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PRISE DE POSITION DU NOYAU COMMUNISTE INTERNATIONAL
SUR LES EVENEMENTS EN BOLIVIE

Le texte que nous publions ci-dessous (1) émane du Noyau Communiste International qui publie Revolución Comunista consultable sur le site Internet www.geocities.com/ncomunistainternacional/. Nous le faisons suivre de notre réponse qui salue la constitution du groupe et l'apparition d'une nouvelle voix prolétarienne dans une région où elle faisait défaut jusqu'alors. Outre le texte qui suit, le NCI présente dans le premier numéro de sa revue ses positions programmatiques. Celles-ci correspondent quasiment à notre Plate-forme, c'est-à-dire celle du CCI. Nous avons surtout choisi de poser les termes d'une discussion et d'une clarification politiques qui vont bien au-delà de la "mouvance CCI" puisque le texte des camarades et notre réponse abordent les questions des luttes ouvrières dans les pays de la périphérie et de l'intervention des révolutionnaires dans celles-ci. La nouvelle situation internationale de crise économique, de guerres impérialistes et de reprise des luttes ouvrières, impose la confrontation et la clarification des points de vue et positions politiques sur ces questions, en particulier celle de l'intervention. C'est une des dimensions du combat pour le futur parti mondial du prolétariat.

Depuis, un deuxième numéro de Revolución Comunista est paru, dans lequel le NCI s'intègre à la discussion du CCI avec le Marxist Labour Party en Russie sur la question de la décadence et du "droit des nations à l'autodétermination". Nous saluons cette démarche et ce souci. Le NCI essaie d'emblée de se situer comme une partie des forces communistes internationales. Sa première préoccupation a en effet consisté à s’adresser immédiatement à l’ensemble du milieu et plus particulièrement aux groupes de la gauche communiste.

Enfin, le NCI a lancé dernièrement une adresse à toutes les organisations proposant l’organisation d’une Conférence des groupes de la gauche. Nous reviendrons sur cette question dans un prochain bulletin.

1- LA REVOLTE BOLIVIENNE

En Bolivie une révolte populaire majoritairement paysanne, avec les étudiants, les enseignants, etc... a éclaté dans une ville voisine de la capitale La Paz appelée El Alto. Au cours des journées et des semaines, cette révolte s'est propagée dans les principales villes boliviennes, en particulier dans celles où se trouvaient des gisements de gaz, contre la décision du gouvernement de Sanchez de Lozada de vendre du gaz aux Etats-Unis, et dans les secteurs géographiques où la population paysanne se dédie majoritairement à la culture de la feuille de coca. Mais la politique du gouvernement bolivien et sa volonté de vendre le gaz et d'éradiquer la coca se sont confrontées à un refus obstiné de la part de ces secteurs provoquant une révolte populaire avec des dizaines de morts qui augmentent de jour en jour, d'heure en heure, au cours d'affrontements des paysans, des étudiants, des ouvriers contre les forces armées et la police de l'Etat capitaliste de Bolivie.

Mais auparavant, il est utile de préciser que l'actuel président de Bolivie a été dans le passé un ministre du Plan dans les années 1986 et 1988, et ensuite président (1993-1997) au cours d'un premier mandat. Ses politiques économiques ont aggravé la misère et la pauvreté la plus abjecte dans la société bolivienne où, selon les analystes économiques, il est admis que dans certaines régions du pays, la pauvreté atteint les niveaux de l'Afrique subsaharienne (Clarín, 15/10/2003).

Ce même journal d'Argentine révèle que 60% des Boliviens sont extrêmement pauvres et que 20% de la population la plus riche détient 54% du PIB alors que les 20% les plus pauvres ne disposent que de 4% seulement (chiffres donnés par Clarín, 15/10/2003). La Bolivie, de même que l'Argentine et le Chili ont été les meilleurs "élèves" des organismes internationaux de crédit et des capitalistes pour imposer des plans d'ajustement économique brutaux contre le prolétariat qui ont entraîné des taux élevés de chômage, des salaires misérables. La situation économique de ces pays ne constitue pas des situations isolées mais fait intégralement partie de la décomposition du capitalisme mondial.

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En analysant les situations comme celle qui a lieu en Bolivie, les révolutionnaires doivent obligatoirement s'interroger. Existe-t-il une auto-organisation prolétarienne ? Et qui dirige ces événements ?

3- La direction de cette révolte et son caractère de classe

En partant de la prémisse du salut et de la solidarité complète avec les travailleurs boliviens en lutte, il faut dire clairement aussi que la combativité de la classe n'est pas le seul critère pour déterminer le rapport des forces entre la bourgeoisie et le prolétariat. La classe ouvrière bolivienne n'a pas été capable de développer un mouvement massif de toute la classe ouvrière entraînant derrière elle le reste des secteurs non-exploiteurs dans cette lutte. C'est tout le contraire qui est arrivé. Ce sont les secteurs paysans, regroupés dans la Centrale ouvrière-paysanne, et les petit-bourgeois qui ont dirigé cette révolte.

Il en est ainsi dans la mesure où la classe ouvrière bolivienne s'est diluée dans un "mouvement populaire" aux caractéristiques interclassistes. Nous affirmons cela pour les raisons suivantes :

A) car c'est la paysannerie qui dirige cette révolte avec deux objectifs clairs, la légalisation de la culture de la feuille de coca et le refus de la vente du gaz aux Etats-Unis ;

B) l'utilisation du mot d'ordre d'Assemblée Constituante comme issue à la crise et comme moyen pour "la reconstruction de la nation" ;

C) et l'absence d'affirmation d'une lutte contre le capitalisme.

Les événements de Bolivie présentent un grand parallélisme avec ceux d'Argentine de l'année 2001-2002 dans lesquels le prolétariat non seulement s'était retrouvé soumis aux revendications de la petite-bourgeoisie, mais aussi par le fait que ces "mouvements populaires" avaient dans le cas argentin, et il en va de même en Bolivie, un trait assez réactionnaire : poser la reconstruction de la nation sur des bases bourgeoises ; ou en proclamant l'expulsion des "gringos" et l'exigence que les ressources naturelles reviennent à l'Etat bolivien.

Ces appels typiquement nationalistes ont débouché sur le mot d'ordre de l'Assemblée Constituante, qu'elle soit libre, souveraine, ou révolutionnaire. Ont participé dans cela deux forces contraires comme le sont le MAS d'Evo Morales, leader paysan de la culture de la coca et le petit courant trotskiste appelé LOR (Liga Obrera Revolucionaria). Ces deux courants ont appelé ensemble à une Assemblée Constituante avec l'objectif suivant : "poser la lutte pour une Assemblée Constituante révolutionnaire..." et indiquant qu'il s'agissait "d'un grand pas en avant pour les ouvriers et les paysans de prendre conscience que c'est seulement en prenant le pouvoir dans leurs propres mains qu'on en finira avec l'exploitation..." ….” (Lucha Obrera, Liga Obrera Revolucionaria, 6/10/03). Et enfin, ils ont défendu que cela était la seule politique possible pour préparer le terrain à un gouvernement ouvrier et paysan sur la voie d'une société socialiste. Ou, comme le dit Morales du MAS, une assemblée populaire où tous se retrouvent au coude à coude avec l'objectif de refonder le pays (sur le site Internet du MAS-Bolivie).

C'est pour cela que nous pouvons dire que la révolte en Bolivie avec ses caractéristiques relevées précédemment, avec une composante hautement nationaliste, n'était pas dirigée par la classe ouvrière bolivienne mais par des composantes sociales inter-classistes présentant des solutions réactionnaires et constituant une expression impuissante et sans avenir de cette rébellion face à laquelle était proclamée une institution de la démocratie bourgeoisie comme l'Assemblée Constituante.

Les révolutionnaires doivent parler clairement et se baser sur les faits concrets de la lutte de classes non pour nous illusionner ou pour nous abuser nous-mêmes, mais pour adopter une position prolétarienne révolutionnaire. C'est pour cela que ce serait une grave erreur de confondre ce qu'est une révolte sociale avec un horizon politique étroit et une lutte prolétarienne anticapitaliste.

C'est ainsi et nous devons le relever car l'état actuel du capitalisme en décadence amène à des révoltes, à des rebellions populaires, etc. sans perspectives quelconque puisque les contradictions et les antagonismes de classes ne sont pas dépassés au travers d'une révolution prolétarienne mais ne font simplement que s'aggraver. Au contraire, la lutte prolétarienne amène à la construction de l'autodétermination de la classe et les luttes se développent sur le propre terrain de la classe ouvrière, unique classe révolutionnaire.

Cela se manifeste des déclarations qu'on peut obtenir par Internet des différentes fractions politiques. Dans celles-ci, il existe un point d'unité ou de consensus où apparaissent la tendance à ne pas poser clairement et explicitement la nécessité d'une action indépendante de la classe ouvrière ; et le refus d'alerter contre le fait que le chemin de la rébellion ou de la révolte épuise les forces de la classe ouvrière. La lutte ouvrière consciente développée sur son propre terrain qui lutte pour la destruction du capitalisme, est beaucoup plus importante que les rebellions populaires qui ne cherchent pas d'issue prolétarienne, mais tout au contraire un renouveau bourgeois.

Enfin, l'appel à une Assemblée Constituante de la part de courants nationaux boliviens comme ceux indiqués précédemment n'est seulement qu'une petite manifestation de la politique générale des courants nationalistes, sociaux-démocrates, trotskistes, ou d'un arc plus large de la gauche. Ce ne sont purement et simplement que des tentatives pour se donner un déguisement ou une figure "révolutionnaire" qui génèrent ou créent des illusions dans le système bourgeois.

La position autour de l'utilité de l'Assemblée Constituante est totalement réactionnaire. Dans la période de grande avancée du capitalisme, elle signifiait l'institution de la démocratie bourgeoise la plus radicale. Mais aujourd'hui, dans la phase de décadence du capitalisme et de putréfaction de ce système, il est utopique de manifester, ou même de penser, qu'"en discutant face à face" comme le dit le MAS, ou comme l'exprime la LOR, cette institution capitaliste puisse être un élément utile pour obtenir la "conviction des ouvriers" de la nécessité révolutionnaire. Les deux essaient au moyen de perspectives distinctes d'arriver au même point, à savoir la non-destruction du système capitaliste, la non-autonomie et autoorganisation du prolétariat comprises au sens où nous les présentons dans nos positions programmatiques. C'est-à-dire :

"...les Marxistes révolutionnaires doivent défendre que l'autonomie de la classe signifie l'indépendance du prolétariat de toutes les autres classes sociales. Si l'autonomie du prolétariat est indispensable puisque celui-ci est la seule classe révolutionnaire, cette autonomie se manifeste à deux niveaux : l'organisation des conseils de la part de la classe ouvrière et au niveau politique (...). C'est pour cela que la lutte révolutionnaire du prolétariat contient ces aspects. L'importance et la priorité des tâches politiques de la classe (destruction du capitalisme, dictature du prolétariat au niveau mondial). L'importance et le caractère de l'organisation des révolutionnaires au sein de la classe et le caractère unitaire, centralisé et mondial de la lutte de classes" (Déclaration programmatique du Noyau Communiste International).

C'est pour cela que, quoiqu'on essaie de déguiser cette "guerre pour le gaz", celle-ci n'a aucun contenu prolétarien, et n'est pas non plus une tendance vers une perspective opposée au capitalisme décadent. Tout le contraire, on essaie de masquer les mots d'ordre comme celui de la nationalisation ou de l'étatisation des puits de gaz, ou de modifier la loi sur les hydrocarbures (op. cit. site WEB du MAS bolivien) avec l'objectif de ne pas les socialiser afin que l'Etat capitaliste les prenne en charge, en conservant et en maintenant dans toute leur ampleur les lois basiques du capitalisme et de l'exploitation.

4.- Perspective des prolétaires révolutionnaires

Cette révolte en Bolivie dans laquelle le détonateur a été le gaz mais qui s'est entremêlé avec une haute dose de conflictivité sociale, est marquée par la décadence du capitalisme. C'est-à-dire que cette période se caractérise par, après avoir atteint son zénith, le fait que le capitalisme est aujourd'hui victime de ses propres contradictions dans une période de décadence qui se traduit dans des crises constantes qui touchent non seulement les pays industriels mais aussi ceux non-développés.

Mais la différence réside dans ce point : alors que dans les pays avancés, on adopte des mesures pour se défendre des effets de cette crise, mesures qui ne sont que des politiques de capitalisme d'Etat qui essaient de protéger de ses effets et de les reporter sur les pays non-développés au travers d'une série de mécanismes comme les plans économiques et politiques imposés par le FMI, par la libéralisation du commerce extérieur au travers de l'ALCA [Area de Libre Comercio de las Américas (2)], etc. Cette situation n'est pas propre à la Bolivie. Elle touche aussi l'Argentine et les autres pays appartenant à l'Amérique Latine, etc.

Mais l'axe central de la crise capitaliste qui touche les pays de la périphérie, est donné par la crise de surproduction dans les pays capitalistes centraux. C'est pour cela que sont fausses la tendance et les théories des différents groupes trotskistes ou guevaristes qui expriment que les révoltes et les rébellions populaires ont lieu par le simple fait que ces pays sont "le maillon faible de la chaîne de la production capitaliste" et donc que l'Amérique Latine, un des continents les plus frappés par les politiques du FMI, est finalement la zone potentiellement la plus révolutionnaire.

Cette théorie dénote une haute dose de "nationalisme" car elle essaie de chercher ou de voir "l'exception bolivienne", "argentine", etc. Le Marxisme enseigne tout le contraire de ce que défendent ces courants : les révolutions sociales n'ont pas lieu là où les classes dirigeantes sont faibles. Marx a remarqué que c'était ces nations, celles où le prolétariat est fort, concentré, les plus à même d'arriver aux transformations révolutionnaires dans la mesure où, nous le réitérons, la source de la crise est la surproduction capitaliste dans les principaux centres capitalistes.

Le capitalisme n'est pas un phénomène ou un système national ou particulier d'une région déterminée. C'est un système mondial et sa destruction ne peut être comme le prétendent certains personnages ou tendances gauchistes, dans les limites géographiques étroites d'une région, ou d'un pays. La destruction du capitalisme doit être à échelle mondiale. C'est dans ce sens qu'est posée la question clé de la perspective révolutionnaire : c'est-à-dire, nous le répétons, l'élément subjectif et la possibilité de développement de ce facteur qui est fondamentalement donné dans ces pays centraux où le prolétariat se trouve concentré et non dans ceux qui souffrent le plus de la marginalisation et de la faim comme certaines tendances de gauche le présentent pour le cas de l'Amérique du Sud.

Cela est prouvé par les mots d'ordre réels des sujets qui ont participé et ont dirigé les révoltes ou les rébellions populaires tant en Bolivie comme en Argentine qui sont de caractères nationalistes et de réforme, ou d'auto-réforme ou de rénovation au sein du système capitaliste.

Et cela est ainsi car la direction effective de ces mouvements est aux mains d'éléments de la petite-bourgeoisie et de la paysannerie, le cas bolivien, et non dans les mains du prolétariat, affaiblissant plus le prolétariat que les secteurs du capitalisme.

Ainsi, il est fallacieux de dire que la propagation du programme communiste est plus facile ou plus simple dans la périphérie ou qu'il y existe une meilleure compréhension de celui-ci. Les expériences tant en Bolivie, on le voit avec la trêve octroyée par les

partis bourgeois au nouveau gouvernement, ou en Argentine, sont des manifestations claires du caractère erroné de cette position.

C'est pour cela que les révolutionnaires ont la responsabilité de dire la vérité même si elle fait mal, en vue de la clarification politique et théorique, en évitant toute tentation de confondre une révolte populaire pour un mouvement prolétarien, une politique de sortie de crise en faveur de la bourgeoisie pour une politique révolutionnaire prolétarienne, de confondre le désespoir avec la radicalisation avec une conscience prolétarienne. Nous devons donc tenir cela en considération pour pouvoir intervenir de manière adéquate et pour pouvoir analyser depuis une optique internationaliste et basée sur la méthode marxiste.

Revolución Communista n°1



1. Traduit par nos soins.

2 Traité de libre commerce mis en place par les Etats-Unis pour tout le continent américain avec le même objectif que le TLC (Traité de Libre Commerce ou NAFTA en anglais North-America Free Trade Agreement signé entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique) mais à une échelle plus réduite (note de la fraction).


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