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DEBAT AU SEIN DU CAMP REVOLUTIONNAIRE
PRESENTATION DE NOTRE CRITIQUE DU TEXTE SUR
LA CONFIANCE ET LA SOLIDARITE PUBLIE DANS LA REVUE INTERNATIONALE 111 DU CCI

Nous avons déjà présenté dans ce bulletin comment le nouveau CCI tendait chaque fois plus à tomber dans l'idéalisme. Ce danger permanent pour toute organisation et toute réflexion communiste, y est devenu le mode de pensée dominant. La lutte contre cette dérive spéculative idéaliste est devenue un des premiers terrains sur lesquels nous avons commencé à mener notre combat de fraction au sein du CCI (cf. bulletin 3, la méthode spéculative dans le CCI).

Le lecteur attentif de la presse du CCI l'aura constaté : une des manifestations les plus criantes de cette dérive est dans la réduction de la période historique ouverte après 1989, appelée phase de décomposition, en une catégorie absolue sensée expliquer, et surtout réduire, tous les phénomènes et les manifestations de la réalité historique actuelle à ce concept de décomposition, de chaos et d'irrationnalité. C'est comme cela que les luttes ouvrières en Argentine ont été rejetées et méprisées dans la presse du CCI comme une expression du chaos et de l'interclassisme. C'est comme cela que la responsabilité des grandes puissances impérialistes est sous-estimée, voire rejetée, dans les conflits locaux tel celui Indo-Pakistanais (cf. notre critique de la Revue internationale 110 dans notre bulletin n°13) ouvrant grande la porte aux compromissions politiques et à la capitulation militante face à la guerre impérialiste. C'est comme cela que la signification historique des attentats du 11 septembre 2001 et la nouvelle période de marche vers la guerre impérialiste menée par la bourgeoisie sont complétement sous-estimées, voire ignorées, par l'actuel CCI qui n'y voit qu'une manifestation supplémentaire de la décomposition et du chaos.

Cette méthode idéaliste et opportuniste appliquée au domaine organisationnel amène chaque fois plus le CCI à réduire toutes les crises organisationnelles du mouvement ouvrier à la catégorie absolue "clanisme" (cf. pages 27/28, points a et c de l'article de la Revue internationale 110 critiqué ici) et à tomber dans la psychologie la plus crasse - l'envie et la jalousie des individus seraient des facteurs déterminant ! - comme élément d'explication d'analyse de ces crises : "Dans le mouvement ouvrier, le clanisme a presque toujours eu pour origine la difficulté de différentes personnalités à travailler ensemble. C'est pourquoi les attitudes claniques apparaissent souvent à des moments où arrivent de nouveaux membres ou de formalisation et de développement des structures organisationnelles. Dans la première Internationale, c'était l'incapacité du nouveau venu, Bakounine, « à trouver sa place » qui a cristallisé des ressentiments préexistants envers Marx. En 1903, au contraire, c'est la préoccupation du statut de la « vieille garde » qui a provoqué ce qui est devenu, dans l'histoire, le menchevisme". (page 29).

Pour les besoins de sa lutte de faction et de prise du pouvoir au nom du combat contre le nouveau clan, le supposé "clanisme" de l'ancien secrétariat international du CCI (SI) et de la section de Paris, la côterie familiale liquidationniste a dû s'essayer à différents Textes d'Orientation à "haute et inestimable valeur théorique". Le texte sur La confiance et la solidarité dont la première partie est publiée dans cette Revue internationale 111 voulait fonder théoriquement la nouvelle politique et en particulier le rejet du cadre formel et statutaire de fonctionnement de l'organisation au nom de la "responsabilité individuelle" (cf. bulletin n°3, La soi-disant théorie de la "responsabilité individuelle" ou le début de la révision des principes organisationnels, 5/08/2001 [1] ). Pour cela, il lui fallait revenir sur la question de la confiance que l'ancien SI, avec l'accord unanime de toute l'organisation, avait posée de manière concrète dans le CCI suite à une politique "autoritariste et d'injonction" de la part du secrétariat de l'organe central de la section en France. Celui-ci, et surtout certains de ses membres, manifestait une méfiance croissante dans les capacités politiques et militantes des sections locales et des militants ne faisant pas partie des organes centraux. Il tendait à substituer à toute initiative et surtout à toute discussion et clarification politique, la discipline et l'autorité formelle de l'organe central sous le mot d'ordre : on applique d'abord les décisions et on discute après, comme le dit l'un d'entre eux dans une réunion du SI. Cela peut être valable, et même absolument nécessaire pour une action immédiate, un tract par exemple, mais ne peut constituer une méthode de fonctionnement permanent pour une organisation communiste fondée sur la conviction militante et la conscience politique. C'est cette politique de l'ancien CCI unanimement adoptée à l'époque (cf. notre Historique du SI) qui est aujourd'hui taxée de "démocratisme". Autre rupture politique avec l'ancien CCI.

A se risquer aux innovations théoriques dans ce texte, le liquidationnisme comme "courant politique" dans le CCI, tombe et retombe dans l'abstraction idéaliste et les concepts creux - la société humaine, la vie humaine, le coeur, etc... Après la "psychologie de cuisine", il tombe dans la "philosophie" la plus crasse. Morceaux choisis :

"Sans une solidarité de base minimale, la société humaine devient impossible. Et sans au moins une confiance mutuelle rudimentaire, aucun progrès social n'est possible. Dans l'histoire, la rupture de ces principes a toujours mené à une barbarie débridée (...) La solidarité ne peut jamais être imposée contre la volonté. Elle n'est possible que si ceux qui expriment la solidarité et ceux qui la reçoivent partagent la conviction de sa nécessité. La solidarité est le ciment qui tient ensemble un groupe social (...)".

"... La confiance est avant tout une activité dirigée vers le futur. C'est ce qui lui donne son caractère particulièrement énigmatique, difficile à définir ou à identifier, difficile à développer ou à maintenir. Il n'y a quasiment aucune autre aire de la vie humaine vis-à-vis de laquelle il y a tant de tromperie et d'auto-tromperie. (...)"

"Comme la solidarité, la confiance ne peut être décrétée, ni être imposée, mais requiert une structure et une atmosphère adéquates pour son développement. Ce qui rend si difficiles les questions de la solidarité et de la confiance, c'est le fait qu'elles ne sont pas seulement une affaire de l'esprit mais aussi du coeur. Il est nécessaire de se sentir confiant. L'absence de confiance implique à son tour le règne de la peur, de l'incertitude, de l'hésitation et la paralysie des forces collectives conscientes" (pages 29/30).

Le nouveau CCI nage et se noie en pleine "méthode" a-historique et a-classiste. Et ce faisant, il liquide la tradition et les efforts de pensée et de méthode marxiste de l'ancien CCI et lui fait abandonner le matérialisme historique. Ce n'est donc pas un hasard si "dans l'histoire du mouvement marxiste, nous ne trouvons pas un seul texte écrit sur la confiance ou la solidarité" (p.25) telles que les conçoit l'actuel CCI. C'est que la méthode des liquidationnistes pour aborder ces questions n'est pas... marxiste. Il suffit pourtant de relire Un pas en avant, deux pas en arrière, pour voir comment le marxisme, en l'occurrence Lénine, pose la question de la confiance au sein du mouvement ouvrier de manière concréte, classiste et historique, c'est-à-dire du point de vue du prolétariat et non pas du point de vue de la Vie et de la Société humaine.

Les “ saints Bruno ” du CCI et la solidarité de classe
dans la lutte (Revue internationale 110)
Un nouvel aspect de l'idéalisme du CCI sur la question organisationnelle

I – Quelques rappels : Les catégories sociales et le marxisme

Nous ne tenons pas ici à faire des développements théoriques mais à rappeler un certain nombre de notions marxistes de base.

En tout premier lieu, il est important de souligner que la conception marxiste se trouve être à l'opposé de la conception de “ l'homme abstrait ” de Ludwig Strauss, de la “ conscience de soi ” et de la “ nature abstraite ” de Bruno Bauer. Ces notions sont des catégories abstraites empruntées à Hegel. Seul Feuerbach sut adopter un point de vue véritablement critique devant la dialectique hégélienne et la philosophie en général. En prouvant que la philosophie n'est autre chose qu'une mise en idées et qu'elle était élaborée par la pensée. C'est à dire une autre forme de l'aliénation humaine, mais ce dernier avait aidé à poser les fondements du “ vrai matérialisme et de la science réelle ”. C'était un premier pas mais il était décisif. En effet, Feuerbach n'a pas su tirer de sa propre critique de la dialectique hégélienne toutes les leçons ni donner un contenu concret à l'élément positif et autonome qu'il avait découvert (Manuscrits dits “ économico-philosophiques ” de Marx).

Marx s'oppose à une conception de l'histoire de Hegel qui ne serait qu'un conflit entre les catégories logiques, une négation de la négation ne s'accomplissant que dans la sphère logique. La “ conscience honnête ”, le combat de la “ conscience noble ” et de la “ conscience vile ”, etc.. mais “ toutes ces parties isolées (de Hegel) contiennent les éléments nécessaires à la critique de domaines entiers, tels que la religion, l'Etat, la vie bourgeoise, etc.. ” (Marx, idem).

A tout cela, ce qui représente, malgré tout, un progrès, Marx oppose une histoire réelle, concrète, objective qui est l'histoire de l'être social de l'homme qui prend, à travers l'histoire, des formes très variées et, par conséquent, au travers des différentes sociétés de classes. Sociétés qui ont toutes été mues par la lutte des classes et qui déterminent les différents domaines nommés ci-dessus (ainsi que la religion, l'Etat, le droit, la morale et la vie bourgeoise dans la dernière phase sociale).

II – Les catégories sociales pour le CCI et le texte d'orientation sur “ la confiance et la solidarité dans la lutte du prolétariat ”

Permettez-nous de faire une courte digression. Le CCI cite à tout bout de champ, dans ce texte et aussi dans ces derniers textes, l'existence de clanisme dans les organisations révolutionnaires ; mais il faut immédiatement dissocier le concept de clanisme de celui de cercles dans la période de l'existence de ces derniers dans le mouvement ouvrier. Effectivement, Lénine utilise fort justement cette notion à l'époque de la formation du Parti social-démocrate russe (au début du XX° siècle) où l'existence des cercles entravait le fonctionnement du Parti. Il en est tout autrement du clanisme.

Parler de clanisme dans une organisation c'est tout autre chose. Une organisation révolutionnaire gangrenée par le clanisme cela veut dire qu'elle connaît effectivement une “ crise communiste ” grave de dégénérescence. Dès lors, si c'était vrai, l'existence du clanisme justifierait amplement la création d'une Fraction pour lutter pour la régénération et la défense de l'organisation.

En effet, parler de l'existence de clans et de cliques dans une organisation ouvrière crée immédiatement un signe d'égalité avec les organisations de la bourgeoisie. Le clanisme est contradictoire avec une organisation ouvrière et révolutionnaire. Une organisation atteinte de clanisme est morte. C'est une organisation “ morte ” pour la classe ouvrière. Bordiga a eu l'occasion de le préciser dans “ le contenu original du programme communiste est l'abolition de l'individu ( [2] ) ” (in La passion du communisme , Spartacus pages 73 et suivantes) “ Contre les formes de dégénérescence bourgeoise : oligarchies, cliques prétoriennes, gangs criminels, bandes de vampires aspirant au pouvoir ” certains transportent “ la démocratie ” au sein du parti. C'est “ encore plus une illusion ”. “ Depuis des décennies et des décennies, notre gauche a établi clairement que le parti, dans sa forme contingente, n'est pas non plus infaillible (..) il subit maladies et crises. (…) Ce n'est pas le moment de montrer comment tous les effondrements dans l'opportunisme sont liés à des épisodes de cette nature. ”.

Le nouveau texte d'orientation du CCI se plaint que “ dans l'histoire du mouvement marxiste nous ne trouvons pas un seul texte écrit sur le confiance ou sur la solidarit頔. Mais, c'est normal, car la question n'est certainement jamais traitée par les marxistes de façon idéaliste comme la traite le texte du CCI dans la Revue Internationale 110. Pour le CCI actuel, la solidarité et la confiance ne sont conçues seulement que comme des catégories abstraites, comme le conçoivent des petits bourgeois idéalistes mais jamais comme le font les marxistes. Le CCI actuel devrait savoir que la solidarité n'existe pas en soi mais que la solidarité s'exprime dans la lutte, dans un combat de classe. C'est aussi la toute première expression de la classe ; ensuite il existe tout un processus vivant qui va à travers différents moments vers la coordination des luttes jusqu'au développement de sa conscience de classe puis à son unification à travers ses organisations politiques.

“ La première forme, celle de résistance passe par toute une série de développement: par les mutuelles, les groupes de caisses de soutien entre les ouvriers, de solidarité de la vie quotidienne, solidarité qui s'exprime surtout pendant les périodes de grèves, par des coopératives, etc... Tout ce processus de l'organisation de la résistance immédiate aboutit dans son évolution à la forme des syndicats. Forme d'organisation qui tend à une organisation générale de la classe mais qui n'arrivera jamais à être réellement l'organisation d'unité de la classe. Elle restera toujours malgré sa tendance à unifier au maximum la classe, minoritaire au sein de la classe. ” Marc Chirik, ( Sur les conseils ouvriers en Russie - janvier 1980, au cours d'une "journée d'étude" du CCI sur le mouvement ouvrier au début du siècle).

Donc nous ne pouvons parler de solidarité pour le prolétariat que dans la lutte des classes. Les autres formes de solidarité ont un autre caractère du fait qu'elles sont plus contingentes et éphémères et dès lors n'appartiennent plus au domaine de la théorie révolutionnaire. Il s'agit d'une simple humanité qui peut intéresser nos bourgeois humanistes ou défenseurs des droits de l'homme. De même, la solidarité qui se manifeste dans les organisations de la classe ouvrière, s'exprime dans le sens d'un combat commun et vers un but commun. Nous reviendrons, dans le paragraphe suivant, sur la question de la solidarité entre révolutionnaires dans les organisations de la classe.

La confiance est un concept encore plus difficile à manier ou à utiliser mais qui n'est certainement pas une catégorie universelle en ce qui concerne une fois de plus le marxisme. Ce concept est à manier dans un sens bien précis et qui intéresse des domaines bien précis. Si le CCI avait remplacé le mot "confiance" par "conscience" les choses auraient été nettement plus claires pour tout le monde ( [3] ). Mais, il parle sans savoir et, de ce fait, il embrouille tout.

Ici, le texte du CCI tombe totalement sous la critique que Marx porte à Ludwig Strauss à Bruno Bauer. En effet, le CCI s'installe dans l'abstraction critiquée par ce dernier. Le CCI oublie le b-a-ba en affirmant des idées telles que la suivante : “ avec l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence, le rôle central de la confiance et de la solidarité s'accentue ”. On ne sait pas de qu'elle confiance il s'agit, ni de quelle solidarité.

Le CCI bouleverse la science, il nous dit que la révolution russe est “ l'expression la plus haute de la solidarité de classe ” (..) “ Et c'est l'essence de la confiance du prolétariat en lui-même et de la solidarité dans ses rangs ”. Non seulement, cette phrase est pompeuse et ne veut rien dire mais encore, elle est fausse. Voilà où l'on en arrive quand on veut utiliser des mots savants pour démontrer à tout prix un postulat préétabli dans sa tête. Il s'agit d'un texte de circonstance qualifié de “ génial ” par la majorité du CCI. Mais, ici, l'on est en plein délire. C'est la première fois que l'on donne comme leçon essentielle de la révolution russe, la question de la solidarité ( [4] ). L 'important pour une révolution prolétarienne, c'est la prise du pouvoir, la destruction du pouvoir de la bourgeoisie et de son Etat et l'instauration de la dictature du prolétariat comme première mesure. Si l'on veut dire ensuite que cette lutte créée une solidarité de classe entre les prolétaires qui exercent la dictature, oui, on peut le dire ; mais c'est complètement secondaire. Si l'on veut dire que les prolétaires commencent à acquérir une certaine confiance en eux, oui, on peut le dire. Mais immédiatement après, il faut dire que ce n'est qu'un début et que c'est secondaire par rapport à toutes les difficultés et toutes les taches qui vont surgir dans la poursuite du mouvement vers la société communiste.

Et comme nous le voyons, nous essayons d'être le plus concret possible pour dire à quoi cela se rapporte et pour ne pas généraliser ces questions. Mais, le lecteur n'est pas au bout de ses découvertes. “ En fait, le principe fondamental de la contre révolution, (le principe de la contre-révolution car la contre révolution a un principe !!!) qui a commencé dans les années 20, a été la démolition de l'idée (l'idée !) même de confiance et de solidarit頔. Outre que cette phrase montre bien que nous sommes complètement dans le domaine de l'idéalisme et dans la sphère des idées, elle est entièrement fausse. C'est bien la première fois que l'on caractérise la contre révolution ainsi. D'une part, même pendant la contre révolution, la classe ouvrière a continué ses luttes. La classe ne disparaît pas comme pouvait le croire Vercesi (O. Perrone) et dans ses luttes elle montre encore sa solidarité de classe. En ce qui concerne la confiance en elle, il vaut mieux parler de la conscience et de la conscience qui se réduit “ en étendue ” puisqu'elle demeure au sein de petits groupes : les fractions communistes. Ainsi, elle demeure donc en profondeur parmi un nombre réduit de révolutionnaires. (Dans ce texte il est clair, comme nous l'avons déjà dit que l'on a remplacé ou confondu à tout moment le terme de conscience par celui de confiance).

Et le Hérault de ce texte ne se sent plus, il souffle une nouvelle fois dans l'olifant “C'est pourquoi les questions de la confiance et de la solidarité sont parmi les principales clés de l'ensemble de situations d'impasse historique ” (p.27) . Le rédacteur a fait là un jeu de passe-passe. Il a dit plus haut “ pour sortir de cette crise, (dans laquelle se trouve le prolétariat aujourd'hui depuis l'effondrement de l'Est) elle (la classe ouvrière) devra réapprendre la solidarité de classe (ici, le concept est précisé) re-développer une perspective historique etc.. ” (idem). Il n'est plus question de 'confiance' dans ce passage, mais ce terme va être réintroduit, immédiatement après, dans la phrase citée ci-dessus (on voit la gêne de son auteur et surtout son manque de rigueur dans la pensée). Mais la prestidigitation ou la malhonnêteté consiste dans le mariage des termes “ la solidarité de classe ”, avec le concept juste et plus précis de : “ re-développer une perspective historique ”.

Tout ce charabia et cet idéalisme basé sur des concepts abstraits, permet d'en arriver à l'idée que “ le CCI n'a jamais été capable de développer le type de solidarité vivante (..) qui constitue l'un des principaux composant de l'esprit de parti. ” L'on poursuit “ il y a une tendance spontanée dans la société d'aujourd'hui à se regrouper en clans, cliques et bandes. ” Enfin ! L'on en arrive où l'on voulait en venir et dire : “ le clanisme a donc constitué la principale expression de la perte de confiance dans le prolétariat dans l'histoire du CCI ”.

Bien joué, outre que, comme le dit Bordiga, en arriver à cette conclusion, voudrait dire que le CCI a toujours été une organisation de la bourgeoisie et qu'il a connu une “ crise communiste ” perpétuelle.

Sur un des points, le clanisme est contraire au mouvement ouvrier, il y a accord entre le CCI et Bordiga. Mais la conclusion est radicalement différente, Pour le CCI tous les problèmes organisationnels dans le mouvement ouvrier et donc dans le CCI n'ont été créés que par le clanisme. ( [5] ) Pour Bordiga comme pour tout le mouvement ouvrier, les problèmes dans le mouvement ouvrier proviennent d'une gangrène opportuniste.

III- Le CCI en tombant dans l'idéalisme tombe dans le moralisme petit bourgeois. Comment doit-on poser la question ?

En confondant, la politique avec la psychanalyse ou le cocooning, le CCI en arrive à défendre le moralisme petit bourgeois. Nous rappelons, en opposition avec ces nouvelles conceptions du CCI, que la question de la solidarité de classe dans les organisations ouvrières doit être posée comme pour la classe ouvrière, dans le sens d'une solidarité de lutte vers un but commun.

Comment la question de la solidarité s'est-elle posée dans la Gauche communiste ?

“3 En dépit de ce que pouvaient penser les individus composant ces noyaux, s'imaginant que ce qui les unissait était leur affinité affective, l'amitié, l'envie de réaliser ensemble leur vie quotidienne, ces noyaux ne survivront que dans la mesure où ils se politiseront, où ils deviendront des groupes politiques, ce qui ne peut se faire qu'en accomplissant et assumant consciemment leur destinée. Les noyaux qui ne parviendront pas à cette conscience seront engloutis et se décomposeront dans le marais gauchiste, moderniste ou se disperseront dans la nature. Telle est notre propre histoire. Et c'est non sans difficultés que nous avons suivi ce processus de transformation d'un cercle d'amis en groupe politique, où l'unité basée sur l'affectivité, les sympathies personnelles, le même mode de vie quotidienne doit laisser la place à une cohésion politique et une solidarité basée sur une conviction que l'on est engagé dans un même combat historique: la révolution prolétarienne. ” L'organisation révolutionnaire et les militants (Intervention de Marc Chirik lors des débats sur le rapport d'activités de la Commission d'Organisation de la section de Paris du CCI - novembre 1980. Les passages soulignés le sont par nous) ; Et plus loin, il précise “ Solidarité de combattants révolutionnaires veut dire autre chose que de garder un enfant afin de permettre à un couple d'aller un soir au cinéma. ”

Marc Chirik définit ainsi quels ont été les efforts du CCI pour passer des cercles d'amis à une véritable organisation politique (ce que renie le CCI actuel) et en quoi consiste la véritable solidarité qui n'a rien à voir avec la solidarité abstraite ou celle de l'amitié. Il s'agit d'une solidarité de classe au sein d'un combat politique prolétarien.

Et dans les “ Lettres de loin ”.

“3 Sur les rapports entre les militants. ” (septembre 1952)

“ La défaite profonde subie par le prolétariat après la grande vague révolutionnaire des années 1917-23 et l'orientation vers le capitalisme d'Etat ont ouvert un long cours de reflux de la lutte de classes.

Une telle période se caractérise par une destruction de la conscience de classe et détermine les conditions nouvelles particulièrement difficiles à la vie de l'élément militant de la classe.

Ces conditions sont: une rupture grandissante entre les militants et la classe, un isolement progressif en même temps qu'un éparpillement en nombreux groupes s'isolant et finalement une réduction numérique effroyable. Nous avons aujourd'hui derrière nous tout ce processus et nous pouvons mesurer toute l'étendue et la gravité de cette situation.

Ayant perdu ce qui était, ce qui constituait le sens de sa vie en tant que militant et la source où il puisait la force morale pour poursuivre sa tâche: la participation à l'action révolutionnaire pratique, concrète de sa classe, le militant voit d'abord réduire son activité à la propagande mais il ne tient pas longtemps dans cette position de repli. La victoire de l'ennemi de classe tend et parvient à transformer le lien unissant le militant et la classe, en une indifférence, en une franche hostilité de cette dernière au premier. L'activité du militant finit par se réduire presque uniquement pour ne pas dire totalement, à des recherches théoriques ou des petits cercles.

Rien d'étonnant qu'une grande partie des militants finissent à la longue à ne plus pouvoir résister à de telles conditions et cèdent sous une telle pression.

Un véritable rouleau compresseur passe sur les militants. L'élément ouvrier moins porté aux travaux purement théoriques, ne peut à la longue s'accommoder au manque total d'activité pratique, et s'en va. Les éléments "intellectuels" pour un "besoin d'extérioriser leurs travaux", tendent aussi à la longue à s'en aller. Tous éprouvent un sentiment pénible d'étouffement, de manque d'air d'activité, et chaque pas exige des efforts terribles et d'autant plus pénibles qu'on a du mal à se défendre contre un sentiment de doute que tout cet effort est en vain, peut-être...

Comment parvenir à résister et à se sauvegarder en tant que militant dans un cours pareil? La nécessité de résister est à la fois une donnée théorique et aussi une question de valeur et de tempérament individuel, le comment est une question pratique de volonté et d'organisation.

La société triomphe en excluant les militants, en les plaçant hors d'elle, matériellement et moralement. Les militants se défendent en s'excluant eux-mêmes, volontairement, en ordre organisé, de celle-ci, et ils réussissent d'autant mieux qu'ils parviennent le plus complètement à faire un tout uni de leur vie privée et de leur état de militant.

Les rapports du militant au groupe et des militants entre eux sont donc tout différents de ceux qui existaient dans une période antérieure. Une plus grande intimité, solidarité quotidienne, matérielle et morale, amitié affective, deviennent autant de fondements de ces rapports que leur communauté idéologique.

Ces fondements deviennent indispensables pour la sauvegarde individuelle du militant. Sans eux, l'écrasement sera fatal et total. Personne n'y résistera.

Mais aussi la réciproque est vraie. Si le militant ne peut trouver la force de résister qu'en établissant des liens affectifs, d'amitié de militants entre eux et à l'intérieur du groupe, tout manquement à ces liens retentit sur la vie du groupe comme sur celle des militants et entraîne des conséquences désastreuses pour l'existence même du groupe.

Ce qui était dans une autre période du ressort de l'individu est aujourd'hui du ressort de l'ensemble des militants groupés.

Pris superficiellement, ce qui vient d'être dit peut paraître une attitude "moralisante", tout au plus "psychologique". A regarder plus sérieusement, c'est là un aspect et un aspect important de la vie de la classe dans le présent. C'est uniquement en partant de considérations de classe que je voudrais attirer l'attention des camarades sur ce problème.

Nous avons vu que la condition de subsister pour les militants n'est pas dans un effort destiné à forcer l'isolement que la société lui impose. Il s'épuisera en vain. Il ne peut donc qu'accepter cet isolement, mais en le transformant en un isolement d'un groupe, à l'intérieur duquel se resserrent les liens entre les individualités. C'est là une position idéale. Sous la pression de la réalité, même les petits noyaux subissent encore la dispersion physique. Il ne reste alors que les contacts épistolaires. L'échange de lettres devient alors le principal moyen de relation. Nous reculons peu à peu. La correspondance même est de moins en moins chose aisée. Elle sera donc réduite au langage symbolique. Peut-être même devra-t-elle se simplifier demain à de simples échanges de nouvelles personnelles. N'importe. Il faut être préparé même à cela. Mais s'il faut accepter la nécessité des reculs et se préparer à d'autres, il serait catastrophique de céder à la première pression, et de faire d'un recul une déroute. Le pire est d'aller vers le moindre effort et accepter une cessation de correspondance. Je pense en écrivant cela aux camarades hors de France, chez qui on a pu observer une telle tendance. On peut concevoir toutes sortes de précautions et de restrictions, mais tant qu'une poste marchera, on ne saurait accepter un arrêt dans la correspondance. Au contraire, il faut l'activer. (…)

Dans les rapports entre les camarades il faut tendre plus à comprendre qu'à juger. Il ne faut jamais oublier qu'on a devant soi un militant et un militant dans la période terrible présente.

D'une façon générale, dans les rapports entre les camarades et dans leur conduite, il faut que soit toujours présent à l'esprit l'intérêt de classe et de la sauvegarde de ces militants dans la période présente.

Sans faire des analogies grossières, je pense pouvoir rappeler un certain testament d'Illich concernant Staline. (…) Fraternellement. ” Marc Chiric.

Contrairement à nos pontifes de la “ liquidation ” du CCI, que fait Marc Chirik ? D'abord il définit le cadre auquel on applique la question. Ensuite il met en avant la nécessité des groupes politiques : c'est au sein d'un groupe que s'exprime la solidarité révolutionnaire. Et enfin, il pose la question en termes politiques et uniquement dans “ l'intérêt de classe ”.

Nouvelle lettre de loin du 22 novembre 1952 :

“ Encore un point qu'il faut préciser avant d'entrer dans le corps du débat, c'est qu'en plus des arguments exprimés par Cousin [6] dans sa lettre et sur lesquels repose sa "ré estimation" du groupe, il y a d'autre faits qui ont influencé sa prise de position. Cela, certes, ne diminue en rien la force de ses arguments, mais il est nécessaire de mentionner ces autres faits afin de mieux comprendre la détermination de sa conclusion.

Ces faits s'expriment très puissamment dans la correspondance de Cardan [7] et ont été à la base de la résolution du 16 septembre 1950 que Cousin rappelle. De quel ordre sont-ils? Principalement deux:; le premier concerne la difficulté d'oeuvrer collectivement.. Le second se rapporte à "l'abus de la notion d'organisation se faisant sous le couvert de l'amitié et de la solidarité" comme le dit Cardan, qui cite "les histoires tristes de Mousso, Philippe, Peret, Guillaume, Laplanche. Celles à peine plus gaies de Munis ou de Jaunes, celle, sinistre des amis et compatriotes de Munis, tous ces heurts, ces contretemps ces problèmes sans solution, ces gaspillages d'énergie et ces remue-ménage impuissants". Et Cardan arrive, après ces constatations et l'impuissance des groupes de les sanctionner, à la conclusion: "Le groupe abrite souvent en son sein et défend comme membres, des individus qui l'alourdissent, et par là compromettent la vie de l'activité générale de son ensemble".

Personne ne s'avisera de contester et de minimiser ces faits. Je suis absolument d'accord avec Cardan pour dire que de tels faits sont de poids à "décomposer les groupes et à compromettre la vie de l'activité générale dans son ensemble". Il est absolument vrai que nous avons subi, impuissants à les sanctionner, toutes ces atteintes. Nous étions Cousin, Cardan et moi réunis ces dernières années, et malgré tous nos efforts, nous avons maintes fois constaté avec amertume notre impuissance à remédier à cet état de choses déplorables. Je comprends d'autant plus leurs réactions que je les partage entièrement.

(Je m'excuse de la tournure parfois moins "objective" moins "théorique et politique" de cette lettre, chose inaccoutumée dans la discussion "sérieuse", mais j'ai déjà eu l'occasion de constater et d'essayer d'expliquer les raisons qui font que dans la situation présente, doit nécessairement se faire un lien plus intime entre l'idéologique et le personnel du militant, dans le fondement de la vie d'un groupe.)

Et cependant il serait erroné de croire qu'il n'y a que cela sur le tableau. Il y eut des interventions d'un intérêt certain de notre part dans l'UOI (1 [8] )), au cours des tristes histoires de Munis que rappelle Cardan, intervention qui nous ont permis, pour nous-mêmes de préciser notre pensée et d'attirer l'attention des camarades de l'UOI, sur des conceptions nouvelles des rapports du militant au groupe et du groupe au militant, sur le problème de la discipline et des sanctions organisationnelles.

Je ne crois pas que les camarades Cardan, Cousin, méconnaissent ou puissent négliger l'intérêt de ces interventions. En dépit des Péret et des Munis, si les militants de l'UOI ne se sont pas dispersés et perdus, qu'ils subsistent ne serait-ce qu'en tant que cercle d'études, qu'ils étaient amenés à sortir de ces lamentables histoires pour se mettre à un travail de repenser les problèmes fondamentaux de la classe, c'est en bonne partie grâce à nos interventions, qui nous ont demandés des patiences soutenues. En dépit de tout, notre existence aussi réduite qu'elle soit, a eu des effets positifs. Ni Cousin, ni Cardan, ne le nieront et ne le nient d'ailleurs pas. Mais quand on fait déjà un bilan, il faut le faire entièrement. Bien sûr, pour des esprits "activistes", trotskysants de toutes sortes y compris les Chaulieu et Munis des premiers temps, tout au moins, y compris les bordiguistes d'il y a encore peu de temps, pour tous ceux qui "allaient aux masses" et méprisaient notre travail, de ce qu'ils appelaient de "docteur en chambre", ces résultats seraient jugés ridicules. Avec Philippe ( [9] ) ils peuvent aujourd'hui mesurer leur travail "large". Il ne reste rien qu'un peu de cendre et beaucoup de dégoût. Pour nous, qui savont les limites données aujourd'hui à l'activité de l'avant-garde et qui nous sommes imposés d'agir dans ces limites, la formation d'un militant dans son activité de pensée est un résultat important, le seul résultat que nous pouvons espérer obtenir aujourd'hui dans notre activité "extérieure". (…)

Toutefois (…), l'insuffisance criante d'une activité collective, la participation insuffisante de l'ensemble des camarades à la vie du groupe, et l'abus intolérable, les négligences, les tristes histoires, ne sont pas moins des faits réels, compromettant la vie déjà très difficile d'un groupe. J'ai essayé encore dans ma dernière lettre d'aborder ce sujet. Il faut reconnaître que malgré nos efforts qui doivent être constants contre ces défauts, nous ne parviendrons qu'à limiter leurs effets, sans pouvoir y remédier radicalement. C'est un état déplorable, mais en partie inévitable dans les conditions présentes. Il faut en partie se résigner à subir aussi cet état de choses, comme nous subissons l'ensemble des conditions. En tout cas il serait inconcevable de s'appuyer sur cet état pour conclure à la nécessité de dissolution du groupe. ”

Que pouvons nous encore tirer de ces passages ? Un groupe politique n'existe pas pour lui-même ou pour ses militants et la question de la solidarité politique même si elle existe réellement ne doit pas passer avant la politique. Beaucoup avait reconnu qu'il était impossible de travailler dans un corps collectif avec Munis. Vers la même époque, dans sa lettre du 22 novembre 1952 à Malaquais, Marc Chirik s'était élevé contre "l'abus de la notion d'organisation sous le couvert de l'amitié et de la solidarité", contre les sinistres histoires des amis de Munis, et les membres de la GCF étaient las des gaspillages d'énergie provoqués par ces individus qui "alourdissaient" la vie du groupe, "compromettaient" son activité et faisaient peser le risque de "décomposer" l'activité politique. Et la lettre poursuit, ci-après, en développant la question en différenciant les périodes d'existence de Fraction ou de Groupe et les différentes fonctions et taches au cours de ces périodes.

“ 4) S'il a comme tâches en partie celles de la Fraction, à savoir: réexamen de l'expérience, formation des militants, il a en plus celle de l'analyse de l'évolution nouvelle et la perspective nouvelle, et en moins celle de reconstruire le programme du futur Parti. Il n'est qu'un apport à cette reconstruction, comme il n'est qu'un élément du futur Parti. Sa fonction dans son apport programmatique est partielle dans sa nature organisationnelle.

Dans un sens, dans un rapport interne de son activité, il est plus appelé à construire qu'à maintenir, et en cela il est plus que la Fraction. Mais dans un rapport de la partie au tout, dans un rapport du futur programme, il n'est qu'une participation à côté d'autres groupes. Et dans ce sens il est moins que la Fraction.

De là aussi découle une différence de rapports nécessaires d'un groupe envers d'autres. Il ne tend pas à leur destruction (position bordiguiste d'après guerre) mais à établir le maximum de contacts et de collaboration pour des discussions de clarification la plus large. C'est le rapport d'un élément à d'autres éléments constituant ensemble l'avant garde révolutionnaire.

5) Les contacts avec des militants isolés et la solidarité entre les militants. Cette tâche existait aussi dans le type de Fraction mais était une chose supplémentaire, secondaire. Mais dans le groupe (autrement dit dans la période présente) cette tâche de sauvegarde physique et politique des militants s'élève à la hauteur de première importance.

Par cette brève énumération nous pouvons déjà voir la différence qui existe entre le Groupe et la Fraction. Ce qui est identique est exactement ce qui fait la distinction de notre période. C'est un ajustement de la vie politique et idéologique de la classe à la période. Mais si élémentaire soit-il, le groupe reste un organisme politique. Pour qu'une situation vienne, où toute forme organisée est impossible, il faut envisager une période où disparaît définitivement toute possibilité de perspective du socialisme, le prolétariat ayant été rayé définitivement comme sujet historique? Alors, et alors seulement l'impossibilité de l'existence de toute forme organisée serait fondée théoriquement. Mais alors aussi disparaîtraient les militants individuellement pour ne laisser la place qu'à des hommes révoltés. Jusqu'alors, et tant que le prolétariat subsiste, existent objectivement la possibilité et la nécessité d'un organisme d'expression politique. ”

IV – Notre morale : une seule ligne de conduite celle qui permet le plus grand développement de la conscience de classe

 Pour le CCI actuel, il faut s'engager dans la voie de “ l'indignation révolutionnaire ”, de la “ solidarité humaine ” et il a plein la bouche de notion comme “ la dignité révolutionnaire ” ou au contraire les camarades “ voyous ” qu'il faudrait dénoncer, comme il aime à le ressasser. Voilà au nom de quoi il rejette et brûle non seulement la notion même de combat de fraction mais également tous ses principes fondateurs telles, entre autres, les concepts politiques de “ solidarit頔 ou de “conscience ” de classe auxquels il substitue des conceptions empruntées de toute pièce aux valeurs assénées par la bourgeoisie. 

“ Pour nous, dit Lénine, la morale est subordonnée aux intérêts de classe du prolétariat ”.

“ Serait-ce (l'idéaliste) que, dans la lutte de classe contre le capitalisme, tous les moyens sont permis ? le mensonge, le faux, la trahison, l'assassinat, etc.. ?'. Nous lui répondrons : ' Ne sont admissibles et obligatoires que les moyens qui accroissent la cohésion du prolétariat, lui insufflent dans l'âme une haine inextinguible de l'oppression, lui apprennent à mépriser la morale officielle et ses suiveurs démocrates, le pénètrent de la conscience de sa propre mission historique, augmentent son courage et son abnégation. Il découle de là précisément que tous les moyens ne sont pas permis. Quand nous disons que la fin justifie les moyens, il en résulte pour nous que la grande fin révolutionnaire repousse d'entre ses moyens les procédés et les méthodes indignes qui dressent une partie de la classe contre les autres, ou qui tentent de faire le bonheur des masses sans leur propre concours, enfin diminuent la confiance des masses en elles-mêmes et leur organisation en y substituant l'adoration des chefs. ” (Leur morale et la nôtre – Trotski)

Sont indignes pour des révolutionnaires les moyens qui poussent une parti de la classe contre une autre : l'exclusion .

L'exclusion de la classe ou dans sa propre organisation.

La “ réduction ” infernale commence où ? On en arrive au point où les révolutionnaires ne trouvent de semblables qu'à l'intérieur de leur propre organisation., parmi ses camarades de parti ou d'organisation. La “ régression va se poursuivre jusqu'au moment où la juste ligne politique, la seule vérité, les seules valeurs de l'avenir ne seront plus que portées par un individu dans l'organisation. Cela peut entraîner l'obéissance sans question ni débat l'ombre d'un doute apparaîtra à celui que le décèle comme un germe de corruption, de péché.

On en vient à frapper dans le parti ou l'organisation ceux dont la ligne politique diverge ou les groupes minoritaires.

En URSS le tournant a été franchi en 1921 au Xème congrès du PCUS avec la suppression du droit des fractions. La décision était envisagée comme une mesure temporaire en considération d'une situation exceptionnelle.

Seulement il n'y a pas eu de retour à la normale.

A la place de la discussion qui permet de progresser du fait du fruit de la réflexion collective, ce qui s'est développé c'est l'accusation de manquer à la discipline, de violer l'accord, de comploter, de trahir le parti et le socialisme.

De nouveau rapports s'instauraient et une autre morale : un parti où la discussion était de droit s'engageait sur la voie du monolithisme. L'équilibre toujours délicat à instaurer entre la participation de tous à l'élaboration des positions politiques et la nécessaire unité dans l'action, s'était rompu. L'opposant devenait fatalement celui faisant le jeu de l'ennemi, il est passible de tous les moyens de guerre en usage contre un ennemi.

Sont indignes les moyens qui ne permettent pas le développement de la clarté politique et le maximum de conscience.

Pour le mouvement ouvrier et le courant marxiste, il est entendu que ceux que l'on critiquaient et qui étaient mis en minorité, non seulement n'étaient pas éliminés mais encore apportaient une contribution effectivement à la prise de décision et à l'élaboration de la pensée révolutionnaire. C'est ce que le CCI a toujours défendu quand il développe des polémiques politiques dans le camp prolétarien.

On peut citer l'exemple du parti bolchevik qui a toujours été parcourus par des luttes de tendances et de fractions, or, à partir de 1921 dans le bureau politique du PCUS, là où du vivant de Lénine les progrès politiques et théoriques se faisaient par un apport réciproque et mutuel entre la pensée de tous ses membres, la dégénérescence est survenue quand cette méthode non seulement a été supprimée mais encore combattue. Ce fut la négation de toute discussion, de tout apport entre les membres de l'organisation.

Dès lors, de la discussion libre on a abouti à la tyrannie la plus féroce.

Sont indignes les méthodes de terrorisme moral.

Quand l'on n'y prend garde, une organisation peut très vite ne vivre qu'en tournant sur elle même. Dans certaines circonstances peu favorables à la lutte de classe, la limite entre rigueur organisationnelle et rigorisme est étroite. La vie de l'organisation peut se dérouler comme un immense spectacle de propagande dont les procès sont à la fois le symbole et un concentré d'erreurs. Ce fonctionnement devient un moyen d'emprise sur les militants. Les acteurs en sont tous les participants : avec ces enquêtes, des juges des procureurs et des accusés s'ils sont consentant.

Les accusés sont 'détruits' s'ils n'y prennent garde, pris entre les injures jusque dans les organes de presse (peut être même la violence physique) et par des politiques de séduction ou de flatterie pour reconquérir les égarés qui se demandent s'ils ne sont pas en train de flancher. Dans certaines circonstances ils sont sommés de choisir. Toute cette logique et ses dérapages sont inadmissibles dans une organisation révolutionnaire et rappellent à l'envie les procès de Moscou ou les moeurs des organisations trotskistes des années 1950-80. Le terrorisme moral qui peut aboutir au terrorisme tout court n'a pas lieu dans le mouvement ouvrier .

Perrone (animateur de la fraction italienne dans les années 1930) écrivait sur la période de transition au communisme (la question de l'Etat, Octobre n° 2, 1938) et nous pouvons le transposer ici. “ Il y a évidemment des moyens qui sont propres au capitalisme et qui répugnent au prolétariat, telle la violence ”. Et plus loin ; (le parti du prolétariat) “ perd (s)a substance pour en acquérir une capitaliste dès que, pour écarter l'influence ennemie, (il) fait recours aux moyens dictatoriaux qui sont le propre du capitalisme.

L'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes, a dit Marx, et cette formule centrale du socialisme est, pour nous, autre chose qu'une conception pour justifier les brimades à l'égard des travailleurs qui suivent d'autres conceptions.

ELLE REPRESENTE LE PRINCIPE FONDAMENTAL DU PROLETARIAT. ” (en majuscules dans le texte original).

C'est pourquoi nous sommes entièrement d'accord avec Marc Chirik quand il défend, dans la dernière “ lettre de loin ”, à la fin de l'année 1952, l'idée que :

“ Nous nous prononçons contre le recours aux moyens organisationnels pour solutionner des divergences, parce que ces moyens ne font que fausser la solution qui se trouve uniquement dans l'élévation de la conscience révolutionnaire. ” C'est la raison pour laquelle même si notre fraction avait tort au niveau des idées politiques, ce qui n'est pas le cas, l'existence d'une fraction se justifie pleinement contre l'exclusion d'un groupe de militants mais surtout quand l'organisation pose les questions politiques uniquement en termes de discipline. Quant à nous, nous posons la nécessaire résolution d'une “ crise communiste ” en termes de débat politique qui est l'unique moyen pour “ l'élévation de la conscience révolutionnaire ”. Et sur ce principe communiste, il ne faut pas déroger d'un poil. C'est d'intransigeance totale qu'il faut faire preuve.

Le 4/11/02


La méthode spéculative du CCI "démontée" par Marx

"Dans le mouvement ouvrier, le clanisme a presque toujours eu pour origine la difficulté de différentes personnalités à travailler ensemble. C'est pourquoi les attitudes claniques apparaissent souvent à des moments où arrivent de nouveaux membres ou de formalisation et de développement des structures organisationnelles. Dans la première Internationale, c'était l'incapacité du nouveau venu, Bakounine, « à trouver sa place » qui a cristallisé des ressentiments préexistants envers Marx. En 1903, au contraire, c'est la préoccupation du statut de la « vieille garde » qui a provoqué ce qui est devenu, dans l'histoire, le menchevisme". ( Revue internationale 111, p. 29).

La citation de La Sainte famille de Marx qui suit, détruit point par point la méthode spéculative idéaliste utilisée par l'actuel CCI. Nous avons remplacé le mot « mystère » employé par Marx par le mot « clanisme » en nous référant à la dissolution par le CCI actuel dans son texte sur La confiance, des crises organisationnelles du mouvement ouvrier comme produites par le clanisme et la jalousie (cf. la citation ci-dessus). Nous aurions pu tout aussi bien le remplacer par « confiance », par « décomposition », etc. en y reliant les phénomènes réels qui s'y rapportent. Le résultat eut été le même.

"Jusqu'ici, M. Szeliga a dissout des rapports réels (...) dans la catégorie du mystère [du clanisme], et il a, de cette façon, fait [« du clanisme »] la substance; mais c'est maintenant seulement qu'il s'élève à un niveau vraiment spéculatif, au niveau de Hegel, et qu'il métamorphose [« le clanisme »] en un sujet autonome qui s'incarne dans les situations et les personnes réelles [dans l'histoire réelle du mouvement ouvrier] (...). Après avoir engendré, à partir du monde réel [de l'histoire réelle des organisations communistes], la catégorie du [« clanisme »], il crée le monde réel [l'histoire des organisations] à partir de cette catégorie (...). [C'est alors que) M. Szeliga fait enfin commencer [au clanisme] sa carrière spéculative".

La démonstration de Marx continue. Mais, au paragraphe suivant, il passe de l'exemple de la catégorie « mystère » à la catégorie « fruit » pour la clarté de la démonstration. Nous avons donc remplacé « fruit » par « clanisme » :

"Après avoir, des différents fruits réels [des différentes crises organisationnelles du mouvement ouvrier], fait un [clanisme] de l'abstraction - le [« clanisme »] - la spéculation, pour arriver à l'apparence d'un contenu réel doit donc essayer, d'une façon ou d'une autre, de revenir du [« clanisme »] de la substance, aux réels fruits profanes [aux réelles crises organisationnelles de l'histoire du mouvement ouvrier] de différentes espèces (...). Or, autant il est facile en partant des [crises réelles], d'engendrer la représentation abstraite du [clanisme], autant il est difficile, en partant de l'idée abstraite du [« clanisme »], d'engendrer les [crises réelles]. La philosophie spéculative va donc renoncer à l'abstraction du [« clanisme »], mais elle y renonce de façon spéculative, mystique, en ayant l'air de ne pas y renoncer (...). La joie spéculative consiste donc à retrouver tous [toutes] les [crises organisationnelles réelles], mais en tant que [crises] ayant une signification mystique supérieure, sortis de l'éther de votre cerveau et non pas du sol matériel, incarnations «du [clanisme]», du sujet absolu. " (Le mystère de la construction spéculative, Editions sociales).

Après la réduction, la "dissolution", de toutes les crises organisationnelles du mouvement ouvrier dans la catégorie clanisme, nos liquidationnistes pour "arriver à l'apparence d'un contenu réel" sont obligatoirement amenés à ignorer, à déformer, et finalement à travestir l'histoire réelle de ces crises : le combat de Marx contre Bakounine réduit à un combat "contre le parasitisme" ; le combat de Lénine contre le menchévisme réduit à une lutte contre le clanisme. ; l'histoire falsifiée des fractions comme nous l'avons démontré dans le bulletin  14, etc... Est-il besoin de souligner ici qu'il en va de même pour l'histoire des crises du CCI ?


Notes

[Note 1] Relevons en passant que contrairement aux justifications d'exclusion de notre fraction du CCI pour clanisme et absence de divergences politiques, ce texte comme d'autres vient démontrer qu'existaient bien des divergences politiques qui ont été exprimés et qu'au nom de la lutte contre le clanisme, la faction liquidationniste a refusé de mettre en discussion et a fini par censurer.

[Note 2] . Adorno a abordé le phénomène indiqué ici par Bordiga ; et de ce phénomène, il a ébauché une théorie du racket.

[Note 3] . C'est d'ailleurs le premier commentaire-critique spontané qui s'est exprimé au sein du CCI, et dont nous étions entre autres les porteurs, lorsque ce texte commençait tout juste à être mis en discussion (année 2001). Mal nous en pris : la discussion fut immédiatement stoppée et les arguments que nous avancions, rejetés comme irrecevables, « critique-critique », et motivés par notre supposée « haine clanique » .

[Note 4] . Mais peut être que, là aussi, il faut remplacer 'confiance 'par 'conscience'.

[Note 5] . C'est vraiment un désarmement complet de tout le combat de Marx contre Bakounine par exemple. Marx a tiré des leçons plus fondamentales par rapport à l'anarchisme, par exemple. Il en est de même pour le CCI, le combat mené contre Bérard par exemple (1974), comporte des leçons autrement plus importantes sur la question de la centralisation et contre le « modernisme ».

[Note 6] Membre d'Internationalisme, de son vrai nom Serge Bricianer.

[Note 7] . Membre d'Internationalisme, il ne s'agit pas de Chaulieu ou Castoriadis qui prendra ce pseudo plus tard.

[Note 8] (1) "Union Ouvrière Internationaliste" le groupe de MUNIS qui avait rompu avec le Parti trotskyste en 1947. Après avoir rompu rapidement avec Munis et Péret le groupe s'est maintenu en tant que cercle puis a constitué dans les années 60 le groupe de Maximilien Rubel qui publiait les "Cahiers du Socialisme des Conseils"

[Note 9] ( ) Autre membre d'"Internationalisme" qui l'avait quitté pour joindre "Socialisme ou Barbarie" en donnant pour seule raison "la possibilité d'un travail plus large".


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