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Souvenirs de Trotsky sur la Conference de Zimmerwald
(dans "Ma vie")

La campagne de paix et les congrès avec invitations à tous les penseurs non communistes, non seulement sont le plus grand défaitisme dans l'orientation de classe - défaitisme qui couronne dignement tous les autres -, non seulement constitue un service de premier ordre rendu au capitalisme en général, mais ils conduiront, comme la grande croisade démocratique honteusement développée de 1941 à 1945, à un renforcement des grandes structures étatiques atlantiques. Celles-ci ne s'écrouleront que lorsque le système capitaliste sera attaqué de front, en dénonçant avec vigueur les drapeaux mensongers de Liberté et de Paix, pour l'écraser ouvertement avec la dictature et la guerre de classe.

* * *

"Je partis pour la conférence avec Merrheim et Bourderon, pacifistes très modérés. Nul de nous n'eut besoin de faux passeport, car le gouvernement, ne s'étant pas encore déshabitué des procédés d'avant-guerre, nous avait délivré des papiers en bonne et due forme.

L'organisation même de la conférence fut à la charge de Grimm, leader socialiste de Berne, qui s'efforça alors de s'élever au-dessus du niveau bourgeois de son parti, au-dessus de son propre niveau. Il prépara pour les réunions un local à dix kilomètres de Berne, dans le petit village de Zimmerwald, qui domine de haut la ville. Les délégués prirent place, en se serrant, dans quatre voitures, et gagnèrent la montagne. Les passants considéraient avec curiosité ce convoi extraordinaire. Les délégués eux-mêmes plaisantaient, disant qu'un demi-siècle après la fondation de la première Internationale, il était possible de transporter tous les internationalistes dans quatre voitures. Mais il n'y avait aucun scepticisme dans ce badinage. Le fil de l'histoire casse souvent. Il faut faire un nouveau nœud. C'est ce que nous allions faire à Zimmerwald.

Les journées de la conférence (du 5 au 8 septembre 1915) furent orageuses. L'aile révolutionnaire, à la tête de laquelle se trouvait Lénine, et le groupe pacifiste auquel appartenait la majorité des délégués réussirent difficilement à s'entendre sur un manifeste commun dont j'élaborai le projet. Le manifeste ne disait pas tout ce qu'il aurait fallu dire, loin de là. Mais il marquait tout de même un grand pas en avant. Lénine, s'était tenu à l'extrême flanc gauche. Sur un bon nombre de questions, il se trouva tout seul dans cette gauche à laquelle je n'appartenais pas formellement, bien que je fusse proche d'elle sur toutes les questions essentielles. C'est à Zimmerwald que Lénine tendit fortement le ressort pour une future action internationale. Dans ce petit village de la montagne suisse, il posa les premières pierres de l'Internationale révolutionnaire. (…)

Liebknecht ne vint pas à Zimmerwald : il était déjà prisonnier sous l'uniforme des Hohenzollern, en attendant de devenir un simple détenu. Mais il envoya à la conférence une lettre qui marquait énergiquement son passage de la ligne pacifiste à la ligne révolutionnaire. Son nom fut prononcé plus d'une fois à Zimmerwald ; c'était déjà un nom générique dans la lutte qui déchirait le socialisme mondial.

Il fut rigoureusement interdit aux membres de la conférence d'envoyer des communiqués de crainte que des informations données prématurément à la presse ne créassent des difficultés aux délégués quand ils auraient à repasser les frontières.

Quelques jours plus tard, le nom de Zimmerwald, complètement inconnu la veille, retentissait dans le monde entier. Cela produisit une impression foudroyante sur le patron de notre hôtel : ce brave Suisse déclara à Grimm que la valeur de son bien en allait être considérablement augmentée et qu'en conséquence il était tout disposé à verser une certaine somme aux fonds de la IIIe Internationale. Je pense, toutefois, qu'il a dû bientôt se raviser.

La conférence de Zimmerwald donna une forte impulsion au mouvement qui se développait contre la guerre en différents pays. En Allemagne, les spartakistes étendirent plus largement leur action. En France se constitua un comité pour la reprise des relations internationales. La partie ouvrière de la colonie russe, à Paris, se resserra autour de Naché Slovo, le soutenant de toute sa vigueur, à travers les difficultés financières et bien d'autres embarras. Martov - qui, dans la première période, avait été un collaborateur zélé - quitta le journal. Les dissentiments d'importance secondaire qui me séparaient encore de Lénine à Zimmerwald allaient s'effacer en quelques mois."

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