaffirme que la tâche de l'heure est de:

poursuivre sa tâche consistant à tirer les enseignements de la crise du CCI ;

participer à la compréhension de la situation que développe le milieu révolutionnaire, pousser à la réflexion en son sein en n'écartant pas la possibilité d'intervenir à ses côtés selon les circonstances et les possibilités .

5/ Ce travail passe par un travail rigoureux et systématique mais régulier, c'est à dire par :

des réunions régulières et hebdomadaires de la fraction ;

un renforcement de liens plus étroits entre les composantes mexicaine et française de la fraction, en visant à l'homogénéisation de celle-ci autour de ses objectifs ;

la publication de bulletins réguliers que nous avons décidé d'ouvrir au milieu politique au sens large et qui doivent devenir un instrument de débat au sein du MPP ;

une ouverture de la fraction en direction du MPP et d'éléments proches en vue de les associer à notre travail (bilan du CCI, enseignements pour l'ensemble du MPP, situation internationale).

6/ La réflexion théorique et politique ne part pas du néant mais du passé politique de ses militants au sein du CCI et de celui de la classe ouvrière. Elle est liée et dépendante de son passé. C'est pourquoi il n'existe qu'une seule méthode celle qui consiste à se rattacher à l'organisation d'où l'on vient avec l'ensemble de ses positions politiques car nous savons que ses glissements actuels proviennent d'un abandon de ses principes originels.

La fraction et ses militants peuvent se tromper en développant ses positions politiques; ils peuvent aussi être amenés à remettre beaucoup de choses en cause. Mais s'ils veulent aller le plus loin possible, il n'existe pas d'autre méthode pour mener à son terme le travail entamé. Sans méthode commune et collectivement assumée, ils se condamneraient à faire fausse route avec une mauvaise méthode ou à avancer de manière dispersée chacun pouvant remettre en cause tel ou tel aspect du CCI : c'est la méthode du modernisme (en redécouvrant tout) ou du parasitisme politique (un anti-CCI de principe et sur tous les sujets) contre laquelle le CCI a mené le combat et dont la fraction se revendique, et qui conduit à prôner de grandes révisions générales mais à l'encontre des besoins de la classe ouvrière et de ses minorités.

7/ C'est le cadre et la méthode marxiste, prolétarienne, particulièrement développée et défendue par la fraction italienne de la Gauche communiste dans les années 1930 (Bilan), qui fonde le travail de la fraction du CCI et qui définit la participation comme membre de nouveaux militants en sein. Cette définition précise et stricte de l'appartenance comme membre de la fraction n'est pas contradictoire avec l'ouverture de la fraction envers tout groupe et éléments pour la discussion, le débat, et la participation et la collaboration active à des réflexions et des activités pratiques communes. Elle en est même la condition pour que cette ouverture soit la plus efficace et la plus claire possible.

8/ Comme l'affirmait le CCI et qui est remis en cause aujourd'hui en son sein – en particulier avec la tendance croissante à l'interprétation "clanique" ou psychologique de toute divergence politique -, tout désaccord politique au sein d'une organisation communiste ne doit pas être considéré comme un drame mais peut aboutir à un renforcement politique et théorique in fine si la discussion peut se développer. La fraction, fidèle à l'expérience et aux acquis de la Gauche communiste et du CCI, réaffirme à son tour que toute organisation révolutionnaire doit être capable de travailler avec des désaccords à partir du moment où/et à la condition qu'ils soient identifiés, qu'ils soient assumés et qu'ils soient mis dans un cadre adéquat permettant de mener la discussion tout en continuant à travailler et à avancer en direction des objectifs fixés. C'est justement une des leçons et une des faiblesses du CCI dans la période de 1996 à 2001 qui a vu le Courant être incapable de poser ouvertement, de débattre franchement et de clarifier les désaccords politiques qui apparaissaient chaque fois plus, contre la volonté de certains des militants en désaccord de défendre dans le cadre formel de l'organisation leur point de vue. La fraction doit tirer les leçons de cet échec et reprendre la compréhension et la méthode de la Gauche communiste –dont l'exemple le plus illustre est l'attitude de Bilan avec sa minorité lors de la guerre d'Espagne – et du CCI jusqu'alors : pour pouvoir être "discutables" et être facteur de clarification politique, les désaccords politiques doivent se situer dans un cadre politique commun identifié et défini. Ce n'est qu'à cette condition qu'ils peuvent être débattus jusqu'au bout et qu'ils peuvent être clarifiés et dépassés.

La Fraction Le 16/05/02


Prise de position de la camarade Sarah

REFLEXIONS SUR «LES TÂCHES ET LA METHODE DE LA FRACTION»

"Certes, il reste encore à établir quelles sont les causes «extérieures» (c'est à dire liées aux conditions historiques actuelles et à la manière dont le CCI a été ou non à la hauteur de celles-ci du point de vue de ses tâches dans notre classe) qui ont contribué à ce que s'engage un tel processus destructeur en son sein. Mais on n'a plus aujourd'hui le droit de nier que ce processus s'est engagé et qu'il est en train d'arriver aujourd'hui à son terme, c'est à dire au point où tout espoir de retour en arrière est réduit à néant, au point où ce n'est plus l'organisme formel qu'on peut encore espérer raisonnablement sauver, mais seulement ses principes, ses acquis, son histoire et le plus possible de ses forces militantes". (bulletin de la fraction, n°8)

«b Même si les faits relatés ne sont pas la racine politique de fond, la cause historique, de la crise du CCI, il n'en reste pas moins qu'ils montrent concrètement comment un processus de destruction ou d'implosion d'une organisation révolutionnaire peut se produire» (projet d'introduction à l'Historique du SI)

La fraction ainsi comprise, c'est l'instrument nécessaire pour l'éclaircissement politique qui doit définir la solution de la crise communiste”. (Bulletin d'information n°3, novembre 1931, cité dans notre article du BF n°9 sur «les groupements, tendances et fractions»)

I. Quel est le but de la «fraction interne du CCI»?

Dans ses notes, préparées pour la rencontre avec notre délégation, P. écrivait : «L'essentiel est de se fixer comme objectif de sauver ce qui peut l'être du désastre actuel». Ceci constitue une assez bonne définition, si on l'entend au sens le plus large, tel qu'on le retrouve dans la formulation du bulletin n°8 : «ce n'est plus l'organisme formel qu'on peut encore espérer raisonnablement sauver, mais seulement ses principes, ses acquis, son histoire et le plus possible de ses forces militantes.». Mais cette dernière formulation à son tour mérite d'être précisée :

La fraction n'entend pas «défendre le CCI» en soi, simplement pour qu'il ne soit pas dit que l'organisme dans lequel nous avons milité depuis tant d'années a fait faillite. La faillite du CCI est de fait avérée, et si notre fraction se doit sauver «ce qui peut l'être», ce ne peut pas être au nom de «l'honneur du CCI» ou de celui des militants du CCI que nous sommes, mais uniquement parce qu'il s'agit de défendre les intérêts généraux du prolétariat. L'histoire du CCI, de sa gloire comme de sa chute, de ses apports comme de ses erreurs, appartiennent au prolétariat et il s'agit de faire en sorte que les enseignements de cette expérience soient tirés et constituent autant d'armes pour les combats présents et à venir.

Lorsque nous entendons sauver «les principes, les acquis, l'histoire et le plus possible des forces militantes du CCI», nous considérons simplement que, si nous sommes d'abord des communistes, des militants de la classe ouvrière, nous avons une responsabilité particulière, comme fraction du CCI, qui est de défendre ce que le CCI a apporté au combat communiste, car personne d'autre que nous ne le fera. Issu d'une des ailes de la Gauche Communiste, la GCF, le CCI a représenté, dans ses principes programmatiques, dans la conception qu'il avait de son propre rôle et de ses tâches lorsqu'il s'est fondé au lendemain de 68, une continuité avec le courant de la GCF dont il entendait faire vivre les apports. C'est dans ce sens que nous luttons pour sauver les «principes» du CCI, c'est à dire ses principes et positions programmatiques (plate-forme) ainsi qu'un certain nombre de conceptions de base concernant la vie de l'organisation qui sont formalisés dans ses statuts. Comme fraction du CCI, nous nous réclamons, tant de cette filiation du CCI que de ces principes programmatiques et organisationnels.

Notre but est aussi de «sauver le plus possible de forces militantes», cette tâche est évidemment essentielle, tant le désastre actuel menace de voir se disperser dans le découragement et le renoncement au combat de précieuses et trop rares énergies militantes.

II. Quel est le point dont nous partons pour atteindre ce but ?

Ce point de départ de la fraction, c'est, comme nous l'avons formulé, l'existence d'une «crise communiste». Notre point de départ n'est donc pas autre chose que la critique de la pratique réelle de l'organisation dont nous sommes issus, pratique réelle qui révèle la gravité de sa dérive, et ce sur trois plans :

Sur le plan organisationnel, qui constitue la forme la plus immédiatement sensible de la crise et son expression la plus violente, avec une politique de destruction des moyens mêmes de la discussion interne d'abord, de réponses disciplinaires ensuite, d'exclusion enfin.

Sur le plan théorique, avec la plongée dans l'idéalisme spéculatif

Sur le plan politique général, avec le constat tragique du renoncement de notre organisation à assumer, face à l'actuelle accélération de la situation, sa tâche d'avant-garde prolétarienne, que ce soit face au 11 septembre et à la guerre, puis face aux événements d'Argentine.

Ce sont ces trois constats de faillite, de renoncement, d'abandon qui ont déterminé la naissance de notre fraction en octobre 2001. Si les formes organisationnelles de la crise, en interdisant la clarification via les moyens organisationnels normaux, (avec l'empêchement du débat et la politique de discrédit et de calomnies contre ses propres membres) nous a contraint de fait au «fractionnisme», notre détermination à fonder la fraction a pris tout autant racine dans le constat de gravité des autres aspects (théorique et politique) de la dérive du CCI.

Réponse «forcée» à la crise, notre fraction ne pouvait avoir, dès sa naissance et sur chacun de ces plans, une réponse globale achevée. Tout au plus, pouvait-elle constater que, sur chacun d'eux, se révélaient un véritable abandon –moins de telle ou telle position particulière du CCI- que des principes communistes les plus élémentaires et les plus partagés par tout le mouvement communiste : rejet de tout rapports de violence au sein d'une organisation prolétarienne, rigoureuse application de la méthode marxiste, politique intransigeante de lutte contre la guerre impérialiste et toutes les formes d'union sacrée, solidarité sans faille avec les luttes prolétariennes de part le monde...

III . Nous n'atteindrons notre but, «sauver ce qui peut l'être» du CCI, qu'à l'expresse condition d'engager un travail de retour critique sur l'histoire politique du CCI , notre propre histoire.

Les principes du CCI ne sont autres que ses bases programmatiques (plate-forme, statuts et la conception fondamentale de l'organisation qu'ils expriment), comme fraction du CCI nous nous réclamons clairement de ce corpus programmatique et principiel. Quant à ses «acquis», ce sont les leçons et avancées qu'il a faites au cours des combats importants qu'il a du mener, mais on ne saurait, par exemple, mettre dans ce mot une défense inconditionnelle de TOUT ce qu'a dit et fait le CCI au cours de son histoire et en faisant de cela un «principe» abstrait.

Si nous faisions cela, nous nous interdirions tout simplement d'établir les «causes liées aux conditions historiques actuelles et à la manière dont le CCI a été ou non à la hauteur de celles-ci du point de vue de ses tâches dans notre classe», ce que J. appelle dans son introduction à l'historique du SI «la racine politique de fond, la cause historique, de la crise du CCI». Or il nous appartient bel et bien de réexaminer, - avec prudence certes, avec méthode bien sûr, mais résolument et sans ostracisme «à priori», où, quand, comment et pourquoi il n'a effectivement pas été à la hauteur de l'évolution des conditions qui l'entouraient, n'a pas su s'en rendre compte et ce faisant, s'est éloigné toujours plus de ce pourquoi (et pour quoi) il existait, pour finir par n'exister pratiquement que pour lui même.

La tâche de la fraction, cet «instrument nécessaire pour l'éclaircissement politique qui doit définir la solution de la crise communiste», est de comprendre, sans ostracisme et en allant jusqu'au bout, ce qui est arrivé au CCI en étant prêt à reprendre et à comprendre toute son histoire. Seule manière de se réapproprier cette histoire, réellement et pratiquement, et non pas comme une profession de foi. Seule manière, réellement et pratiquement, de «sauver» cette histoire.

VI Pour l'essentiel, notre fraction n'a pas déjà des réponses, elle a surtout des questions . Elle a donc devant elle une tâche immense sur le plan du travail théorique, sur le plan du travail critique.

Sur ce plan, sa tâche ne consiste pas seulement –même si elle doit aussi le faire - à rechercher dans l'histoire du mouvement ouvrier des arguments «contre» (en l'occurrence contre la politique «liquidationniste» actuelle du CCI) et confirmant ses convictions et certitudes actuelles. Il lui faut surtout se poser sérieusement un ensemble de questions dont les réponses ne sont justement pas «données d'avance», mais restent à établir et ne pourront se faire qu'à la condition de mener un travail d'élaboration théorique critique. Nous ne pouvons prétendre représenter la «continuité» d'un organisme qui a fait faillite que si nous nous attelons à comprendre les causes de cette faillite, sinon notre «continuité» ne sera pas plus que le «reflet» impuissant de cette faillite, ou – pour être encore plus féroce- «le fruit pourri d'un arbre malade», selon la crainte exprimée par M..

Parler de nécessaire «travail théorique critique» ne veut absolument pas dire que tout organisme prolétarien (organisation, parti, groupe, fraction) devrait en permanence revenir et mettre en cause «en soi» tout ce qu'il a pu dire auparavant, comme si l'élaboration de son corpus théorique devait à chaque instant repartir de zero ! Evidemment non, sinon il s'interdirait à jamais d'agir.

Par contre quand la réalité (et non pas notre «libre arbitre») met elle-même en cause le résultat sensible des orientations, analyses et politiques de l'organisme en question, alors, oui, certainement, il faut mettre en question, «questionner» ses orientations théoriques comme sa pratique passés, et C'EST PRIORITAIRE.

Dans une telle situation, un organisme prolétarien sain se doit de le faire [1] . A fortiori une fraction dont c'est par excellence la tâche puisque, réponse à une crise communiste, à un constat de faillite, il lui appartient d'en comprendre les causes, sans quoi elle ne serait porteuse d'aucune «solution» à cette crise et à cette faillite.

V . Est-ce la forme organisationnelle, le «bon fonctionnement» qui détermine la justesse d'une ligne politique ou bien l'inverse ?

Dans ses «notes», P. pose la question suivante «Pourquoi le CCI a-t-il refusé de voir le lien entre sa crise organisationnelle et ses orientations politiques ? », et il nous conjure de «ne pas faire la même erreur en expliquant la dérive du CCI par les seules conceptions organisationnelles». C'est à dire que, plus précisément, il ne nous conjure pas seulement de ne pas perdre vue «les liens entre la question organisationnelle et les autres», il nous indique dans quel sens doit être, à son point de vue, considéré ce «lien», à savoir que ce n'est pas du «tout est dans tout» ! Il dit, à juste titre, que c'est dans les problèmes politiques généraux qu'on doit chercher les causes des problèmes organisationnels et non pas l'inverse : expliquer l'inadéquation de la politique du CCI dans la situation (telle qu'elle nous apparaît aujourd'hui de manière visible et criante) par une dérive organisationnelle l'ayant précédée.

Ici apparaît probablement une des questions essentielles que notre fraction ne pourra plus longtemps éviter de se poser.

Nous devrions notamment prendre garde à ce que, derrière les insistances sur «la méthode», il n'y ait pas une tendance à considérer «à priori» que, si distorsion il y a sur le plan de la politique générale de l'organisation (par exemple dans ses prises de position sur et depuis le 11 septembre) cela ne peut être qu'une conséquence de sa dérive organisationnelle : redressons les distorsions organisationnelles et le CCI aura une ligne politique juste dans la situation.

Même en supposant que disparaissent par enchantement les distorsions organisationnelles dans le CCI au point qu'il redevienne soudain un organe capable de faire vivre en son sein une activité prolétarienne authentique, il lui faudrait alors consacrer un travail aujourd'hui gigantesque pour faire lui-même cet examen de sa propre histoire : comprendre les CAUSES de ce qui lui est arrivé, causes qui relèvent nécessairement et en dernière instance des questions politiques générales : a-t-il eu une compréhension réellement suffisante des conditions qui l'entouraient impliquant une détermination suffisamment claire de son rôle et de sa fonction dans cette situation ? a-t-il mené un travail d'élaboration théorique à la hauteur des nécessités de notre époque et capable de lui fournir cette compréhension des conditions de l'époque et de ses tâches ? S'il a tenté de le faire, a-t-il réellement su se maintenir sur une application rigoureuse de la méthode matérialiste dialectique ou bien ne s'est-il pas laissé entraîner dans des démarches idéalistes ? N'a-t-il pas tendu à refusé d'envisager qu'il puisse s'être jamais trompé, tendant, au lieu de corriger des erreurs au départ mineures et relatives, à persister dans l'erreur et à «couvrir» des erreurs théoriques anciennes par le développement d'autres «erreurs théoriques» ? Voilà un ensemble de terrains à interroger. Il ne s'agit pas de prétendre avoir déjà les réponses sur ces différents domaines, mais de se donner l'objectif de s'y atteler.

VI Que nous a appris – très récemment il faut le dire- Bordiga  

, sinon que c'est de la justesse de la ligne politique que dépend la discipline réelle, c'est à dire l'unité réelle – et non pas formelle – de l'organisation ? Avons-nous vraiment pris toute la mesure de ce que nous avons découvert là ?

Sans ligne politique juste fondée sur la plus claire conscience possible des situations et nécessités du combat de classe telles qu'elles se posent dans le mouvement réel, l'unité n'est qu'une pure forme, elle est nécessairement fragile et se retrouve soumise, de fait et nécessairement, aux individualités, aux comportements et, par suite, aux luttes de pouvoir. On peut passer son temps, à l'infini, à tenter de corriger les «problèmes de fonctionnement» en eux-mêmes, à élaborer des «règles», toujours plus complexes sur ce que le fonctionnement 'devrait' et ' ne devrait pas' être, on n'arrivera à rien d'autre qu'à isoler toujours plus les questions d'organisations des conditions réelles qui les déterminent, et ce faisant, à s'interdire toujours plus de les résoudre.

La forme, le fonctionnement sont soumis à la fonction, et celle-ci à son tour n'est que l'expression, devenue consciente (et par suite devenue «volonté d'action»), des conditions réelles de la lutte des classes telle qu'elle se déroule sous nos yeux.

Mais, dira-t-on, comment fait l'organisation pour avoir une ligne politique juste ? Est-ce que cela ne renvoie pas à son tour à de nécessaires «formes» organisationnelles, telles que par exemple les moyens donnés aux débats internes pour qu'ils se développent profondément et largement dans les rangs de l'organisation, les bulletins de discussion, une définition claire des tâches attribuées aux organes de centralisation ? Je répondrai qu'à leur tour, de telles «formes» ne sont que la conséquence pratique, que la mise en pratique conséquente, de la conscience la plus claire qu'a l'organisation des ses tâches.. Il ne s'agit pas tant d'avoir un «principe» abstrait en faveur de telles «formes» et de se réclamer abstraitement de la «démocratie prolétarienne» au sein des organisations, que de prendre pleinement conscience que le travail d'élaboration théorique, en permanence, est une condition sine qua non de la capacité de l'organisme à assumer sa fonction dans la classe et d'agir en conséquence.

Les bulletins internes sont un outil extrêmement utile pour une telle élaboration théorique/pratique, puisqu'ils permettent tout particulièrement de lui donner un caractère collectif dépassant l'activité locale et de passer par l'expression écrite, bien plus favorable à la rigueur de la pensée que toutes les tirades en réunions hebdomadaires des sections et des secrétariats. Mais c'est tout. L'existence de l'outil ne garantit pas «en soi» l'usage que l'on en fait. Chacun de nous sait bien que le Bint a perdu depuis longtemps la richesse de contenu qui fut la sienne jusqu'aux environs du milieu des années 80, pour devenir des pavés plus ou moins indigestes que les militants NE LISENT PLUS depuis longtemps, sinon comme un 'pensum' [2] . Tous ces moyens formels (organes de centralisation, bulletins), le CCI en avait compris la nécessité dès sa fondation et les avait mis en oeuvre en conséquence de la conscience qu'il avait de son besoin d'élaboration et de la nécessité que l'organisation se nourrisse en permanence des matériaux que constituent les informations, prises de positions, réflexions, doutes, critiques issues de toutes ses parties : sections, militants individuels, autant de matériaux par lesquels passe tout simplement l'expression vivante des questions que confronte le prolétariat. Mais, ce ne sont pas ces formes qu'il a commencé peu à peu à perdre, c'est d'abord leur CONTENU (et notamment la perte de vue de la tâche permanente d'élaboration théorique, devenue dans notre langage, une velléité abstraite, sans lien avec le réel, et nommée par un sigle mystico-mystérieux : le «RTP» ; notamment aussi la perte de vue que l'expression de doutes, de différences, de critiques n'est pas une faiblesse ou un «danger», mais au contraire une force, une richesse) . La dérive des formes (dérive hiérarchique des OC, bulletins se vidant peu à peu de tout contenu critique/polémique au profit de 'contributions' cherchant à prouver leur allégeance à la «ligne» des OC [3] ) n'ont fait que suivre, pour ainsi dire «naturellement», simple reflet de cette perte de contenu qui, de fait, les rendaient moins «nécessaires».

Sarah

(A suivre dans le prochain Bulletin de la Fraction.)


Notes

[1] D'ailleurs c'est bien pourquoi, il se dote de moments privilégiés, les congrès, les réunions plénières de ses organes de centralisation, dont la tâche est

- d'examiner le résultat sensible de son action et son adéquation à la situation générale, elle-même toujours en mouvement
- à partir de ce constat, et du degré de cette adéquation ou inadéquation, examiner  : si ce sont les orientations antérieures qui doivent être revues parce que contredites par leur résultat sur le plan du mouvement réel tel qu'il s'est déroulé pratiquement, qu'il s'agisse du mouvement qui l'entoure comme de la pratique réelle de l'organisation dans ce mouvement. L'organisme ne pourra alors se donner des bases générales pour sa pratique future qu'à partir d'une révision, plus ou moins radicale, des analyses précédentes ; ou bien si elles restent globalement valables parce que confirmées par le mouvement réel de la situation générale, mais s'avèrent n'avoir pas été correctement mises en pratique, l'organisme n'étant pas parvenu à mener une action intervenant positivement dans ce mouvement. Auquel cas il faut comprendre pourquoi, ce qui conduit d'ailleurs généralement à revenir nécessairement sur ces analyses et orientations afin de leur donner un contenu pratique plus efficient et moins «abstrait».
Ou bien encore – le cas le plus favorable - si la pratique même de l'organisation a su intégrer les évolutions de la situation de manière à constituer une ligne d'action politiquement juste, confirmant par là que le cadre donné par les orientations générales sur lesquelles elle s'est appuyée pour agir était bien correct. Mais là encore, l'organisme sera conduit à préciser, affiner ses orientations générales, en l'enrichissant de l'expérience positive récente, comme base d'action pour sa pratique à venir.
En vérité, ces trois cas de figure ne font que tenter de représenter, à grands traits et encore très schématiquement, toute la complexité du nécessaire travail de bilan régulier, de retour sur l'activité passée et d'examen de l'évolution des situations afin de déterminer les bases de l'activité future. Cette complexité implique d'ailleurs que l'organisme peut parfaitement faire des erreurs de méthode dans ce travail de bilan, par exemple, préférant ignorer les évolutions de la situation plutôt que de prendre le risque d'avoir à mettre en cause ce qu'il a dit précédemment. Craindrions-nous d'admettre que, depuis bien trop longtemps, le CCI commet ce type d'erreur et que cela finit par se payer ? Très cher !!

[2] Je ne sais plus qui (peut être M.) dans une réunion du mois d'août) avait évoqué les paroles de F. d'Anvers après sa démission : «je me suis rendu compte que je ne lisais plus les BII, alors qu'auparavant je me jetais dessus passionnément, dès leur réception'»)

[3] au point que lorsque cette «ligne» change brutalement, les 'contributeurs' s'alignent aussitôt sur la nouvelle ligne, et ils sont sincèrement convaincus d'être cohérents puisqu'ils ne font que continuer à faire ce qu'ils faisaient auparavant : démontrer leur allégeance à la défense de l'organisation. Les exemples ne manquent pas dans la période récente : F., Sa., Sv., etc. ...


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