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DEBAT AU SEIN DU CAMP PROLETARIEN
Guerre impérialiste ou révolution prolétarienne :
La décadence du capitalisme et le marxisme (2ème partie)
II- L’héritage de l’Internationale communiste

L’Internationale communiste est née sous le signe d’une nouvelle époque marquée par l’alternative historique que les révolutionnaires avaient déjà annoncée. Elle se concrétisait, à l’échelle de l’ensemble de la société capitaliste, avec la première guerre mondiale et la vague révolutionnaire internationale qui l’a achevée et qui a ébranlé jusque dans ses fondations le régime de l’exploitation salariée.
"La guerre mondiale a placé la société devant l'alternative suivante : ou bien maintien du capitalisme, avec de nouvelles guerres et un rapide effondrement dans le chaos et l'anarchie ou bien abolition de l'exploitation capitaliste.
Avec la fin de la guerre mondiale, la bourgeoisie et sa domination de classe ont perdu tout droit à l'existence. La bourgeoisie n'est plus en mesure de tirer la société du terrible chaos économique que l'orgie impérialiste a laissé après elle. Dans des proportions énormes, des moyens de production ont été anéantis; des millions d'ouvriers ... ont été massacrés. Lorsque ceux qui sont restés en vie rentrent dans leurs foyers, ils voient devant eux le visage grimaçant du chômage, de la famine et des maladies qui menacent d'anéantir jusqu'à la racine la force populaire...
Pour échapper à cette confusion sanglante, pour ne pas choir dans cet abîme béant, il n'existe d'autre recours, d'autre issue, d'autre salut que le socialisme. Seule la révolution mondiale du prolétariat peut mettre de l'ordre dans ce chaos, donner à tous du travail et du pain, mettre un terme au déchirement réciproque des peuples, apporter à l'humanité écorchée la paix, la liberté et une civilisation véritable ; A bas le salariat ! Tel est le mot, d'ordre de l'heure...
A l'heure présente le socialisme est l'ultime planche de salut de l'humanité. Au-dessus des remparts croulants de la société capitalistes on voit briller en lettres de feu, le dilemme prophétique du Manifeste du Parti communiste : Socialisme ou retombée dans la barbarie !"
(Que Veut la Ligue Spartakiste ? Programme du Parti Communiste Allemand, R. Luxemburg 1918).
Face à la terreur de la guerre mondiale, la vague révolutionnaire internationale "se distingue par son ampleur sans précédent dans l'histoire. En mars 1917, le tsarisme est renversé. En mai 1917, orageuse lutte gréviste en Angleterre. En novembre 1917, le prolétariat russe s'empare du pouvoir de l'Etat. En novembre 1918, chute des monarchies allemande et austro-hongroise (...). En mars 1919, la République soviétiste est installée en Hongrie. Vers la fin de la même année, les Etats-Unis sont ébranlés par les formidables grèves des métallurgistes, des mineures et des cheminots. En Allemagne, après les combats de janvier et de mars 1919, le mouvement atteint son point culminant, au lendemain de l'émeute de Kapp, en mars 1920. En France, le moment de la plus haute tension de la vie intérieure arrive au mois de mai 1920. En Italie, le mouvement du prolétariat industriel et rural s'accroît sans cesse et mène en septembre 1920 à la mainmise par les ouvriers sur les usines (...). Le prolétariat tchèque, en décembre 1920, saisit l'arme de la grève générale politique. En mars 1921, soulévement des ouvriers de l'Allemagne centrale et grève des ouvriers mineurs en Angleterre (...). En Asie et en Afrique, il suscite ou renforce l'indignation révolutionnaire des nombreuses masses coloniales" (Thèse sur la situation mondiale, 3e congrès de l'IC, Les quatre premiers congrès de l'Internationale communiste, Réédition François Maspéro, 1975).
C’est ce changement d’époque dans le capitalisme, l’aiguisement de ses contradictions qui expriment sa limite historique, l’alternative historique cruciale pour l’humanité que cela implique, les événements d’importance historique mondiale qui le caractérisent ainsi que l’explication de ses fondements économiques et sociaux, que recouvre la notion de décadence du capitalisme. Et c’est dans le feu de ces événements, plus précisément dans la période des quatre premiers congrès de l’Internationale communiste, durant la première partie des années 1920, que la notion de décadence du capitalisme se généralise dans le mouvement révolutionnaire au travers des débats, des analyses et des résolutions de la Troisième Internationale, tant sur la situation mondiale que sur différents points de la nouvelle tactique que devrait adopter le prolétariat. Ces aspects étaient posés justement parce que les conditions du capitalisme avaient changé et qu’elles exigeaient une nouvelle tactique pour la lutte du prolétariat. Cependant, l’Internationale ne réussit à peine qu'à les poser. Dans le tourbillon des événements, quelques unes de ces questions ont été tranchées dans la pratique plus que dans la théorie, au prix de défaites et de désastres douloureux pour la classe ouvrière. Avec le reflux de la révolution, d’autres questions en suspens jusqu’à nos jours sont à la base des divergences entre les groupes du camp prolétarien actuel.
Cependant, avec le reflux de la vague révolutionnaire et le début des manifestations des premières tendances à la dégénérescence de l’Etat soviétique et des organisations de l’Internationale, la théorie de la décadence du capitalisme a aussi été peu à peu abandonnée. Ses partisans ont été combattus car elle ne s'accommodait pas des intérêts et des orientations politiques des " bolchévisateurs ", des nouveaux chefs de l’Internationale, qui incarnaient cette dégénérescence politique et qui étaient les précurseurs de la contre-révolution stalinienne. Ainsi, seuls quelques organisations et théoriciens qui étaient successivement expulsés de l’Internationale dégénérescente, ont maintenu dans leurs principes et leur programme la théorie de la décadence du capitalisme et ont continué à alimenter les débats sur cette question.
Voyons comment les modifications au sein de l’Internationale communiste sur la conception de la décadence du capitalisme ont correspondu à l’évolution politique même de celle-la.

1 - Entre le premier et le deuxième congrès de l’Internationale (1919-1920) : la révolution est à l’ordre du jour

La Troisième Internationale a surgi comme un organe de la révolution prolétarienne internationale. Pour ses fondateurs, l’alternative historique se présentait de manière concrète et inéluctable, les objectifs historiques de la classe ouvrière étaient une réalité immédiate. Face aux conséquences de la guerre mondiale et de la lutte de classes qui s’étendaient, la phase finale du capitalisme, son déclin, coïncidait avec sa chute définitive. Objectivement, il n’existait aucune différence entre l’une et l’autre. Tel était le sens de l’appel à la constitution de l’Internationale :
"La période actuelle est celle de la décomposition et de l'effondrement de tout le système capitaliste mondial et qui sera celle de l'effondrement de la civilisation européenne en général si on ne détruit pas le capitalisme avec ses contradictions insolubles. La tâche du prolétariat consiste à présent à prendre le pouvoir d'Etat (...). La situation mondiale exige maintenant le contact le plus étroit entre les différentes parties du prolétariat révolutionnaire et l'union complète des pays dans lesquels la révolution socialiste a triomphé" (Lettre d'invitation au Parti communiste allemand au 1e congrès de l'IC, idem).
Evidemment, la tâche du moment était celle de la direction et de l’organisation des détachements de la classe ouvrière qui se levait et luttait dans tous les pays. Ainsi, les résolutions les plus importantes du premier congrès de l’IC se réfèrent d’une part à l’objectif à atteindre : la dictature du prolétariat et la dénonciation de l’hypocrisie de la démocratie bourgeoise ; et d’autre part, à l’organisation de la classe ouvrière qui doit se baser sur la rupture avec l’opportunisme, c’est-à-dire avec les organisations de la Seconde internationale qui avaient trahi la révolution et s’étaient converties en l’instrument le plus important de la bourgeoisie pour freiner le mouvement de la classe ouvrière.
L’analyse de la situation mondiale sur laquelle repose sa fondation et son appel à la lutte révolutionnaire est frappante :
"Les contradictions du système mondial, auparavant cachées en son sein, se sont révélées avec une force inouïe en une formidable explosion : la grande guerre impérialiste mondiale. Le capitalisme a tenté de surmonter sa propre anarchie par l'organisation de la production (...). Le monopole supplante la libre concurrence.
Mais
[dans] la mesure même où (...), les contradictions, la concurrence, l'anarchie, atteignaient dans l'économie mondiale une plus grande acuité (...) la lutte entre les plus grands Etats conquérants conduisait, avec une inflexible nécessité, à la monstrueuse guerre impérialiste. La soif de bénéfices poussait le capitalisme mondial à la lutte pour la conquête de nouveaux marchés, de nouvelles sources de matières brutes, de la main d'oeuvre à bon marché des esclaves coloniaux. Les Etats impérialistes qui se sont répartis le monde entier (...) devaient révéler tôt ou tard dans un giganteque conflit la nature anarchique du capital. Ainsi se produisit le plus grand des crimes : la guerre du banditisme mondial (...).
L'extermination, la sujétion totale du prolétariat, un joug monstrueux, l'apprauvissement, la dégénérescence, la faim dans le monde entier, telle fut la dernière rançon de la paix sociale. Et cette paix a fait faillite. La guerre impérialiste est transformée en guerre civile. Une nouvelle époque est née. Epoque de désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur. Epoque de la révolution communiste du prolétariat. Le système impérialiste croûle.
L'humanité, dont toute la culture a été dévastée, est menacée de destruction. Il n'est plus qu'une force capable de la sauver, et cette force, c'est le prolétariat. L'ancien « ordre » capitaliste n'est plus (...). Le résultat final des procédés capitalistes de production est le chaos, et ce chaos ne peut être vaincu que par la plus grande classe productrice, la classe ouvrière. C'est elle qui doit instituer l'ordre véritable, l'ordre communiste. Elle doit briser la domination du capital, rendre les guerres impossibles, effacer les frontières entre les Etats, transformer le monde en une vaste communauté travaillant pour elle-même, réaliser la solidarité fraternelle et la libération des peuples"
(Plate-forme de l'Internationale communiste, 1e congrès, idem).
Il y a alors une convergence théorico-politique entre les différentes organisations révolutionnaires, en particulier entre le Parti bolchévique et la Ligue spartakiste. Cela se reflète dans la citation précédente où la base économique de l’analyse est prise de la théorie de l’impérialisme et de la tendance au monopole de Lénine alors que la définition des dangers qui menacent l’humanité et de l’alternative historique reproduit presque littéralement le programme de la Ligue spartakiste.
Le Second congrès, qui se tient en juillet 1920, continue ces tâches en essayant de définir la tactique du prolétariat pour la nouvelle période. Il se dédie principalement à la définition de l’organisation et du fonctionnement de l’Internationale : les conditions d’adhésion. Dans ses statuts, l’objectif est clairement annoncé :
"La nouvelle Association Internationale des travailleurs est fondée dans le but d'organiser une action d'ensemble du prolétariat des différents pays tendant à une seule et même fin, à savoir : le renversement du capitalisme, l'établissement de la dictature du prolétariat et d'une république internationale des soviets qui permettront d'abolir totalement les classes et de réaliser le socialisme..." (idem).
De même, il prend position sur les débats qui ont surgi dans le mouvement révolutionnaire autour de :
- la question de la fonction et de la structure organisationnelle des partis communistes : est-ce le parti ou les conseils ouvriers qui sont les organes de pouvoir de la dictature du prolétariat ?
- les luttes de libération nationale et le droit des nations à l’autodétermination : continue-t-il d’exister des mouvements nationaux progressistes ou sont-ils arrivés à leur fin ? La classe ouvrière doit-elle continuer à appuyer la formation de nations bourgeoises ou cela ne devient-il pas contre-productif pour ses objectifs ?
- le parlementarisme et la participation des révolutionnaires dans ceux-ci : la classe ouvrière doit-elle continuer à agir dans les parlements ou cela s’est-il converti en un facteur qui s’oppose à la lutte ?
- la fonction des syndicats : continuent-ils d'être un organisme de classe ou se sont-ils convertis en un instrument au service du capital ? Les ouvriers doivent-ils rester en leur sein et le parti essayer de les conquérir ou faut-il appeler à ce que les ouvriers les abandonnent et s'y opposent ?
Quant à l’analyse de la situation mondiale, l’IC reconnaît que, bien que la bourgeoisie mondiale essaie de stabiliser la situation (au travers du Traité de Versailles), les rivalités impérialistes annoncent déjà une nouvelle guerre de proportions bien plus grandes encore. Et que le capitalisme ne peut plus revenir à une situation de stabilité et de développement pacifique comparable au siècle passé.
".. Tous les fondements de la politique internationale ou intérieure sont bouleversés ou ébranlés. Pour le monde des exploiteurs demain est gros d'orages. La guerre impérialiste a achevé de détruire le vieux système des alliances (...). Aucun équilibre nouveau ne résulte de la paix de Versailles." (Manifeste du 2e congrès de l'IC, Le monde capitaliste et l'Internationale communiste, idem).
Alors que les puissances victorieuses se disputent la Russie, l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne, la France reste dépendante de l’Angleterre et des Etats-Unis. Ces deux dernières puissances se dressent comme les grands vainqueurs et leur rivalité pose déjà les bases pour le nouveau conflit :
"A la rivalité furieuse de ces deux géants dans le domaine des constructions navales s'ajoute une lutte non moins furieuse pour la possession du pétrole (...). La France s'est trouvée entraînée dans l'orbite de la Grande-Bretagne comme un satellite de deuxième grandeur : la Ligue des nations est pour elle un fardeau intolérable et elle cherche à s'en défaire en fomentant un antagonisme entre l'Angleterre et l'Amérique du Nord.
Ainsi les forces les plus puissantes travaillent à préparer un nouveau duel mondial. (...) Les petits Etats bourgeois récemment créés ne sont que les sous-produits de l'impérialisme (...). La lutte nationale, dans les domaines possédés par les vainqueurs, a atteint sa plus haute tension (...). La question nationale dans les colonies est encore plus grosse de menaces. (...) L'Europe officielle (...) telle qu'elle est sortie de la guerre et de la paix de Versailles, suggère l'idée d'une maison de fous"
.
La guerre future aura comme point de départ le point où la guerre précédente s'est arrêtée : on verra d'abord apparaître les avions et les tanks, le fusil automatique et les mitrailleuses au lieu du fusil portatif, la grenade au lieu de la baïonnette..." (idem).
Cette vision de l’IC sur une prochaine nouvelle guerre mondiale, encore plus dévastatrice que celle qui vient à peine de terminer, s’est révélée prophétique. Il est certain qu’en 1920, quand l’Allemagne était littéralement pillée par les vainqueurs, on ne pouvait prévoir qu’elle se relèverait aussi rapidement et reviendrait imposer ses objectifs impérialistes. Cela obligera finalement l’Angleterre à se mettre du côté des Etats-Unis malgré leurs intérêts économiques clairement opposés. Cependant la tendance à la guerre impérialiste généralisée s’exprimait déjà dans une série de rivalités de toutes parts d’Etats contre d’autres, dans le militarisme, et en général dans l'impasse économique dans lequel se maintenait le système et qui ne pouvait trouver de solution que dans une nouvelle boucherie mondiale (1).

2- Troisième et Quatrième congrès de l’IC (1921-1922) : le bilan de la révolution et la décadence du capitalisme

Le troisième congrès de l’Internationale doit faire face au fait que la vague révolutionnaire internationale a été freinée par la bourgeoisie.
"Pendant l'année qui s'est écoulée entre le 2e et 3e congrès de l'Internationale communiste, une série de soulèvements et de luttes de la classe ouvrière se terminent en partie par la défaite (avance de l'armée rouge sur Varsovie en août 1920, mouvement du prolétariat italien en septembre 1920, soulèvement des ouvriers allemands en mars 1921). La première période du mouvement révolutionnaire après la guerre (...) paraît être terminée dans une large mesure. Le sentiment de sa puissance de classe qu'a la bourgeoisie et la solidité extérieure de ses organes d'Etat se sont indubitablement renforcés" (Thèse sur la situation mondiale et la tâche de l'Internationale communiste, idem).
L’Internationale tire un bilan de la situation mondiale dans lequel elle reconnaît que la destruction révolutionnaire immédiate du capitalisme dans la vague de luttes qui vient de se dérouler, n’a pas été possible comme elle l’avait pensé. En échange, l’Internationale pousse plus loin la notion de la décadence du capitalisme en affirmant que ce système ne pourrait plus recommencer à fonctionner comme avant car la tendance à la destruction des forces productives qui s’est manifestée dans la guerre continuera à être présente à l’avenir. Et donc l’unique alternative pour l’humanité continuera à être la révolution internationale du prolétariat.
"Les deux dizaines d'années qui avaient précédé la guerre furent une époque d'ascension capitaliste particulièrement puissante. Les période de prospérité se distinguent par leur durée et par leur intensité, les périodes de dépression ou de crise, au contraire, par leur brièveté (...). Enserrant le marché mondial par leurs trusts, leurs cartels et leurs consortiums, les maîtres des destinées du monde se rendaient compte que le développement enragé de la production devait se heurter aux limites de la capacité d'achat du marché capitaliste mondial : la crise sanglante de la guerre mondiale devait remplacer une longue période menaçante de dépression économique avec le même résultat d'ailleurs, c'est-à-dire la destruction d'énormes forces de production" (idem).
Ensuite l’analyse se réfère à l’apparente reprise et au retour à la prospérité qui a suivi la guerre. Elle souligne que :
"Cependant, le relèvement de 1919-1920 ne marquait pas, au fond, le début de la restauration de l'économie capitaliste après la guerre, mais la continuation de la situation artificielle de l'industrie et du commerce, créée par la guerre..."
"Au prix de la destruction du système économique, accroissement de capital fictif, baisse de cours, spéculation, au lieu de panser les plaies économiques, le gouvernement bourgeois (...) réussit à éloigner le début de la crise économique au moment où s'achevait la crise politique (...). Ayant ainsi obtenu un répit important, la bourgeoisie crut que le danger de la crise était écarté pour un temps indéterminé."
(idem).
Nous trouvons là non seulement la distinction entre la période d’ascendance du capitalisme (antérieur à la guerre) et celle de son déclin, mais aussi une appréciation du changement dans les cycles économiques du capitalisme. Dans l’époque d’ascendance, ceux-ci se caractérisaient par de grandes périodes de prospérité par rapport aux brèves périodes de crise. Dans la nouvelle époque, cette tendance s’inverse : les périodes de prospérité ne peuvent qu’avoir une durée courte alors que les périodes de crise deviennent plus longues.
Cette position faisait partie du débat de l'époque sur la crise. A ce moment-là, déjà des critiques commençaient à surgir contre des positions de l'Internationale, critiques dans lesquelles on voyait une tendance à l'abandon de la lutte révolutionnaire. Certaines critiques auxquelles essaie de répondre la thèse citée, partaient de l'idée d'une crise permanente et définitive du capitalisme, idée qui, en outre, ne faisait que mener jusqu'à l'extrême la ligne de pensée développée au premier congrès de l'Internationale. Nous avons déjà précisé que nous n’avons pas l’intention dans cette série d’aborder le problème parallèle de la crise du capitalisme mais seulement de suivre le fil de la conception de la décadence dans le mouvement révolutionnaire. Cependant il est intéressant de rappeler comment Trotsky défendait cette thèse de l’Internationale :
"Ce seul mécanisme du développement capitaliste qui passe sans cesse des périodes de crises aux périodes de prospérité et ainsi de suite, montre combien l'opinion selon laquelle la crise actuelle ne peut que s'aggraver jusqu'au moment de la dictature prolétarienne -que celle-ci surgisse dans un, deux , trois ans ou plus- est fausse, superficielle, antiscientifique.
Les oscillations cycliques -disions-nous dans notre rapport au III° Congrès- accompagnent le développement du capitalisme dans sa jeunesse, sa maturité et sa décadence comme le tic-tac du cœur dure chez un homme dans son agonie même. (...) Quant à l'allure, à la constance, à la durée de cette animation elles dépendent de l'ensemble des conditions caractérisant la viabilité du capitalisme"
(Trotsky, Le flot monte, 1922).
Le point en débat dans ce document de Trotsky est, comme on le voit, la question suivante : la crise est-elle cyclique ou est-elle devenue permanente ? Mais ce qui nous intéresse de souligner pour le moment est comment il se réfère, explicitement, aux phases de développement du capitalisme : " jeunesse, maturité et décadence " comme un fait donné qui n’a pas à être mis en question.
Cette position devient encore plus évidente au Quatrième congrès où la théorie de la décadence s’énonce explicitement dans la Résolution sur la tactique de l’IC. Ainsi, le point 2 de cette résolution dont le titre est précisément la période de décadence du capitalisme, part du changement d’époque déterminé par les contradictions du capitalisme qui sont à la base de son développement, celles qui en s’aiguisant à l’extrême, se convertissent en source de destruction :
"... Le capitalisme, après avoir accompli sa mission de développer les forces productives, est tombé dans la contradiction la plus irréductible avec les besoins non seulement de l'évolution historique actuelle, mais aussi avec les conditions d'existence humaine les plus élémentaires. Cette contradiction fondamentale se refléta particulièrement dans la dernière guerre impérialiste et fut encore aggravée par cette guerre qui ébranla, de la manière la plus profonde, le régime de la production et de la circulation. Le capitalisme, qui se survit ainsi à lui-même, est entré dans la phase où l'action destructrice de ses forces déchaînées ruine et paralyse les conquêtes économiques créatrices déjà réalisées par le prolétariat dans les liens de l'esclavage capitaliste.
Le tableau général de la ruine de l'économie capitaliste n'est en rien atténué par les fluctuations inévitables qui sont propres au système capitaliste, dans son déclin comme dans son ascension (...). On peut prévoir nettement dès à présent que si la reprise actuelle de l'industrie n'est pas susceptible, même dans un avenir éloigné, de rétablir l'équilibre capitaliste ou même de guérir les plaies béantes laissées par la guerre, la prochaine crise cyclique, dont l'action coïncidera avec la ligne principale de la destruction capitaliste, ne fera qu'aggraver toutes les manifestations de cette dernière, et par conséquent aussi, dans une mesure extraordinaire, la situation révolutionnaire.
Jusqu'à sa mort, le capitalisme sera en proie à ces fluctuations cycliques. Seules, la prise du pouvoir par le prolétariat et la révolution mondiale socialiste pourront sauver l'humanité de cette catastrophe permanente provoquée par la persistance du capitalisme moderne. Ce que le capitalisme traverse aujourd'hui n'est autres que son agonie. L'écroulement du capitalisme est inévitable"
(4e congrès de l'IC, Résolution sur la tactique de l'IC, novembre 1922, idem).
S’expriment ici les aspects les plus généraux qui marquent l’époque de la décadence du capitalisme :
- la limite historique à laquelle il arrivait " après avoir accompli sa mission de développer les forces productives" ;
- l’entrée dans une phase où sa survie conduit à la guerre et à la destruction de la civilisation ;
- l’unique alternative pour la sauvegarde de l’humanité contre "cette catastrophe permanente provoquée par la persistance du capitalisme moderne" est la révolution mondiale.
Face à ce cadre, la question qui surgit n’est pas comment et pourquoi aujourd’hui quelques organisations révolutionnaires ont à la base de leurs principes une théorie de la décadence. Mais plutôt comment en est-on arrivé à la situation actuelle où cette théorie s’est convertie, si ce n’est en une rareté, au moins en un trait particulier de seulement quelques organisations ? Comment a-t-elle cessé d’être une notion reconnue en général dans le camp prolétarien ? La réponse est dans le reflux et dans le processus de dégénérescence de l’Etat soviétique et de l’Internationale elle-même.

3 - La bolchévisation de l’Internationale et la liquidation de son rôle révolutionnaire

L’objet de cet article n’est pas de retracer tout le processus de recul du mouvement révolutionnaire des années 1920. Il suffit de mentionner que la série de défaites des soulèvements prolétariens du début des années 1920, en particulier la défaite de la révolution en Allemagne, a conduit à l’isolement de la Russie soviétique. Le recul révolutionnaire a porté avec lui, en même temps, un virage politique dans le parti bolchévique et l’Internationale vers des positions chaque fois plus conservatrices et hésitantes : " front unique ", tentative d’alliance avec les sociaux-traîtres, alliances avec les bourgeoisies des pays " coloniaux ", combat chaque fois plus frontal contre les courants de gauche au sein de l’Internationale elle-même ; au milieu de concessions aux grandes puissances et de l’instauration de mesures de capitalisme d’Etat pour essayer de donner de l’air à l’Etat soviétique isolé et asphyxié, les conseils ouvriers disparaissaient alors que le parti bolchévique s’érigeait chaque fois plus comme un parti à la tête d’un nouveau capitalisme d’Etat, et l’Internationale se convertissait en un simple instrument de défense de sa politique nationale... Bien sûr, ce processus de lente dégénérescence de la révolution et de ses organes politiques n’a pas eu lieu sans une résistance acharnée dont l’expression la plus notable furent les organisations de la gauche communiste, celles qui, l’une après l’autre, étaient expulsées de l’Internationale.
L’adoption par une partie du parti bolchévique de la théorie du " socialisme dans un seul pays ", formule qui condensait l’abandon définitif, la trahison de la révolution mondiale et l’adoption d’une politique nationale impérialiste de la part de l’Etat soviétique et du propre parti bolchévique, marque dans l’année 1926 le début de l’ère de la contre-révolution stalinienne. Cependant ce point n’était que le couronnement d’un processus commencé quelques années auparavant et qui avait eu une impulsion particulièrement décisive avec la politique de la " bolchévisation " des partis de l’Internationale adoptée à partir du 5ème congrès en 1924.
De manière brève, nous pouvons décrire la bolchévisation comme la politique des dirigeants du Parti communiste russe dégénérant en vue de discipliner l'opposition agissant en son sein ainsi que le reste des organisations regroupées dans l’Internationale derrière la défense nationale qui, chaque fois plus, adoptait celle-ci et abandonnait les objectifs révolutionnaires. Bien sûr que cette discipline retombait en premier lieu sur les opposants qui continuaient à brandir haut le drapeau de l'internationalisme et de la révolution prolétarienne mondiale (principalement les fractions de gauche communiste et les groupes d’opposition regroupés autour des positions de Trotsky). La bolchévisation signifiait le début de la fin de la vie prolétarienne dans l’Internationale, la fin des débats, de la possibilité de critiquer les organes centraux, de la discussion théorique, au profit d’une soumission inconditionnelle à la Direction au nom de la... " discipline " (2).
Au plan théorico-politique, la bolchévisation a donné naissance au " léninisme ", la néfaste base idéologique des futurs partis staliniens. Selon la plateforme idéologique des bolchévisateurs :
"Lénine a été le plus grand disciple de Marx (...) mais le léninisme a enrichi le marxisme (...). Sans le léninisme, le marxisme révolutionnaire ne pourrait vivre aujourd'hui. Le léninisme est le marxisme de l'époque monopoliste (impérialiste) (...). Il est impossible d'assimiler le marxisme (...) sans prendre en compte les erreurs de nombreux marxistes éminents qui ont essayé d'appliquer le marxisme aux conditions de l'époque actuelle mais qui, dans cette tâche, n'ont pas eu de réussite. Il s'agit des erreurs des communistes de "gauche" en Russie, du groupe de marxistes hollandais (Gorter, Pannekoek) et aussi de Rosa Luxemburg. (...).
Une véritable bolchévisation est impossible sans vaincre les erreurs du luxemburgisme. Le léninisme doit être la seule boussole des partis communistes (...). Une déviation particulièrement dangereuse du léninisme est le trotskysme, une variété de menchévisme, qui allie l'opportunisme occidental à la phrase "radicale et gauchiste" (...). Le faire disparaître comme tendance, c'est appliquer le léninisme dans l'IC
3" (Thèses sur la bolchévisation, 5e Réunion plénière de l'Exécutif de l'IC, G.Zinoviev, traduites par nous de l'espagnol, Edición Presente y Pasado).
Brandissant le nouveau drapeau du " léninisme ", les bolchévisateurs ont non seulement transformé Lénine en une icône nationale-impérialiste mais aussi ont commencé une oeuvre de destruction, d’enterrement du marxisme, sur toute la ligne, sur tous les aspects, oeuvre qui sera couronnée peu après par le stalinisme. A partir de là, n’importe quelle fraction de gauche sera considérée comme une aberration et une déviation petite-bourgeoise. Seule la politique officielle du parti russe dégénérant pourra être considérée comme "vraiment marxiste-léniniste". Et là, de nouveau, nous revenons finalement à notre étude, la théorie de la décadence du capitalisme.
Pour les bolchevisateurs, il était crucial de briser le fil révolutionnaire du marxisme dans la mesure où leurs objectifs et positions politiques tournaient dans un sens contraire. Si la théorie du "socialisme dans un seul pays" obtint le triomphe final en 1926, déjà en 1924 les bolchévisateurs formulaient clairement que l'objectif du PC russe (et ensuite de toute l'Internationale) était la "création" du socialisme dans un seul pays, formule qui en réalité cachait l'abandon de la lutte pour la révolution mondiale en échange de la consolidation d'une nouvelle forme de capitalisme d'Etat à la tête de laquelle se trouverait la bureaucratie du parti, la nouvelle classe capitaliste. C'est ainsi que le cinquième congrès de l'Internationale énonçait déjà explicitement que "le Parti communiste Russe cherche à créer une société socialiste dans un Etat (l'URSS) entouré de toutes parts d'Etats capitalistes..." (Sur le problème Russe, 5e congrès de l'IC, traduit de l'espagnol par nous, Edición Pasado y Presente).
De là, l'attaque furibonde des bolchévisateurs contre le marxisme révolutionnaire, contre les gauches communistes toujours actives et, de manière particulièrement appuyée, même contre les théories de... Rosa Luxemburg. Cette attaque se déroule sous le couvert de la lutte entre le "léninisme" et le "luxemburgisme" qui n'était qu'une mystification créée par les bolchévisateurs eux-mêmes pour faire passer leurs positions contre-révolutionnaires.
Dans ce cadre, la notion de la décadence du capitalisme, telle que l'Internationale la formulait jusqu'alors, comme limite historique du capitalisme et comme période ouvrant l'alternative entre la révolution et la barbarie, devenait également inacceptable pour les bolchévisateurs, raison pour laquelle petit à petit il fallut aussi la rejeter.
Les documents du 5e congrès sont encore parsemés de référence à la notion de la décadence du capitalisme ce qui montre de nouveau jusqu'à quel point cette notion était étendue. Cependant apparaît une "nuance" qui en réalité constitue un virage dans sa compréhension. C'est formulé à la fin de l'analyse sur la situation mondiale :
"L'actuel moment de la période de déclin du capitalisme s'achèvera-t-il dans la chute de la bourgeoisie ou dans une nouvelle consolidation, relativement longue, de sa domination ?" (Sur la situation économique mondiale, 5e congrès de l'IC, juin 1924, traduit par nous de l'espagnol, Edición Pasado y Presente).
L'alternative historique de "barbarie ou socialisme" s'oppose de manière inopinée à la possibilité, pour le capitalisme, d'une "consolidation, relativement longue, de sa domination". Dans cette formule, s'exprime non seulement la défaite de la révolution prolétarienne internationale mais surtout la décision d'abandonner la lutte révolutionnaire au profit de la "coexistence" du "socialisme" avec le capitalisme. L'URSS prenait le cap du capitalisme d'Etat et de la contre-révolution.

4- Le stalinisme jette par dessus bord la théorie de la décadence du capitalisme

Le Sixième congrès de l'Internationale ne se tient qu'en 1928 quand le stalinisme a triomphé sur toute la ligne. Idéologiquement, le "léninisme" est déjà la théorie officielle. Et toutes les analyses se basent sur celle-ci. Les documents de ce congrès expriment déjà, plus qu'une analyse objective des conditions du capitalisme et de la lutte des classes, un sentiment idéologique, "doctrinaire", de compromis. Nous soulignons trois aspects qui, selon nous, marquent l'enterrement de la notion de la décadence du capitalisme dans l'Internationale déjà stalinisée.
Le premier est la notion de "crise général du capitalisme".
"Après la première guerre mondiale, le mouvement ouvrier a traversé diverses phases historique de développement, expression des différentes étapes de la crise générale du système capitaliste" (6e congrès de l'IC, Thèse sur la situation et les tâches de l'IC, traduites par nous de l'espagnol, Edición Pasado y Presente).
En réalité ici, on ne parle déjà plus de "crise" du capitalisme dans le sens traditionnel, comme crise économique, encore moins dans le sens de sa décomposition ou chute, mais plutôt comme état diffus, "général", qui peut même, dans le sens opposé, connaître des périodes relativement longues de "stabilité". Mais comme le capitalisme est supposé vivre en "crise général", cela évite l'analyse de la période à venir, d'aiguisement des contradictions économiques et sociales, ce qui fait que la prochaine période révolutionnaire reste aussi dans un nuage diffus. Ce concept de "crise générale du capitalisme" a simplement comme objectif de présenter la situation du capitalisme de manière contrastée par rapport au supposé "progrès" de la "construction du socialisme en URSS". Il s'agit d'un mécanisme idéologique pour maintenir les travailleurs attachés à la "patrie socialiste", c'est-à-dire pour les entraîner dans la défense de l'impérialisme russe contre les autres.
Le second aspect est l'utilisation grossière et dogmatique de l'oeuvre de Lénine. Tout doit être vernis de "léninisme". Ainsi on ne peut plus parler de la situation mondiale sans prendre comme cadre unique l'oeuvre de Lénine L'impérialisme, stade suprême du capitalisme. De là viennent les artifices théoriques pour mélanger la notion de l'impérialisme et des monopoles avec la baisse du taux de profit.
"La période du capitalisme industriel fut, en général, une période de 'libre concurrence' pendant laquelle le capitalisme évolua avec une certaine régularité et se répandit sur tout le globe (...). Cette période fit place, vers le début du 20e siècle, à celle de l'impérialisme, caractérisé par le développement du capitalisme par sauts brusques et par conflits, la libre concurrence cédant rapidement le pas au monopole (...). Les contradictions du capitalisme acquirent ainsi toute leur ampleur mondiale et leur expression la plus nette à l'époque de l'impérialisme (capitalisme financier) qui représente une nouvelle forme historique du capitalisme lui-même (...). L'emploi grandissant de machines compliquées, des procédés chimiques et de l'énergie électrique, la croissance de la composition organique du capital sur cette base et la chute du taux de profit qui en est la conséquence (...) provoquent la continuation de la course aux surprofits coloniaux et la lutte pour un nouveau partage du monde" (Programme de l'Internationale communiste - 6e congrès de l'IC, juillet 1928, Bureau d'éditions, nouvelle édition, 1935, les mots en gras sont de notre fait, les italiques de l'édition originale).
Ici, on abandonne définitivement la notion selon laquelle le capitalisme a atteint une limite historique et on y substitue une définition ridicule selon laquelle l'impérialisme est le changement d'une "période facile (?) de développement à une autre, sous forme de "sauts brusques". Le fond est de nouveau la reconnaissance de la survie indéfinie du capitalisme.
Finalement, paraphrasant de nouveau de manière grossière Lénine, on gomme la notion de décadence du capitalisme. "L'impérialisme a porté les forces productives du capitalisme mondial à un haut degré de développement (...). Mais la forme monopoliste du capital développe en même temps à un degré croissant les éléments de dégénérescence parasitaire, de pourriture et de déclin du capitalisme... L'impérialisme crée un type d'Etat rentier en voie de dégénérescence parasitaire et de putréfaction, et des couches entières de parasites vivant des coupons de rentes" (idem).
Ici, la décadence du capitalisme disparaît et, en échange, on dit maintenant que le capitalisme est dans sa phase de "haut degré de développement". Alors que le concept de "décadence" est juste conservé comme un trait secondaire du capitalisme qui, en outre, n'est pas particulièrement nouveau : l'existence d'une fraction de rentiers au sein de la classe capitaliste. Voilà ! Les staliniens ont été, outre les bourreaux de la révolution, de vrais maîtres de la prestidigitation.
Dans le camp prolétarien actuel, on pense parfois que la théorie de la décadence est une notion qu'ont développé seulement quelques groupes de la gauche communiste, en particulier la gauche germano-hollandaise, et aussi parfois même qu'elle est complètement étrangère au marxisme. Les partisans de cette théorie, comme le CCI avant qu'il ne commence à dégénérer, sont facilement étiquetés avec mépris comme "décadentistes" comme si défendre celle-ci était une vraie déviation. Mais en revenant sur les débats dans l'Internationale communiste, et en nous rendant compte que le concept de décadence du capitalisme était généralisé dans le mouvement révolutionnaire de l'époque au point d'arriver à être pour ainsi dire une position "officielle", nous pouvons voir l'importance cruciale qu'existent encore aujourd'hui des organisations qui maintiennent et développent cette théorie car elle est déterminante pour l'organisation et la tactique de la lutte du prolétariat.
Il est clair qu'il ne s'agit pas de maintenir une théorie de manière dogmatique. Elle a encore besoin d'un travail de clarification des problèmes qui n'ont été que posés quand est survenue la contre-révolution stalinienne ; un travail de clarification pour répondre aux possibles limites qu'elle peut connaître actuellement, aux critiques d'idéalisme qui lui sont portées, et aux déviations auxquelles elle est soumise aujourd'hui par différents groupes, en particulier par le CCI lui-même.
Ce travail de défense, de critique et d'approfondissement de la théorie de la décadence est indispensable. Encore plus quand, aujourd'hui, la principale organisation qui la soutenait, le CCI, tend à l'abandonner (4), et en particulier à abandonner la notion d'alternative historique guerre impérialiste ou révolution prolétarienne à laquelle il substitue son invention théorique d'une "troisième voie" historique possible (la fin de la société humaine dans une décomposition générale) dans laquelle les classes antagoniques iraient en se désagrégeant en emportant avec elles leur propre solution à la crise capitaliste au profit d'un effondrement du capitalisme au milieu de sa propre décomposition (5). Il est vraiment étonnant de voir comment, à chaque pas que nous faisons pour essayer de chercher les racines de la crise actuelle du CCI, nous rencontrons encore et encore des analogies -toute proportion historique gardée évidemment- entre nos actuels "liquidationnistes" et les "bolchévisateurs" de la Troisième Internationale. Concernant la défense de la notion de décadence du capitalisme par les "liquidationnistes", celle-ci semble les incommoder chaque fois plus, car l'analyse de la situation mondiale appelle encore et encore à la reconnaissance de l'alternative historique qui ne cesse de revenir au premier plan de la scène sociale. Nos amis liquidationnistes tel qu'on le voit dans leurs écrits, veulent chaque fois plus écarter cette alternative.
Dans le prochain article, nous aborderons le développement de la théorie de la décadence au sein de la gauche communiste qui est sortie de la Troisième Internationale.


Notes:

1. Il faut noter que la tendance vers une nouvelle guerre impérialiste, ne découle pas seulement, ni en premier lieu, des alliances impérialistes déjà formées ; mais au contraire, ces alliances peuvent être flexibles et changeantes jusqu’au dernier moment (et même au cours même de la guerre). C'est dans la nature impérialiste de ces alliances, dans les intérêts de chaque bourgeoisie nationale, qui peuvent virer de bord si cela convient à leurs intérêts.

2. Comme exemple de l’esprit de la bolchévisation, prenons un extrait de la résolution du 5ème congrès sur Souvarine  : "la commission fait remarquer, à l'unanimité : que le camarade Souvarine a commis des actes d'indiscipline de la plus grande gravité a) une déclaration dans le Bulletin communiste ; b) une lettre aux abonnés (...) contenant des attaques contre le Comité directeur du Parti ; c) la publication en marge des instances régulières (...) de la brochure de Trotsky intitulée Cours nouveau....". Comme on le voit, les actes graves d'indiscipline consistaient dans la diffusion de ses idées politiques. Après l'avoir accusé de petit-bourgeois, d'avoir mis en danger la discipline du parti, etc., la commission propose "de donner satisfaction à la demande d'expulsion de Souvarine (...et...) de laisser à la section française le droit de proposer au 6e congrès la réadmission de Souvarine (...) si celui-ci montre dans l'intervalle une conduite loyale envers le Parti et l'Internationale". Finalement, la leçon vaudra pour tous : "la commission (...) estime nécessaire une intervention énergique du Comité Exécutif élargi sous la forme d'une lettre ouverte aux membres du Parti pour leur rappeler le véritable sens de la discipline et les inviter à strictement la respecter" (Résolution sur Souvarine, 5e congrès, traduit par nous de l'espagnol, Edición Pasado y Presente).

3. Cette politique de bolchévisation pourra apparaître très familière aux camarades de l'actuel CCI : résolution des divergences par les mesures disciplinaires et les exclusions, sacralisation du "disciple élu", en opposition à ceux qui ont en permanence des "déviations petites bourgeoises". Que celui qui a encore des yeux pour voir, regarde !

4. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce point - nous espérons dans le prochain numéro de ce bulletin - et de montrer comment le CCI tend de plus en plus à l'abandonner au profit de sa nouvelle théorie de la décomposition, cette dernière telle qu'elle est développée et défendue aujourd'hui s'opposant et contredisant tout le fondement théorique et politique de la décadence.

5. Ce concept de "possible troisième voie" apparaît explicitement énoncé dans la résolution sur la situation internationale du 15ème congrès du CCI.


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