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NOTES SUR LES TEXTES DU GPR-K DE RUSSIE
Gruppa proletarskikh revolyutsionerov-kollektivistov
[Groupe des Collectivistes Prolétariens Révolutionnaires]

Ce groupe participe au forum de discussion internationale en Russie. La presse du CCI a déjà mentionné l'existence de ce forum auquel il a participé en y envoyant des textes et en les reproduisant dans sa Revue internationale (en particulier dans le numéro 119). Le lecteur lisant, outre le russe, l'anglais et l'allemand peut prendre connaissance de certains textes du groupe sur le site http://russia.internationalist-forum.org. Les textes auxquels se réfèrent les Notes ci-après nous ont été envoyés directement par le GPRC après traduction de leur part en anglais. Assez longs, il nous est difficile de les reproduire dans notre bulletin. Bien évidemment, nous pourrons les envoyer à tout lecteur qui en ferait la demande.

1. Il est fondamental que les groupes qui ont pour objectif la révolution prolétarienne mondiale aient des relations entre eux au travers de l'échange de nouvelles, d'analyses, d'expériences, et au travers des débats en vue de la clarification politique. C'est un pas nécessaire vers la création du futur parti révolutionnaire international du prolétariat. Cette relation entre les groupes est d'autant plus indispensable qu'ils ont vécu de "manière parallèle", restant pratiquement sans se connaître, du fait de la contre-révolution et de la division en deux blocs impérialistes imposée par le capitalisme au 20ème siècle. C'est la raison pour laquelle nous saluons l'initiative du GPRC qui, sautant par dessus les barrières géographiques et de langue, est entré en contact avec les groupes "occidentaux" actuels de la Gauche communiste et a présenté ses positions révolutionnaires.

Il est tout aussi important que le GPRC donne à connaître tant la situation de la classe ouvrière que l'expérience et les leçons des luttes ouvrières qui se sont déroulées dans les républiques de l'ex-URSS et qui sont, encore aujourd'hui, peu connues, voire inconnues, en "occident" surtout à cause de la censure des médias bourgeois, tout comme l'histoire, l'expérience et les leçons des groupes révolutionnaires de ces régions (tant du passé que d'aujourd'hui).

2. Nous avons lu avec attention les documents que le GPRC nous a envoyés (Les trois phases de la lutte prolétarienne, Une classe ouvrière passive ?, Remarques sur le livre du CCI). Evidemment, nous considérons que le GPRC défend des positions politiques fondamentales qui le placent du côté de ce que nous appellons le camp prolétarien. C'est-à-dire du côté des groupes qui défendent les intérêts et les objectifs révolutionnaires du prolétariat (à la différence de la gamme des groupes gauchistes qui, bien que s'appelant "communistes", "marxistes, "anarchistes", etc., défendent les intérêts de classe de la petite-bourgeoisie et de la bourgeoisie et font partie de "l'extrême gauche du capital"). Ces positions du GPRC, véritables frontières de classe, apparaissent, bien que sommairement, dans le texte Les trois phases :

"De nombreuses leçons de cette période (nécessité de la rupture avec toute forme de social-patriotisme, nécessité de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, nécessité de détruire l'Etat bourgeois et d'établir la dictature des prolétaires en arme organisés en assemblées générales et en soviets, nécessité de l'organisation de l'avant-garde révolutionnaire avec un objectif clair et une volonté intransigeante) ont à jamais une grande signification pour la lutte prolétarienne révolutionnaire. (...).

Nous devons lutter contre les illusions sur le «bon capitalisme», sur les «bons politiciens», sur les partis bourgeois et les syndicats comme sauveurs. Nous devons lutter pour le programme de la révolution sociale, la destruction de l'Etat bourgeois, l'abolition de l'ordre capitaliste, pour le pouvoir direct des assemblées générales et pour la socialisation des moyens de production, pour le communisme" (traduit par nous de la version anglaise du texte envoyé par les camarades du GPRC).

Si nous avons bien compris, le GPRC partage les positions de principe défendues par la plupart des groupes de la Gauche communistes :

- la révolution prolétarienne comme destruction de l'Etat bourgeois et l'établissement de la dictature du prolétariat ;

- la dictature du prolétariat prend la forme des soviets ;

- la nécessité d'une organisation révolutionnaire pour le prolétariat, l'avant-garde de la classe ;

- le combat contre toute forme de nationalisme, social-patriotisme, etc., c'est-à-dire contre toute forme de défense de la nation, de l'Etat bourgeois ;

- le rejet du réformisme, de l'électoralisme et du syndicalisme comme autant de formes de domination de la bourgeoisie sur le prolétariat ;

- le communisme n'est pas le capitalisme d'Etat (monopole étatique des moyens de production où subsiste l'exploitation salariale et les classes sociales), mais précisément l'abolition du système d'exploitation du travail salarié.

3. En même temps, toute une série de doutes et de divergences nous apparaissent dans les documents du GPRC qu'il faut discuter pour essayer de les clarifier et à partir desquelles nous pourrions développer quelques questions de manière spécifique, concrète car, du fait de l'aspect général et synthétique des documents dont nous disposons, nous ne pouvons que faire des observations aussi très générales. On peut les résumer à deux questions qui, nous semble-t-il, sont reliées :

a) Si, d'un côté, le GPRC exprime sa sympathie pour les courants de la Gauche communiste (en particulier italienne, allemande et russe), il insiste d'autre part sur la nécessité de "synthétiser dans une nouvelle théorie les acquis des théories révolutionnaires du passé, acquis des courants révolutionnaires du marxisme, de l'anarchisme (spécialement de la tradition de Bakounine et de la FORA) et des révolutionnaires narodnichestvo". Notre question est la suivante : quels aspects concrets de l'anarchisme de Bakounine et des narodnichetvso le groupe revendique-t-il ? Lesquels faudrait-il intégrer - ensemble avec quelques aspects de marxisme - dans ce qu'il appelle une "une nouvelle théorie révolutionnaire" ?

b) S'il exprime avec une grande force la nécessité de la révolution prolétarienne, simultanément il exprime aussi (tant dans Les trois phases... que dans Une classe ouvrière passive ?) une tendance à sous-estimer - pour le moins sinon à douter voire à nier - la capacité du prolétariat moderne à se poser comme sujet de la révolution.

Nous entendons par prolétariat "moderne" la classe de travailleurs salariés qui surgit à partir de la "soumission réelle" du capital, c'est-à-dire de la classe de travailleurs dépossédés de tout moyen de production, "déqualifiés" (c'est-à-dire qu'individuellement, ils ne possédent pas la connaissance de tout le processus de production), qu'ils ne comptent uniquement que sur leur force de travail qu'ils doivent vendre pour survivre - et qui inclut non seulement les ouvriers "typiques" de la grande industrie mais aussi des différents secteurs des transports, des matières premières, de l'agriculture, des services publics (instituteurs, hopitaux, nettoyage), etc. C'est-à-dire tous les travailleurs salariés qui n'exploitent pas la force de travail et font partie d'une manière ou d'une autre de l'engrenage du mode de production capitaliste, de "l'ouvrier collectif".

Or, une sous-estimation du prolétariat comme sujet de la révolution apparaît en diverses parties tout au long de l'analyse développée par le GPRC (tant dans l'histoire de la classe ouvrière que dans la situation actuelle - spécialement de la classe ouvrière en Russie). Par exemple :

- dans ce qu'ils appellent "l'étape révolutionnaire de l'évolution du capitalisme", les luttes révolutionnaires de la classe ouvrière ne sont pas le produit du processus de conformation et de maturation de la classe ouvrière mais de son existence dans sa phase "initiale". Selon le GPRC, cela implique deux traits ou attributs qui lui donnent son caractère révolutionnaire et qui se perdent par la suite "dans la phase réformiste du capitalisme" : en étant une classe de travailleurs qualifiés (les artisans) ou bien en étant des ouvriers de "première génération" qui ainsi gardent leurs traditions paysannes communautaires. Ainsi, dans cette phase, si on suit le GPRC, le prolétariat est révolutionnaire non parce qu'il se constitue comme la classe exploitée du capitalisme, comme le prolétariat "moderne", mais parce qu'il maintient des traits précapitalistes, c'est-à-dire comme artisan qualifié ou comme paysan communautaire ;

- cette notion est confirmée, selon le GPRC, par le fait que les révolutions prolétariennes du début du 20e siècle ont eu lieu dans des pays "retardataires" dans lesquels le capitalisme ne se trouvait pas encore dans sa "phase révolutionnaire" et dans lesquels le prolétariat conservait les traits primitifs définis précédement ;

- finalement, son analyse sur la situation actuelle de la classe ouvrière suit aproximativement le même fil conducteur sur la perte des traits révolutionnaires initiaux de la classe ouvrière comme cause fondamentale de ses difficultés actuelles (même si le groupe ajoute d'autres facteurs pour cette perte tels que la diminution et la désagrégation du "prolétariat industriel" et la perte de sa mémoire historique dû à la répression stalinienne). C'est la raison pour laquelle il considère que les fractions du prolétariat "les plus receptives" à l'idée de la révolution sont celles des pays les plus retardataires ou que le "prolétariat industriel" a cessé d'être "l'avant-garde" du prolétariat laissant ce rôle aux chômeurs, aux "petits boulots", aux étudiants, etc...

"C'est la nouvelle classe ouvrière du capitalisme naissant ou périphérique qui est la plus réceptive aux idées anticapitalistes. Encore sous l'influence des anciennes traditions du collectivisme rural (le village mir en Russie, la première génération de travailleurs perçoit le capitalisme comme étrange et pas naturel. Ils peuvent voir ses débuts, donc ils peuvent imaginer sa fin. (...) En opposition, la classe ouvrière héréditaire du capitalisme mature ne connaît pas d'autre monde et donc a beaucoup de mal à imaginer un ordre social différent" (Une classe ouvrière passive ?, nous soulignons)

"La lutte prolétarienne d'aujourd'hui est entrée dans une nouvelle phase, une nouvelle époque. Nous devons analyser cette nouvelle phase et agir en fonction. Nous ne devons pas avoir d'illusions. Les conditions sont très difficiles, le prolétariat moderne n'est pas une classe d'artisans qualifiés , ni une classe de travailleurs de transport. Le prolétariat moderne est fortement atomisé par le développement du capitalisme. Mais il est nécessaire d'agir dans la situation réelle du présent. (...) En premier lieu, les ouvriers d'industrie ne sont plus l'avant-garde du prolétariat (...). La cause objective de cela est la tendance à la désindustrialisation dans le capitalisme décadent moderne. (...) Ils ne sont qu'une minorité de la classe entourés d'une grande masse de sans-emploi, ou partiellement employés et de prolétaires «auto-employés»" (Les trois phases..., nous soulignons).

Cependant, malgré les difficultés qu'a le GPRC pour voir dans le prolétariat moderne le sujet de la révolution, il n'en demeure pas moins que le groupe s'efforce de le reconnaître comme tel :

"Mais dans la polémique contre «l'ouvriérisme», il serait dangereux de tomber dans les erreurs de la «nouvelle gauche». Les ouvriers d'industrie ne sont qu'une partie du prolétariat, mais ils sont une partie du prolétariat. Plus. Ils ont la force de stopper la machine de production du capitalisme ce qui est impossible pour les étudiants, les retraités et les chômeurs. Pour utiliser des termes de vieilles sciences militaires, il est possible de voir en eux l'infanterie lourde qui entre la dernière dans la bataille mais dont dépend le résultat de celle-ci. Car son infanterie légère des étudiants, des jeunes déclassés des banlieues, etc., doit essayer d'initier la lutte des ouvriers d'industrie. La révolution prolétarienne ne peut être le résultat que de la lutte commune de toute la classe prolétarienne. (...) Nous devons nous rappeler que la révolution sociale ne peut être réalisée que par tous les groupes prolétariens - des prolétaires au travail intellectuel aux prolétaires de la «hightech» en passant par les ouvriers de l'industrie et en incluant les groupes les plus malheureux et exploités du prolétariat (...)" (Trois phases...).

4. Par rapport à tout ce qui précéde, il y a beaucoup de considérations critiques que nous pourrions faire de la conception des "trois phases" que le GPRC développe. Cependant, nous ne pouvons que les ébaucher ici car un débat sérieux et profond devra s'engager non à partir de cette vision générale, mais à partir des différentes analyses plus concrètes (par exemple, sur l'étape intiale du mouvement ouvrier, sur la signification de l'époque de la 2e Internationale, de l'étape qui s'ouvre à partir du début du 20e siècle, de celle qui s'ouvre à partir de 1968 ou de celle qui commence à partir de la chute du bloc impérialiste russe à la fin des années 1980, etc.), et seulement après pourrons-nous arriver à des généralisations.

Ainsi, le GPRC voit l'étape initiale du mouvement ouvrier comme un processus de perte de sa conscience révolutionnaire originale. Pour nous, il s'agit justement du processus contraire. En premier lieu, le prolétariat se forme comme classe indépendante, autonome. Il passe de "classe en soi" à "classe pour soi" en se dégageant, en devenant indépendant du mouvement révolutionnaire de la bourgeoisie, en cessant de servir de chair à canon des révolutions bourgeoises et en menant sa propre lutte, pour ses propres revendications, intérêts et objectifs de classe (le mouvement chartiste, etc.). Simultanément, la théorie révolutionnaire rencontre - avec le marxisme - justement dans le prolétariat industriel moderne le sujet de la révolution en opposition aux courants qui, bien qu'ils mettaient en lumière l'exploitation capitaliste, n'étaient pas capables alors de trouver la "clé" du dilemme historique. Cette théorie était en opposition non seulement aux courants du "socialisme utopique" (qui voyaient dans la bonne volonté de la bourgeoisie, dans un système éducatif, etc.; le levier d'une transformation sociale), mais aussi en opposition aux courants "conspiratifs" (qui défendaient essentiellement l'existence d'un groupe conspiratif choisi et conscient qui planifierait et mènerait à bien la "révolution" depuis "le haut", entraînant derrière lui les masses plus ou moins inconscientes, c'est-à-dire qu'elles ne se dégageaient pas encore du cadre idéologique des révolutions bourgeoisies). Et, vu la "vision pessimiste" (sic) sur les capacités du prolétariat actuel qu'exprime le GPRC, nous sommes en droit de nous demander si, par hasard, il ne serait pas en train de développer une notion de ce type par rapport à la nécessaire "organisation d'avant-garde".

Ensuite, par rapport à la caractérisation des révolutions russe et espagnole comme des "révolutions de la première période", le GPRC fait tout simplement abstraction du fait que celles-ci ne sont qu'une partie, que le premier et le dernier chaînon de la vague révolutionnaire véritablement internationale qui marque précisément l'entrée du capitalisme dans sa phase terminale, de décadence, comme la "maturité" du prolétariat comme classe révolutionnaire dans le sens où il est capable d'essayer de mettre à bas le système capitaliste mondial. Il fait même abstraction au niveau de la révolution russe elle-même du fait que la fraction d'avant-garde du prolétariat n'est pas celle des "artisans", ni celle des "ouvriers de première génération" mais le prolétariat expérimenté des grandes industries des villes principales.

D'autre part, les courants marxistes "de gauche" (qui, par exemple, défendaient la nécessité de la destruction de l'Etat bourgeois et l'instauration de la dictature du prolétariat 1) n'ont pas surgi spontanément de la période révolutionnaire mais ils se sont préparés, développés, en lutte contre le réformisme et l'opportunisme durant les décennies précédentes, c'est-à-dire durant la période finale d'expansion du capitalisme, au sein même de la seconde Internationale, raison pour laquelle l'expérience de celle-ci ne peut être simplement rejetée comme du "pur réformisme".

Ainsi, la période que le GPRC appelle "troisième phase" qui commencerait à partir de 1968 nous apporte plus de questions que de clarifications.

Premièrement, quelle est la détermination économique de base, le changement fondamental dans le capitalisme, qui marquerait la fin de la "seconde étape" et le début de la "troisième étape" du système capitaliste ?

Pour nous, la fin des années 1960 est un moment de tournant historique. En deux aspects : elle marque la fin de la période de reconstruction (non pas tant celui du "boom économique") du deuxième après-guerre et ainsi la fin de la période de contre-révolution qui avait commencé au milieu des années 1920 avec la défaite de la vague révolutionnaire internationale. Mais il ne s'agit pas d'un tournant "essentiel" dans le système capitaliste de production. Ce n'est pas la fin de "l'étape réformiste". En tous cas, nous pourrions dire que le "capitaliste réformiste" se termine avec la propre phase d'expansion du capitalisme à la fin du 20e siècle. A partir de là, la stagnation économique chronique, la guerre impérialiste généralisée et la révolution prolétarienne internationale marquent l'étape décadente, terminale, du capitalisme, dont 1968 représente seulement un épisode.

Deuxièmement, le GPRC défend que "toutes les années 1970 ont été un nouveau moment de bifurcation, de nouvelles luttes entre le prolétariat et la bourgeoisie - qui gagna la lutte pour sa solution de classe de la crise sociale. Dans cette lutte, le prolétariat a été battu et la bourgeoisie commença son offensive totale". D'une part, effectivement les années 1970, jusqu'au milieu des années 1980, ont vu une série de vagues de luttes du prolétariat à l'échelle internationale et en particulier dans les pays d'Europe dont on peut considérer que le point le plus haut a été la grève de masse en Pologne en 1980. Nous supposons que les camarades se réfèrent à cela. Mais, dans un tel cas, cette période contredit de nouveau la notion selon laquelle le prolétariat industriel des "vieux" pays serait pour le moins impuissant.

D'autre part, nous ne savons pas si le GPRC considère que la "défaite" du prolétariat à laquelle il se réfère, est de la même amplitude historique que celle qu'il a subie dans les années 1920. Dans ce cas, il faudrait aussi démontrer qu'elle présente des caractéristiques similaires à celles des années 1920 de la défaite physique et idéologique que, selon nous, le prolétariat n'a pas encore subie jusqu'à maintenant.

Troisièmement, le GPRC fait abstraction de l'impact sur la classe ouvrière de la chute du bloc impérialiste russe et de la désagrégation postérieure du bloc occidental, et de la campagne idéologique du capital sur la "mort du communisme et le triomphe du capitalisme et de la démocratie". Pour nous, c'est le principal facteur qui a représenté un frein et provoqué un recul de la lutte et de la conscience de la classe ouvrière tout au long de la décennie des années 1990, et dont elle a commencé à se sortir à partir de 2001 (Argentine, France, Italie, Grande-Bretagne, Allemagne...). Que pense le GPRC de tout cela ?

5. Finalement, le GPRC nous ouvre un vaste champ de débat autour de la conscience de classe du prolétariat. Ici, de nouveau, nous pouvons seulement ébaucher quelques points de discussion en prenant en compte les notions principalement générales présentées dans les documents que nous connaissons.

Premièrement, la question du surgissement de la conscience de classe. Le marxisme n'a jamais considéré la conscience de classe du prolétariat comme un simple reflet passif de la réalité ou comme un produit spontané ou naturel du développement capitaliste comme les camarades le laissent à entendre : "Cependant, Insarov situe les causes réelles de la passivité des ouvriers dans le domaine culturel. Il fait une critique pertinente de la thèse marxiste selon laquelle il y a une tendance de la conscience de la classe ouvrière à mûrir en même temps que le capitalisme s'étend et se développe" (Une classe ouvrière passive ?, nous soulignons).

La maturation de la conscience du prolétariat ne dépend pas de l'expansion et du développement du capitalisme (même s'il la suppose évidemment dans la mesure où il fait surgir et croître le prolétariat lui-même comme classe internationale), mais du développement de sa lutte de classe. L'exploitation capitaliste, et en particulier son aggravation dans les crises économiques, pousse nécessairement le prolétariat à lutter - s'il ne veut pas se voir rabaissé au niveau des bêtes de somme ou mourir de faim - et c'est à partir de cette lutte de classe que se développe, premièrement la réflexion collective sur ses intérêts et objectifs. Mais en outre, et cela est fondamental, cette réflexion n'a pas seulement une dimension immédiate mais aussi historique. C'est-à-dire qu'elle n'apparaît pas et ne disparaît pas avec chaque lutte, ni même avec chaque période plus ou moins longue de luttes. Mais elle tend à se conserver et à s'approfondir dans une dynamique propre qui ne dépend pas uniquement de l'existence immédiate de luttes. Ainsi, l'approfondissement de la conscience de classe s'exprime concrètement dans le surgissement d'organisations révolutionnaires permamentes qui ont pour fonction- entre autres - de tirer, de préserver et de transmettre les leçons de chaque lutte et de synthétiser dans leur programme les objectifs et moyens de la révolution. D'autre part, l'extension de la conscience de classe parmi des secteurs chaque fois plus large du prolétariat - particulièrement dans les phases de développement des luttes - n'est pas non plus un reflet passif de ces luttes. Cette extension, la réflexion dans la classe, participe à son tour de l'extension et de la radicalisation des luttes.

En plus, ce n'est pas le marxisme, mais le GPRC lui-même qui fait dépendre mécaniquement la conscience de classe de la "maturation et du développement du capitalisme", bien que dans un sens inversé de celui qu'il attribue au marxisme (c'est-à-dire : une plus grande "maturation et développement du capitalisme", une conscience de classe moindre) :

"Au contraire : c'est la nouvelle classe ouvrière du capitalisme naissant et périphérique qui est la plus réceptive aux idées anticapitalistes. Encore sous l'influence des anciennes traditions du collectivisme rural (...), la première génération d'ouvriers perçoit le capitalisme comme étrange et non naturel. Ils peuvent voir ses débuts, donc ils peuvent imaginer sa fin. (...) Par contraste, la classe ouvrière héréditaire du capitalisme mature ne connaît pas d'autre monde et il lui est donc très difficile d'imaginer un ordre social différent".

Pour terminer, nous aimerions attirer l'attention sur un passage extrêmement important soulevé par le GPRC sur la conscience de classe :

"Ce processus d'oubli peut être empêché dans la mesure où la mémoire du passé se transmet de génération en génération maintenant ainsi la continuité dans la culture de la classe ouvrière. Mais les périodes de répression sévère peuvent rompre cette continuité. Le régime dominant en URSS a réussi à imposer une telle rupture culturelle en détruisant la tradition de la lutte ouvrière qui avait culminé en 1917 et avait survécu quelques années après. La classe ouvrière russe perdit sa mémoire historique. Voilà pourquoi aujourd'hui les ouvriers n'arrivent pas à comprendre et à répondre à la propagande socialiste."

S'il est vrai qu'il ne se réfère pas explicitement au concept de conscience de classe, ni à celui de programme communiste, le GPRC parle de la "mémoire", de la "culture", de la "tradition" de la classe ouvrière et de sa continuité historique (le passage d'une génération à l'autre). Et de comment cette continuité historique a été "rompue" dans "la période de répression sévère" (concrètement dans la période de contre-révolution qui, disons-le au passage, toucha non seulement la Russie mais aussi le monde entier).

Pour nous, l'important est que le GPRC, ici, se réfère à un processus qui n'a rien à voir avec le développement du capitalisme, ni avec la question de savoir si le prolétariat est de "première génération" ou "héritier", mais justement avec le processus de la lutte entre la bourgeoisie et le prolétariat. C'est-à-dire que le GPRC développe parallèlement et contradictoirement deux explications différentes sur la "perte" de conscience révolutionnaire dans le prolétariat. Dans la première (celle de la trop grande "maturité" du prolétariat), cette perte se présente comme une fatalité inévitable. Dans la seconde (celle de la "rupture" de la continuité historique), cette "perte" devient dépassable dans la mesure où le prolétariat est capable de se réapproprier cette continuité historique, sa mémoire, sa tradition de lutte.

Chaque explication conduit à des chemins différents pour l'organisation révolutionnaire :

- si nous optons pour la première, il ne reste aux révolutionnaires qu'à commencer à organiser une conspiration "depuis en haut" pour arracher un prolétariat qui, nous le savons, ne pourra jamais récupérer une conscience révolutionnaire propre ;

- si nous optons pour la seconde, alors tout le travail des révolutionnaires doit se centrer à ce que le prolétariat arrive à "se relier" à sa propre continuité historique, à sa mémoire, à son expérience, à son programme.

Voila le dilemne, de notre point de vue, auquel se confronte le GPRC.

Mai 2006


Notes:

1Par exemple, en 1891, Engels tirait des leçons fondamentales sur l'Etat capitaliste et la dictature du prolétariat (qui ne sont autres que celles que reprend le GPRC) : "En réalité, l'État n'est rien d'autre qu'un appareil pour opprimer une classe par un autre, et cela, tout autant dans la république démocratique que dans la monarchie ; le moins qu'on puisse en dire, c'est qu'il est un mal dont hérite le prolétariat vainqueur dans la lutte pour la domination de classe et dont, tout comme la Commune, il ne pourra s'empêcher de rogner aussitôt au maximum les côtés les plus nuisibles, jusqu'à ce qu'une génération grandie dans des conditions sociales nouvelles et libres soit en état de se défaire de tout ce bric-à-brac de l'État.
Le philistin social-démocrate a été récemment saisi d'une terreur salutaire en entendant prononcer le mot de dictature du prolétariat. Eh bien, messieurs, voulez-vous savoir de quoi cette dictature a l'air ? Regardez la Commune de Paris. C'était la dictature du prolétariat" (Introduction à la La Guerre civile en France de K. Marx).

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