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DEBAT AU SEIN DU CAMP REVOLUTIONNAIRE
Quel idéalisme du CCI ? Et à partir de quand ?

Nous avons répondu dans un précédent courrier [1] à une question soulevée dans votre lettre du 26/5/02 : toutes les organisations révolutionnaires ont connu des “ crises communistes ” organisationnelles, par conséquent le CCI actuel [2] n'a pas un statut particulier qui l'immunise de tous les dangers d'opportunisme. Il n'est pas différent des autres organisations. Nous souhaitons maintenant répondre à une autre question contenue dans ce même courrier du 26/5/02 :

“ Les raisons de cette crise sont à rechercher dans les erreurs programmatiques qui sont à la base de la constitution du CCI. ”

Nous répondrons uniquement, dans cet article, à une première idée. Est-ce que ce sont les bases programmatiques du CCI à la fin des années 60 au moment de sa constitution provenant de celles de la Gauche communiste de France ou bien celles du CCI actuel qui sont idéalistes ? Le BIPR ne précise pas clairement cette question en ne la datant pas dans son courrier.

Nous poursuivrons la discussion politique sur les autres aspects soulevés par le BIPR dans d'autres articles.

1 – Les positions de la Gauche communiste de France sont les positions de la Gauche communiste Internationale d'avant la deuxième guerre mondiale.

De notre point de vue, il y a une continuité entre les positions politiques de la Gauche communiste d'Italie de 1928 à 1940 puis la reconstitution de la Fraction italienne à Marseille, au moment de la deuxième guerre mondiale et la Gauche communiste de France.

C'est d'ailleurs ce que relevait fort justement la Fraction belge de la Gauche communiste internationale dans une lettre qu'elle adressait aux Communistes Révolutionnaires (CR) et aux RKD (Revolutionäre Kommunistische Deutschland) et qui a été publiée dans Le Prolétaire n°2 de janvier février 1947 : “ Il ressort de tous vos écrits que le fond des divergences qui séparent la FF (Fraction Française – la 2ème Fraction française, celle de Suzanne Voute) d'un côté, le groupe M-M (Marc Mousso) et vous de l'autre côté, que les divergences reposent plus sur des malentendus et de fausses interprétations que sur des divergences réelles ”. (…).

Pour la Fraction belge de la Gauche communiste internationale la continuité était évidente. La Fraction belge était membre de la gauche communiste internationale depuis 1937 ; elle a continué à publier sa revue Communisme sans discontinuer jusqu'en 1940 contrairement à la gauche italienne qui, en 1939, n'a publié qu'un seul numéro d'Octobre : après un silence de toute une année, elle a publié ce numéro juste un mois avant la déclaration de guerre. Alors que la Gauche italienne vivait une période difficile, ce qui l'a amené à se dissoudre au début du deuxième conflit mondial, la Fraction belge, elle, ne connaissait pas le même sort et ne subissait pas une crise aussi profonde. Elle va même devenir l'un des membres de la nouvelle Gauche communiste internationale dès 1945.

Ainsi, la Fraction belge affirme très clairement que les divergences reposaient sur des “ malentendus ” et des “ fausses interprétations ”. Quels sont ces malentendus et ces fausses interprétations ? D'abord, il apparaît que le PCInt des années 1945/46 n'a pas reconnu la Fraction italienne reconstituée à Marseille en 1942. C'est manifestement de cette “ ignorance ” de l'existence de la Fraction et de son travail politique pendant la guerre que les “ malentendus ” provenaient. Ainsi, par exemple, on verra plus avant dans ce texte que dans une résolution du comité central du PCInt de 1945, il était dit qu'il ne reconnaissait pas les décisions prises par la “ section de Paris ” qui, en fait, n'était pas la section de Paris mais représentait la CE de la Fraction laquelle venait de se transporter de Marseille à Paris à la fin de la guerre. C'est la raison pour laquelle on traitait les éléments de Paris comme étant “ la dissidence ”.

2- Première période, 1943-1945 : les discussions au sein de la FI.

A - La question de la formation du parti et le retour en Italie.

Dès 1943 dans la Fraction italienne comme parmi les éléments qui vont fonder le PCInt en Italie, deux questions sont posées : le retour de la Fraction en Italie et sa dissolution en tant que Fraction italienne à l'étranger. “La constitution du Parti en Italie est la confirmation décisive de l'analyse que nous avons soutenu dans la Gauche Communiste Internationale contre le courant révisionniste et opportuniste connu sous le nom de son leader et théoricien Vercesi. Contre le courant qui niait l'apparition du prolétariat sur l'arène politique, qui ne voyait dans les événements de juillet 1943 en Italie qu'un épisode d'une 'révolution de palais' (…) nous avons soutenu que 1943 marquait une rupture du cours de la guerre impérialiste . (…) Cette analyse nous a mené à donner la conclusion politique dans la formule 'l'ère de la construction du Parti de classe est ouverte'”. (l'Etincelle, numéro 10, janvier-février 1946 premier congrès du PCInt d'Italie).

La GCF sur ce point possède bien la même position politique que le PCInt à sa formation.

“ Au moment de la convocation de la Conférence de la FI de 1945 une unanimité existait pour affirmer que les conditions politiques qui ont nécessité et justifié la formation et l'existence de la Fraction en dehors de l'Italie ont été épuisées et n'existaient plus  ” (Explication sur mon adhésion à la Fraction française, MC < Bulletin extérieur spécial n°1 du 14 juillet 1945). MC poursuit en disant “ La chute du régime fasciste en 1943 détermina ce changement de conditions. La place de la Fraction était désormais en Italie (...) le rebondissement de la situation des convulsions sociales a marqué (...) la nécessité immédiate de sa rentrée en Italie.  ” (souligné dans le texte) . Déjà en juillet 1943, à la Conférence de la Fraction italienne, MC avait défendu cette position ( Internationalisme n°5), au moment où la guerre impérialiste connaissait un tournant important avec un prolétariat qui commençait à manifester sa colère contre la guerre et les privations et s'opposait de plus en plus ouvertement à la chape et à l'encadrement nationalistes. Effectivement, on assistait à des soulèvements à Varsovie et Budapest, à des mouvements d'exaspération en Allemagne (fin 1944, début 1945) et en Italie avec les grèves à la FIAT qui se généralisaient à Turin, englobant 300 000 ouvriers.

Cette position est également défendue par la Fraction Italienne dans son Bulletin intérieur n°2 de février 1944 : "Oui ! La Fraction a terminé sa tâche spécifique "défensive". Avec le nouveau cours qui s'est ouvert avec les événements d'août en Italie, le cours de la transformation de la Fraction en parti est ouvert".

C'est aussi la même idée que défendaient la GCF et le PCInt d'Italie. La fondation du parti n'est vue que comme la réalisation concrète de ce qui avait été voté dans les résolutions des 2ème et 3ème Conférences de la FI d'août 1943 [3] et de mai 1944 auxquelles participe activement MC. La conférence de 1943, à cette fin, décida de reprendre contact avec l'Italie –n'ayant aucune information politique des camarades de la Gauche se trouvant dans le pays- et demandait aux militants de se préparer à y retourner dès que possible.

En effet, parallèlement à ces événements en France, le parti s'était formé le 25 juillet 1943 suite aux grèves de 1943 en Italie.

En mai 1945 apprenant l'existence du Parti en Italie, la Fraction met enfin ses actes en concordance avec sa résolution et se dissout  [4] . Mais un mois plus tard elle 'se reconstitue' en France et publie le numéro 8 du Bulletin International de discussion (juin 1945); ce faisant, elle a révisé son point de vue et s'est opposée à sa première position politique. Ces faits avaient amené MC à démissionner de la Fraction [5] , ce qui avait entraîné cette dernière à l'exclure de ses rangs alors qu'il avait défendu de façon conséquente la nécessité de sa dissolution..

MC poussa ses positions politiques jusqu'à ses ultimes conséquences en quittant la fraction italienne qui n'avait, dès lors, plus de raison d'exister, pour rejoindre la GCF. C'est pour ces faits hautement politiques et responsables qu'il est exclu de la Fraction italienne en 1945. [6]

En réalité, ce que critiquait la GCF -comme nous l'avons vu précédemment- ce n'était pas la nécessité de la fondation du parti, loin de là, mais la création du parti sur des bases trop “ larges ”, pour ne pas dire confuses et, en tout cas, sans avoir clarifié la question de la participation (ou non) de certains militants à la guerre impérialiste aux côtés d'une fraction de la bourgeoisie. L'évitement de cette question a permis au PCInt d'inclure en son sein, sans réelle discussion, notamment la minorité de Bilan (partie dans les milices du POUM pendant la guerre d'Espagne) et la tendance Vercesi.

La GCF critiquait aussi le fait que le parti en Italie ne s'était pas créé à partir des bases politiques et organisationnelles de la Fraction à l'étranger. Le Parti se crée en Italie alors que la Fraction n'a pas assumé sa responsabilité de “ passage du témoin ” et qu'elle est restée à l'étranger. Il s'agissait de défendre la position classique de la Fraction italienne, celle qu'elle a défendue pendant toute son existence depuis 1928. : seule la Fraction pourra être le lien et la continuité entre l'ancien et le nouveau parti communiste.

Le problème de la création du parti se discutait de toute façon dans la Gauche communiste, comme le note Fabio Damen lui-même dans son texte Fraction et parti dans l'expérience italienne de la Gauche italienne. Dans ce texte, il citait longuement les positions divergentes exprimées dans le congrès de 1935 de la Fraction entre Jacobs d'une part, Tullio de l'autre et la position centriste de Vercesi. Puis il critiquait la position de Vercesi (comme l'a fait MC et la Fraction italienne jusqu'en juin 1945): “ Pratiquement durant cette période, Vercesi semble avoir abandonné la vision mécanique de demander à la guerre la tâche de faire bouger les masses pour permettre à la Fraction de les guider et de se transformer en parti. ” (ibid., page 20)

On constate donc que, dans la question centrale de la fondation du parti et du rôle de la fraction, il y a concordance sur les points essentiels entre le PCInt et la GCF et que, par contre, il y a un désaccord avec la tendance Vercesi.

B - Le cas Vercesi.

A l'entrée du capitalisme dans la guerre mondiale, Vercesi défendait la position selon laquelle le prolétariat avait disparu en tant que classe et que, de ce fait, les communistes n'avaient “ plus rien à faire ”. Damen le rappelle dans son texte : “ Après 1939 (..) il conclut (il s'agit de Vercesi) par le classique 'il n'y a plus rien à faire' vu que le prolétariat disparaît comme classe dans les périodes de guerre ”. (ibid., page 21). Mais surtout, Vercesi va participer au Comité de Coalition Antifasciste de Bruxelles et même le diriger ; il va publier des articles dans “ l'Italia di domani ” Organe de la coalition Antifasciste du 7 octobre 1944 au 12 mai 1945 (soit 13 numéros en 1944 et 18 en 1945). Dans le numéro 1 d'octobre 1944, on peut lire une déclaration politique de la Coalition signée conjointement par la Fraction italienne de la gauche communiste, le Parti catholique, le Parti communiste, par Giustizia e liberta [7] , le Parti libéral, le Parti républicain, le Parti socialiste et par des syndicalistes. C'est cet élément qui a été le plus grave car il engageait la Fraction dans une coalition avec des partis de la bourgeoisie.

C'est la raison pour laquelle la conférence de la Fraction italienne de mai 1944 prend position sur la base de sa déclaration politique contre le courant révisionniste de Vercesi. Puis la résolution de la Conférence constitutive de la Fraction Française de janvier 1945 vote à l'unanimité (y compris la tendance Frédérique [Suzanne Voute] et Al.) en présence des délégués de la Fraction italienne, un texte qui : “ condamne le courant de Vercesi comme courant révisionniste et appelle avec le groupe de la fraction italienne en France, la GCI à se délimiter et à rompre avec ce courant .” (Internationalisme n°1)

Ce qui sera ultérieurement pris également en compte par le PCInt dans la Résolution du Comité central sur les incidents au sein de la Fraction à l'étranger du 4 novembre 1945 :

“ Le Comité central, après avoir entendu la relation du camarade Vercesi concernant la question de groupe belge de la fraction italienne et de son adhésion au Comité de Coalition Antifasciste après avoir discuté la question sur base du rapport du camarade Tullio [8] représentant du groupe de Paris, affirme :

1/ que le groupe de Paris ne pouvait pas s'octroyer le rôle du CE de la fraction ;

2/que la mesure disciplinaire à l'égard du camarade Vercesi ne correspond pas à la réalité des faits parce qu'elle était originée par des nouvelles qui se sont révélées inexactes par la suite,

3/ que la participation du groupe belge à la Coalition Antifasciste telle comme elle avait été organisée, c'est à dire en tant qu'organisme prévalant (comprendre : essentiellement d'assistance), peut être retenue plus ou moins opportune, mais elle n'a pas constitué une rupture de principe avec la position idéologique du Parti,

4/ que par conséquent la mesure est déclarée nulle ”.

On voit bien que les événements réels n'étaient pas connus du PCInt de l'époque car l'argument essentiel est de dire que la section de Paris ne pouvait pas prendre une telle décision. Il ne s'agissait pas de la section de Paris mais de la CE de la Fraction italienne reconstituée à Marseille et de la partie de la Fraction qui avait sauvé l'honneur de la Fraction puisque c'est elle qui a maintenu l'internationalisme pendant la guerre et sa continuité politique et organisationnelle.

Enfin, dans un projet de résolution du Bureau international de la Gauche communiste (date inconnue) où l'on essaie d'excuser Vercesi le PCInt prend enfin une attitude plus juste en condamnant les faits du Comité antifasciste de Bruxelles:

“ (…) Cela n'enlève toutefois pas la gravité à l'attitude prise par ces camarades qui, pour accéder à cette politique, ont du non seulement sous_évaluer le rôle historique du prolétariat pendant la guerre impérialiste, mais celui particulièrement important et fondamental de ses forces politiques d'avant garde, puisque aucun des problèmes de classe n'a été posé qui ont par contre caractérisé l'expérience de la Fraction de Gauche en Italie dont a pris sa source le Parti Communiste Internationaliste (lutte contre la guerre, aucune alliance même provisoire et limitée à des buts d'assistance et de culture - comme dans le cas du Comité de Coalition Antifasciste de Bruxelles -avec des forces qui se solidarisaient avec la guerre) (...).

[Le Bureau international de la Gauche communiste] reconnaît pourtant erronée et en contraste avec les idées et la tactique de la Gauche Communiste n'importe quelle formulation théorique qui voudrait essayer de justifier une attitude tactique comme celle de la participation au Comité de Coalition Antifasciste de Bruxelles, que le B.I. condamne soit en tant que ligne de principe, soit dans son application pratique, tandis qu'il s'élève contre la campagne déclenchée par des groupements à caractère international et tendant à accuser les camarades en question et toute la G.C.I. de participation à la guerre impérialiste. ”

On voit bien qu'une fois informé, le PCInt prend une position plus claire au niveau des principes mais il n'en tient pas vraiment compte puisqu'il envoie, en fin de compte, ses principales foudres contre ceux qui ont eu le malheur d'avoir été les premiers à poser clairement la question du Comité de Coalition Antifasciste et à dénoncer Vercesi.

3- Deuxième période (dernier trimestre 1945) : la demande d'intégration de la GCF dans le parti .

Après le Parti, la GCI a été créée et a mis en place un Bureau International qui permettait le regroupement du PCInt, de la Fraction belge et de la Fraction française (bis). Immédiatement la GCF y a fait sa demande d'adhésion.

La réunion du Comité central du PC Int du 4 novembre 1945 lui fit la réponse suivante  :

“ Sur la question de la dissidence en France.

Le CC après avoir pris connaissance et discuté de la lettre envoyée au Parti par le groupe dissident de la Fraction Française, décide :

1/ Le Parti affirme qu'il ne tiendra de relations internationales qu'avec une seule fraction de gauche dans chaque pays, ”.

2/ En conséquence il reconnaît la seule fraction française qui est en rapport avec la fraction belge et le parti.

3/ Le parti considère que la solidarité affirmée par la fraction belge et par la fraction française est un élément suffisant pour ne pas accepter la proposition de la fraction française dissidente.

4/ Invite en conséquence la Fraction française à résoudre le problème de la dissidence. ”

(résolution votée à l'unanimité).

Que faut-il retenir de cette résolution ?

1/ Sur les questions politiques fondamentales, aucun désaccord entre la GCI et le GCF (“ le groupe dissident”  de la Fraction Française) n'était relevé ou mis en avant ; en effet, les divergences, quand elles existaient, était loin d'être le fait de la seule GCF et, de toute façon, ne pouvaient justifier sa non intégration dans la GCI.

2/ Le parti ne connaissait pas vraiment toutes les questions en débat dans l'immigration, (notamment les problèmes organisationnels) et avait tendance à croire sur parole Vercesi, camarade qui, depuis longtemps, était honorablement connu de tous les membres du Bureau International de la GCI.

3/ La résolution fait l'erreur de demander à la fraction française “ officielle ” de régler la question de la “ dissidence ”. Autrement dit, c'est, en fait, une mise à l'écart définitive de la CGF qui était en germe dans cette “ invitation ”.

Donc sur ce point, il faut définitivement tordre le cou à l'idée, trop longtemps admise comme une parole d'évangile, selon laquelle la GCF était contre l'organisation et le regroupement d'avec la GCI. Et, d'ailleurs, jamais à l'époque il n'a été dit qu'il y avait de désaccord politique sur les questions fondamentales entre ces deux organisations.

C'est d'ailleurs ce que reconnaît la Fraction belge, qui après avoir écrit aux RKD (lettre citée ci-dessus) que “ les divergences reposent plus sur des malentendus et de fausses interprétations que sur des divergences réelles ”, affirme dans une lettre transmise en octobre 1945 :“ Nous tenons à marquer les points d'accord entre vous et nous :

1/ Nos deux organisations sont d'accord avec les structures particulières du parti (droit de fraction dans le parti). Nous avons cette position depuis 1937. [9]

2/ Comme vous, nous estimons que le point central est de déterminer si l'URSS est en deçà ou au-delà de la ligne de démarcation qui sépare le capitalisme du socialisme. Nous disons que l'URSS est du côté du capitalisme, qu'en URSS le prolétariat est exploité. De cette définition globale et, du reste, incomplète, nous concluons à la nécessité du défaitisme révolutionnaire, à la nécessité de la révolution, de la destruction de l'Etat soviétique.

3/ Comme vous, nous estimons qu'il faut créer une nouvelle internationale.

4/ Comme vous, nous estimons que le Parti et l'Internationale ne peuvent se créer que sur la base de la lutte des masses ouvrières.

(...)

Ceci dit, camarades, je tiens aussi à marquer ce qui nous sépare.

Nous sommes contre le Front unique politique et nous ne savons pas encore votre position sur ce sujet ”. (Le Prolétaire n°2, janvier-février 1947).

En fait, il n'y a pas de divergences puisque, si l'on ne connaît pas la position des RKD sur la question soulevée, on connaît, par contre, parfaitement celle de la GCF. Cette dernière a notamment pris position sur le fait que, dans le PCInt, on avait intégré des anciens “ minoritaires ” de 1936 au moment de la Guerre d'Espagne ainsi que la tendance Vercesi qui avait participé au Comité de Coalition Antifasciste de Bruxelles. Sa position sur la question du Front unique était parfaitement claire. La CGF était contre l'unité “ à tout prix ”, c'est-à-dire sans réelle clarification politique préalable, avec des courants qui ont des positions ambiguës ou contraires à la Gauche communiste..

4- Les véritables divergences politiques de fond en 1944-45.

A partir de 1944, des divergences apparurent mais elles n'étaient pas propres à la GCF ; elles portaient alors sur les points suivants : la question syndicale, la question de quel parti la classe a besoin et la question de la dictature du prolétariat en rapport avec la nature de l'URSS. Nous estimons que, dans le cadre de cette réponse qui porte sur les origines des positions politiques de la GCF, il est essentiel, dans un premier temps, d'examiner les divergences et les ambiguïtés qui traversaient la GCI à l'époque de sa création et au cours de l'année 1945.

- Le syndicalisme.

Nous nous référons au rapport et à la discussion qui a eu lieu à la Conférence de 1945 du PCInt. [10]

“ La ligne politique du Parti, face au problème syndical, n'est pas encore suffisamment claire. D'un côté on reconnaît la dépendance des syndicats vis à vis de l'Etat capitaliste ; de l'autre, on invite les ouvriers à lutter dans leur sein et à les conquérir de l'intérieur pour les porter sur une position de classe. Mais cette possibilité est exclue par l'évolution capitaliste. ”

Et en conclusion le rapporteur (page 23) “ réaffirme sa conception que le syndicat dans la phase de décadence du capitalisme est nécessairement lié à l'Etat bourgeois. ”

Cette discussion est reprise pour le 2ème Congrès du PCInt (cf. : Bolletino per la preparazione del II° Congresso). Le positionnement des courants dans le parti a changé puisque ce sont les “ perronistes ” qui sont maintenant pour le boycottage des syndicats. (2ème page de l'introduction au Bolletino) ;

“ Le camarade Perrone et “ les perronistes ” soutiennent désormais ouvertement la sortie des syndicats contre lesquelles ils lancent le mot d'ordre de boycottage

- La question des critères d'appartenance au parti.

Est-ce un hasard si la présentation de la Plate-forme politique du Parti de 1946 (brochure du PCInt) - qui affirme la continuité entre le PC d'Italie et la Fraction dans l'émigration - ne dit rien sur les leçons à tirer de la guerre d'Espagne ni sur celles de la guerre impérialiste pour les critères d'intégration des militants ? Le combat de la Fraction pendant la guerre est totalement ignoré. Concernant la formation du Parti, la Plateforme souligne que c'est “ (…) la Fraction de gauche (…) (qui) a eu l'initiative de la fondation du PCInt en 1943 ” ; et plus loin elle déclare que c'est “ sur les bases qu'elle (la Fraction) a défendues de 1927 à la guerre que cette fondation s'est effectuée. ” (page 12). Pourquoi s'arrête-t-elle à la veille de la guerre ? Il y a à l'évidence un “ chaînon manquant ” le Parti s'est aussi fondé sur la base du combat mené par la fraction pendant la guerre elle-même. [11]

- Sur la dictature du Prolétariat.

Sur cette question, la GCF n'avait pas, à l'époque, tout au moins avec Damen, de divergences. Dans un texte important de l'organisation, il affirmait :

“ Il n'existe pas, à mon avis, une position claire et définitive sur le problème de la dictature du prolétariat ” [12] Et plus loin, “ Dictature du prolétariat signifie avant tout que les ouvriers marchent avec le fusil sur l'épaule. Il s'ensuit que lorsque la révolution est en danger, elle est défendue, avec les armes des prolétaires, tournées même contre le parti qui s'est dressé contre les intérêts de la classe qui l'a engendré pour réaliser sa dictature sur le prolétariat ”. Cette formulation est particulièrement importante pour nous aujourd'hui. Elle montre qu'en 1945 O. Damen (sinon le PCInt) partageait l'idée selon laquelle il pouvait y avoir une différence et même une opposition politique, voire d'intérêt, entre le prolétariat et le parti de classe qui exerce la dictature en son nom. Cette réflexion et la vision qui la sous-tend sont, pour le moins, très proches de celles que Internationalisme va développer dans les mois et les années suivantes.

Dans les décennies qui suivirent, il y eut effectivement de nouvelles divergences qui se firent jour et d'autres qui se clarifièrent entre la CGF et le PCInt comme la question syndicale et la question nationale mais cette réalité ne doit pas nous masquer ce qui s'est réellement passé, à la fin de la guerre, entre la GCF et la GCI.

Cette réponse permettra de se remémorer des événements historiques qui sont particulièrement oubliés de nous tous et de montrer que si nous pouvons parler d'opportunisme et d'idéalisme du CCI aujourd'hui ce n'est certainement pas des critiques que l'on peut faire à la GCF.


Notes

[1] . Du 28/6/02 publié dans notre bulletin 11.

[2] . La crise actuelle du CCI est due, de notre point de vue, à une dégénérescence opportuniste et sectaire.

[3] . Projet de résolution sur les perspectives et tâches dans la période transitoire. (juillet 1943).

[4] . Déclaration politique de la Fraction italienne pour la Conférence de mai 1945 ; celle-ci décide également “ l'intégration individuelle de ses membres ” dans le Parti PCInt ; ce à quoi MC s'oppose car il estime que c'est à la Fraction d'être à la naissance du PCInt et non l'inverse et qu'elle ne devait se dissoudre qu'après vérification des positions politiques du Parti par la fraction..

[5] . Déclaration de MC à la Conférence de la Fraction italienne du 25 mai 1945.

[6] . Communiqué de juin 1945.

[7] . Organisation démocratique bourgeoise.

[8] . Aldo Lecci.

[9] Cette date est citée car c'est en 1937 que se créé la Fraction belge après avoir scissionné d'avec la Ligue Internationaliste de Hennaut.

[10] Rapport sur le parti et le problème syndical fait par Stefanini et paru dans le Compte rendu de la première conférence nationale du PCInt d'Italie 28 décembre 1945 – 1er janvier 1946.

[11] . Les camarades A. Lecci, Bottaioli, Stefanini de l'organe central de la Fraction reconstituée à Marseille (3 sur 4 de ses membres) se retrouvent aux côtés de O. Damen au Comité Central du PCInt en 1951 et l'on peut constater à la lecture du Bolletino pour la préparation du II° Congrès du Parti qu'ils sont sur la même position politique et signent des textes politiques ensemble. Le PCInt est la continuation de la Fraction italienne jusqu'en 1945. Ce sont ces mêmes camarades qui s'opposeront à la tendance Bordiga-Vercesi au moment de la rupture en 1952.

[12] . O. Damen  Rapport sur la situation générale et les perspectives pour la Conférence, page 10, Compte rendu (déjà cité).


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