Home | Bulletin Communiste FICCI 21 | 

L'évolution aléatoire de ce qui fut une organisation marxiste (et donc déterministe)

Depuis quelques temps déjà les termes de "décomposition" et de "chaos" occupent une place prépondérante dans la littérature du CCI. Il ne s’agit pas essentiellement, cela va sans dire, du goût plus que douteux que pourraient avoir certains pour des mots fortement connotés de désespérance petite-bourgeoise ; cela va bien plus loin.
Que l’on utilise de temps à autre des termes aussi suggestifs pour marquer les manifestations les plus horribles et les plus désordonnés d’une société en crise profonde depuis plusieurs décennies, on le conçoit sans peine. Mais ce n’est pas cela qui se passe dans le CCI depuis quelques années ; les termes de décomposition et de chaos – qui sont d’ailleurs souvent utilisés indifféremment – ont été élevés plus qu’à la qualité d’outil d’analyse, ils sont devenus des concepts à part entière censés caractériser une période donnée de la société bourgeoise (1). La phase de décadence du capitalisme, mis en avant par Rosa Luxemburg et développée par la Gauche italienne, aurait cédé la place à cette nouvelle phase dont la caractéristique principale semble bien être que l’évolution de la société est devenue imprévisible, que l’alternative classique dégagée par le mouvement ouvrier – surtout depuis l’IC – "socialisme ou barbarie", "guerre ou révolution", que cette alternative n’a plus cours. Elle est remplacée par un système d’hypothèses hasardeuses, voir aléatoires. Il peut advenir : la guerre impérialiste, la révolution communiste ou bien encore un pourrissement sur pied de l’ensemble de la société. Et surtout, rien ne permet de déterminer le sens dans lequel se dirige la société, toutes les hypothèses envisagées conservant un nombre égal de chances de se réaliser.[ La 3ème surtout]
Les outils classiques d’analyse, l’étude de l’évolution du rapport de forces entre les classes, le fait même que l’état du rapport de forces entre les classes à un moment donné, combiné aux contraintes objectives de chacune de ces classes, conduise vers une issue prévisible, tout cela est jeté à la rivière et remplacé par le concept de décomposition qui aboutit concrètement à l’indétermination dans l’analyse et à l’abstention dans l’intervention.
Le problème du CCI n'est pas qu'il n'est pas déterministe au niveau de la perspective. La guerre et la révolution (qui sont les perspectives portées par les 2 classes principales et donc qui passent par la lutte de classes) sont progressivement écartées au profit d'une troisième - la fin du monde par décomposition et autodestruction - (qui ne dépend d'aucune classe et sur laquelle aucune classe n'a de prise). Il s'agit là d'une position clairement révisionniste (l'histoire n'est plus l'histoire de la lutte des classes).
La cause première de cette position est la perte (ou le rejet volontaire) de la boussole (la conception marxiste de l'histoire, la méthode du matérialisme dialectique) ; et c'est cela qui mène à l'indétermination, pas par rapport à ce qui est au bout du chemin (pour eux c'est la fin de l'humanité) mais par rapport au chemin lui-même. Donc, on ne peut pas dire que "toutes les hypothèses envisagées conservent un nombre égal de chances de se réaliser."
Arrêtons-nous un peu sur la notion de chaos.

Chaos, désordre et ordre bourgeois

Par un hasard - peut-être pas si curieux que cela - le terme de chaos que le CCI a pris la mauvaise habitude de mettre à toutes les sauces connaît aussi un certain succès dans d’autres domaines : les plumitifs bourgeois aiment à parler de chaos pour décrire les effets du capitalisme sur les territoires et les populations soumises à ses soubresauts guerriers ; les cambistes ont aussi recours à ce terme quand ils ne veulent ou ne peuvent avouer leur incompréhension des mouvements de capitaux à la bourse ; et même les sociologues et les "moralistes" à la petite semaine parlent de chaos qui pour évoquer la situation des banlieues ouvrières soumises à la misère et au chômage, qui pour se lamenter sur l’évolution des comportements sociaux collectifs de plus en plus marqués par les conditions d’exploitation et leur envers : les conditions de précarisation de l’ensemble de la société. On le voit, le chaos est sur toutes les lèvres et, surtout, sur celles correspondant à un cerveau aux raisonnements désordonnés. Le chaos est aussi mis en avant par les idéologues bourgeois (2), non par incompréhension de la réalité, mais pour chercher à masquer les responsables (le capitalisme et la classe dominante) des situations. Le marxisme, par contre, a une claire explication de tout ce qui se passe et surtout le moyen de résoudre.
Si l’on se fie au premier dictionnaire venu, le chaos est synonyme de désordre, de confusion, de cohue. Il peut s’agir aussi de bouleversements ou de troubles ou encore d’entassements confus et désordonnés. De quelque côté qu’on porte le regard il est évident que l’impression première que l’on tire du monde qui nous entoure est bien celle de désordre, de confusion : de chaos. Une démarche marxiste ne s’arrête pourtant pas à ce premier constat empirique et va plutôt chercher dans le mode de production capitaliste les causes et la logique de ce "chaos". Une telle démarche permet de saisir, derrière le désordre et le chaos apparents, la présence et l’action de l’implacable dictature du capital et de ses lois. Bien plus, au lieu de se perdre en conjectures sur les effets immédiats du chaos apparent, le marxisme saisit ce chaos comme l’effet momentané d’une loi d’airain et c’est de cette loi d’airain qu’il déduit la perspective que le chaos masque aux yeux des empiristes les plus plats et les plus bornés.
Mais allons plus loin dans la définition que l’on donne aujourd’hui du chaos. Les mathématiques qui, depuis environ 30 ans, en ont fait quelque chose comme une mascotte, définissent le chaos comme étant "un comportement stochastique se produisant dans un système déterministe". En clair, un événement aléatoire, irrégulier et imprévisible survenant dans un monde ou dans un cadre obéissant à des lois connues (ou connaissables). En plus clair et plus explicite encore : adopter le concept de chaos signifie que l’on admet – ou plutôt que l’on considère et revendique – que l’on ne peut rien dire de précis et de clair sur ce qui va ou peut advenir. Des forces sociales aux intérêts opposés peuvent soit s’affronter et aboutir à la victoire de l’une ou de l’autre, soit faire n’importe quoi d’autre. Voilà le sens mathématique réel et affirmé du chaos.
Mais, nous dira-t-on, que d’histoires pour un mot, pour un concept ! Attendez voir. Nous nous référons ici à un bouquin (Dieu joue-t-il aux dés ? Les mathématiques du chaos) de Ian Stewart qui passe pour être un des grands mathématiciens et vulgarisateurs du moment. Ce monsieur part du fait que, du point de vue scientifique actuel, "certaines questions non résolues, telles que le mouvement de trois corps soumis à la gravité [sont devenus] célèbres pour leur caractère impénétrable". Il se base là-dessus pour avancer l’idée que, puisque l’on n’est pas capable de définir les lois auxquelles obéissent ces trois corps et que leurs mouvements nous semblent imprévisibles (= chaotiques) nous nous trouvons dans un monde dont le devenir et le déroulement sont du domaine de l’aléatoire (3). Quant à ceux qui jugeraient que nous forçons un peu le trait en faisant le lien entre le domaine de la "recherche mathématique et scientifique pure" et le domaine de la politique prolétarienne, il nous suffira, pour les convaincre, de citer un autre passage de ce Monsieur :
"Ainsi, les «lois inexorables de la physique», d’après lesquelles Marx – par exemple – a essayé de modéliser ses lois de l’Histoire, n’ont jamais vraiment existé. Si Newton ne pouvait pas prédire le comportement de trois billes, comment Marx pouvait-il prédire celui de trois personnes ? Toute régularité dans le comportement de grandes assemblées de particules ou de personnes doit être statistique, et cela a un goût philosophique bien différent.…" (4) (Ian Stewart et Tim Poston, Analog, Nov. 1981).
Le but ici n’est pas de discuter ces propos atterrants de sottise suffisante et philistine. Relevons simplement au passage qu’il est tout aussi facile de rejeter Marx d’un revers de main en lui attribuant des idées, des positions et des conceptions qui n'ont jamais été les siennes que, par exemple, de rejeter les mathématiques dans leur ensemble parce qu’elles ne sont pas capables de donner le résultat de la somme de 3 carottes et 4 pommes de terre (le premier cuisinier venu y parvient bien plus aisément en faisant une soupe).
Que ces Messieurs se rassurent (ou plutôt qu’ils commencent à s’inquiéter sérieusement) Marx n’a pas "essayé de modéliser ses lois de l’Histoire" sur "les lois inexorables de la physique". D’abord il aurait probablement bien ri de voir des "grands savants" du 20ème siècle continuer d’écrire «histoire» avec un grand "H", lui qui a passé les premières années de son activité politique et théorique à chasser ces majuscules intempestives qui masquent (en même temps qu’elles révèlent) l’obsession idéaliste à inventer des concepts généraux abstraits ; Histoire, Homme, Idée, Absolu, etc. Autant de concepts que Marx a largement contribué à ranger dans le placard dont ils n’auraient jamais dû sortir.
Non seulement Marx aurait cherché à modéliser mais encore il aurait prétendu prédire "le comportement de trois personnes". Hé, bien NON, Messieurs les Béotiens ignares ! Marx (et l’ensemble du mouvement révolutionnaire qui se revendique de son œuvre) n’a jamais cherché à "modéliser" ni à "prédire" le comportement de 3 personnes. Il a, de façon beaucoup plus modeste et à la fois beaucoup plus ambitieuse, observé les processus sociaux se déroulant sous ses yeux, il en a cherché les mécanismes intimes et il en a tiré des lois ; lois qui se vérifient encore aujourd’hui à qui sait les appliquer à bon escient.
Il serait sans doute intéressant de chercher à analyser la logique qui a conduit les sciences actuelles dans cette impasse. En se fondant sur les lois historiques établies par Marx on parviendrait aisément à montrer que c’est l’impasse historique du système capitaliste qui se manifeste au plan de la superstructure idéologique : une classe sans avenir historique ne peut produire qu’une science (et une vision du monde) reflétant son absence de perspective.
Mais là n’est pas notre propos, revenons plutôt aux conceptions chaotiques du CCI !

Chaos du monde, chaos du CCI

Le monde est entré, depuis la fin des années 60, dans une profonde crise économique consécutive à la fin de la reconstruction d’après deuxième guerre mondiale. Cette crise de surproduction, provoquée par l’engorgement des marchés solvables, a contraint la bourgeoisie à s’attaquer aux conditions de la classe ouvrière afin de faire baisser le coût du travail (5), de devenir plus compétitive et donc de faire face à une concurrence de plus en plus féroce. Les attaques à leurs salaires et conditions de travail et de vie ont provoqué des réactions de la classe ouvrière et une période d’affrontements de classes importants s’est ouverte. Mettant fin à une période de contre-révolution de quelques 50 ans, un cours aux affrontements de classes a débuté.
De la fin des années 60 à la fin des années 80 on a assisté à une série d’épisodes de luttes ouvrières importantes marquées par des avancées et des reculs de la classe. Dans le même temps, la crise économique continuait de se creuser, la concurrence entre capitaux nationaux à s’exacerber et, conséquence de tout cela, les tensions impérialistes se sont aiguisées.
Pendant toute cette période d’environ 20 ans, les luttes ouvrières ont été présentes, culminant dans quelques sommets de combativité, de conscience, de prise en main des luttes. La vigueur de ces mouvements (en dépit de limites compréhensibles après une période de recul profond de plus de 50 ans) rendait impossible, pour la bourgeoisie, la mise en place de l’issue guerrière à la crise de son système. Elle n’empêchait cependant pas les tensions impérialistes croissantes de déboucher régulièrement sur des guerres qui, pour être maintenues dans le cadre de la discipline des blocs, n’en étaient pas moins terriblement meurtrières et barbares.

Le survol rapide de cette période, inspiré et repris scrupuleusement des analyses – parfaitement marxistes et donc déterministes -que développait alors le CCI, permet de dégager une première idée :
Pendant 20 ans, on a vu coexister des luttes ouvrières importantes et des guerres impérialistes sans que cela ne nous empêche en aucune façon de définir l’orientation générale de la société, le sens de son mouvement contradictoire ; un cours historique.
Il s’agit là d’un parfait exemple de démarche déterministe : au-delà des aléas et des faits contradictoires que l’on peut observer à tel moment, la nature même de chaque classe en présence, le rôle de chacune dans le processus de production, le fait que ce processus de production lui-même contient et engendre une contradiction insoluble entre le mode de production et le mode d’appropriation, ne peut qu’aboutir à un affrontement entre les deux classes déterminantes. On ne parle pas ici du rôle de la volonté ou de la conscience de l’un ou l’autre des protagonistes dans ce processus, dans cette issue. On parle de phénomènes qui sont aussi nécessaires qu’une éclipse de lune ou, plus exactement, qu’un tremblement de terre (6).
L’aspect de volonté ou de conscience ne peut intervenir qu’une fois reconnu le caractère nécessaire des phénomènes. Ainsi, ce n’est que si l’on reconnaît les lois du développement historique que l’on peut en tirer les conséquences pour ce qui concerne les tendances des forces de classe en présence et la nature de leurs relations. A partir de là, on est conscient de la dynamique de la société et de l’issue vers laquelle elle se dirige ; on définit un cours historique. Ce cours historique n’est pas un choix que l’on ferait entre plusieurs possibilités, ce n’est pas une hypothèse plus probable que les autres. C’est l’orientation générale que prend la société du fait de l’ensemble des forces différentes et parfois contradictoires qui agissent en elle.

Le cours, jusqu’à la fin des années 80, était aux affrontements de classes pour le CCI. Cette vision était strictement et rigoureusement marxiste.
Depuis, les choses ont considérablement changé et nous pouvons penser que ce n’est pas en bien, loin s’en faut !
La thèse en vigueur maintenant dans le CCI est celle du chaos, de la possibilité d’une troisième voie à côté de l’alternative classique guerre ou révolution. Cette troisième voie consiste en une sorte d’extinction de la contradiction par épuisement et "pourrissement sur pied" de l’une des forces en présence (ou des deux, on n’arrive pas à savoir). Cette thèse ou cette conception, ou cette théorie (on ne sait pas comment la qualifier) constitue ce que nous pouvons appeler un "bâton merdeux" ; on ne sait pas par quel bout le prendre.
Faut-il mettre en regard cette ‘nouvelle conception’ et la précédente définissant un cours historique ? Faut-il montrer que cette conception de chaos sort du cadre marxiste du déterminisme ? Faut-il expliquer l’impuissance à laquelle elle conduit sur la base de l’activité actuelle du CCI ?
Celui qui est en désaccord avec cette conception ne sait comment la réfuter pour la simple raison qu’elle n’affirme rien de précis. En disant que toutes les possibilités sont ouvertes il sera aisé (la mauvaise foi aidant) d’affirmer demain, quoiqu’il advienne, que l’on avait "prévu" cette éventualité.

La guerre surviendrait-elle ? Nous avions envisagé cette hypothèse, diront nos météorologues qui se mouillent le doigt pour prévoir les orages sociaux.
Ce sont les luttes ouvrières qui prennent l’ascendant ? C’était une de nos hypothèses les plus probables affirmeront-ils avec aplomb.
En attendant, "leur troisième voie", selon laquelle il est en somme possible que demain soit comme aujourd’hui, en pire, ils peuvent nous la servir à tout moment. C’est d’ailleurs ce qu’ils font depuis des lustres.
A y regarder de plus près, c’est là qu’on voit l’angle d’attaque, le bout par où prendre ce "bâton". Car non seulement ils nous servent leur brouet de manière constante, mais encore ils ne nous servent que cela et c’est ce qui leur permet de justifier le fait qu’ils ne font strictement rien d’autre (7).
La préparation de la guerre US en Iraq, au début du printemps 2003, a provoqué une opposition frontale entre les Etats-Unis et certains de leurs anciens alliés (Allemagne et France, notamment) et a suscité des réactions de protestation massives dans la population et en particulier la classe ouvrière. Réaction de nos adeptes de la troisième voie : presque rien, des généralités, une mobilisation minima de ces forces militantes.
Quelques semaines après, des mouvements de luttes s’engagent sur la question des retraites (en France et dans plusieurs pays européens). Réaction des zélateurs du chaos ? Il ne se passe rien d’essentiel hormis une manipulation syndicale. Les militants sont à peu près totalement absents du combat.
Mais, même avant cela, lorsque les ouvriers argentins se sont révoltés aux côtés de l’ensemble de la population du pays face à une aggravation considérable de leurs conditions de vie, ils n’ont rien trouver de mieux à faire que de dénoncer ces luttes comme "inter-classistes". Bonne occasion, encore, de ne rien faire.

Il apparaît donc clairement et objectivement que leur innovation chaotique a déjà un premier effet, une première conséquence : ils sont absents du terrain de la classe, ils ne prennent pas parti dans la lutte et le justifient en dénigrant ceux qui se battent.
Mais il y a une certaine logique là-dedans et ce n’est pas du point de vue "mouvementiste", en adeptes de l’activisme, que nous portons notre critique. Si l’on perd de vue la nature et l’importance des enjeux, si l’on "oublie" qu’il y a des forces sociales qui s’affrontent, que chacune des classes en présence est porteuse d’un projet de société, d’un avenir spécifique, l’implication dans le combat n’a plus la même nécessité impérative.
Or, en ouvrant l’hypothèse d’une "troisième voie", d’une société humaine s’acheminant doucement vers sa propre destruction, les liquidationnistes n’ajoutent pas une troisième possibilité au devenir de la société. Ils substituent cette "solution" à toute autre ! Qu’est-ce à dire ?
Soit on considère le cas de figure "classique" du point de vue marxiste : il y a deux forces sociales en présence, deux classes dont les intérêts sont opposés en même temps que ces deux classes existent l’une par l’autre dans un mode de production et des rapports de production qui lient leurs sorts. La contradiction entre ces deux forces sociales ne peut déboucher que sur un affrontement dont l’issue ne peut être que la victoire de l’une ou de l’autre : guerre ou révolution, socialisme ou barbarie. On peut, bien sûr, envisager des périodes où la contradiction se manifeste moins fortement. On peut aussi prendre en compte des phases dans lesquelles un équilibre se fait entre les forces en présence. Mais les deux forces sont toujours là et l’immobilité ne correspond pas à l’absence de forces s’exerçant sur le système mais au fait que les forces s’équilibrent pour un temps. Bientôt, pourtant, d’autres facteurs interviennent, la crise s’approfondit, un conflit éclate ici ou là, un pays impérialiste essaie de marquer des points sur ses adversaires, etc. Et l’équilibre momentané est rompu, les forces sociales ne s’équilibrent plus exactement et l’énergie potentielle devient cinétique.
Soit on considère - autre hypothèse, autre cas de figure – que "la société pourrit sur pieds", que le chaos gagne du terrain. Alors il faut être clair : il n’y a plus de forces sociales opposées et dont les intérêts sont contradictoires. Il n’y a plus de prolétariat (ni de bourgeoisie si l’on veut être totalement cohérent) il n’y a plus que des pauvres et des riches, des travailleurs et des profiteurs, etc. En somme des êtres humains dont les uns travaillent et les autres profitent de leur travail ; des êtres humains qui peuvent, à la limite, être considérés comme des groupes humains. Mais sûrement pas des classes sociales, pas de prolétariat et de bourgeoisie. Parce que s’il y a des classes sociales, s’il y a une bourgeoisie et un prolétariat, il y a opposition inconciliable entre les deux, il y a deux projets de société qui s’opposent et cette opposition n’est ni le produit de la volonté de l’une ou l’autre classe, n’est même pas un état de fait. Cette opposition est le produit constant et permanent du mode de production capitaliste. Si, donc, on admet que l’on est dans une société capitaliste, on ne peut qu’admettre que ce qui constitue sa dynamique, sa vie, c’est la lutte entre les classes, entre la bourgeoisie et le prolétariat. Que cette lutte ne peut que déboucher sur des affrontements politiques majeurs, portant en eux la possibilité de la révolution communiste. Si "la société pourrit sur pieds", si la perspective est le chaos alors, à coup sûr on n’est pas (ou on n’est plus ? !) dans le marxisme avec sa vision de la dernière société de classes, le capitalisme.

On aboutit donc au fait que les liquidationnistes n’ont pas seulement trahi les bases politiques du CCI, pas seulement jeté aux orties ses conceptions organisationnelles, pas seulement versé dans l’idéalisme et abandonné le marxisme en inventant une théorie aberrante. Ils ont aussi carrément quitté le monde réel constitué de classes aux intérêts antagoniques et ont donné le jour à un monde imaginaire. Le cycle de leur dérive s’accomplit donc totalement puisque l’opportunisme a ouvert la porte au révisionnisme qui les a conduit vers les fondements de l’anarchisme petit-bourgeois pour finir par rejoindre les précurseurs utopistes du socialisme.
Mais, quand les utopistes peignaient un monde idéal où, croyaient-ils, l’homme aurait sa place et pourrait se réaliser dans sa plénitude, nos liquidationnistes ne peuvent calquer leur "utopie" que sur un monde décadent et ils ne nous offrent comme "idéal" que la caricature grotesque de notre misérable monde capitaliste quotidien.

Voilà le sort des inventeurs de monde, des petits bourgeois "innovateurs" qui ne savent que singer les pires vieilleries théoriques pré-marxistes.

Septembre 2003


Notes:

1  Remarquons que lorsque le terme de décomposition, a été utilisé pour la première fois, il avait pour fonction de définir un moment particulier dans les rapports de forces entre les classes. Moment où ces forces tendaient à s’équilibrer et à empêcher momentanément l’évolution de la société vers les issues portées par l’une et l’autre classe déterminantes du capitalisme.

2 Il en est de même pour les luttes ouvrières. Voilà comment un idéologue bourgeois décrit les luttes de mai-juin 2003 en France : "Les grèves et conflits de mai-juin 2003 laissent une impression de confusion et de chaos. (...) La révolte qui allie en un tout chaotique problèmes réels, rumeurs, fantasmes et corporatisme ne constituent en rien une alternative ou la manifestation d'une dynamique nouvelle de citoyenneté" (J.P Le Goff, Hypothèses pour comprendre le chaos ambiant, Le Débat n°126). Il suffit de remplacer le mot citoyenneté par "lutte ouvrière" et nous avons un article du CCI actuel. Par contre, là où la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie voient la "confusion et le chaos", les révolutionnaires voient la dynamique de la lutte des classes.

3 Il est clair que si l’on ne parvient pas à prévoir les mouvements et effets réciproques de trois corps, sachant que le monde comporte une infinité de corps, on ne peut prétendre ‘comprendre le monde’.

4  Inutile de préciser que nous ne perdrons pas de temps à ‘répondre aux âneries de ces Messieurs sur la soi-disant ‘modélisation’ par Marx, non plus que sur le H majuscule au mot histoire qui range, à lui seul, ces messieurs dans la catégorie des idéaliste sous-hégéliens. Et, à propos des prédictions de Marx sur 3 personnes, c’est risible. Par contre, sans le savoir, nos auteurs ont mille fois raison de dire que le ‘goût philosophique’ est ‘bien différent’. Et ce ‘goût et cette ‘philosophie’, on leur laisse volontiers.

5  En faisant baisser le coût de la force de travail et à réduire la part de capital vivant introduit dans les marchandises, le capital peut momentanément marquer des points face à la concurrence mais, en termes de capital global il aboutit à faire baisser la composition organique et donc le taux de profit. Donc à aggraver la crise à terme.

6 : Une éclipse de lune est prévisible de façon rigoureuse, alors qu’un tremblement de terre, comme les affrontements de classes décisifs, on sait qu’il ne pourra qu’avoir lieu du fait de la tectonique des plaques, mais on ne sait exactement ni où ni quand il aura lieu.

7 : Pour en avoir une illustration convaincante, prenez la peine de lire un article de leur presse sur un sujet quelconque.


Home | Bulletin Communiste FICCI 21 |