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Prise de position sur le 18e congrès de Révolution internationale, section en France du CCI

Dans la tradition de notre organisation, le CCI, et de la Gauche communiste, nous essayons systématiquement de prendre position sur les compte-rendus et les documents des congrès des organisations du camp prolétarien. En effet, les textes adoptés et les bilans de ces réunions sont censés être le résultat de débats et de discussions collectives approfondies. Ils marquent toujours un moment important, un repère, et souvent "un-avant-et-un-après" quand ils sanctionnent une nouvelle orientation ou une nouvelle position, dans l'évolution et la vie d'une organisation. A ce titre, et plus que les articles réguliers de la presse, ils expriment le point de vue "officiel" de l'organisation.

Le CCI d'aujourd'hui continue à maintenir des congrès réguliers et fréquents - tous les ans -, soit internationaux, soit territoriaux, c'est-à-dire des sections territoriales. C'est la raison pour laquelle, outre le fait que nous ne reconnaissons pas la validité de notre exclusion et que nous continuons à nous revendiquer du CCI, nous prenons régulièrement position sur ces réunions. Ici nous allons donc dire notre mot sur le compte-rendu du 18e congrès de sa section en France qui est paru dans Révolution internationale 393 - septembre 2008.

Quels débats et discussions sur la situation ?

L'article sur le congrès commence par cette question :"Qu'en est-il aujourd'hui des espoirs fondés par Mai 68 et de cette perspective ainsi ouverte ?" Visiblement le congrès a fait le choix de revenir sur l'expérience de Mai 68 et de faire un parallèle avec la situation d'aujourd'hui. Même si le choix nous semble étrange à première vue, pourquoi pas ? Nous avons ainsi droit à une comparaison entre hier et aujourd'hui.

Nous y apprenons que "les discussions dans ce congrès ont mis en évidence que, si au moment de Mai 68, la bourgeoisie avait les moyens de faire face aux premières nouvelles manifestation de la crise, il en est bien différemment aujourd'hui. (...) [Qu'] il est ressorti clairement de nos discussions que la crise économique mondiale entrait dans une nouvelle phase, dans de nouvelles et profondes convulsions autrement plus importantes que toutes celles qui se sont succédées depuis 1968. (...) [Que] la situation autrement plus grave [qu'en 68] au niveau économique entraîne dans la période actuelle des attaques d'une toute autre ampleur et profondeur [contre la classe ouvrière] qu'à cette époque. (...) [Que] les attaques sont généralisées à l'échelle de toute la planète".

Tout cela est juste. Mais le lecteur nous accordera qu'il s'agit là de lieux communs que tout le monde, prolétaires et bourgeois, sait et reconnaît aujourd'hui.

Suit ensuite un rapide survol historique de la période qui va de 68 à la chute du bloc de l'Est et de l'URSS et des campagnes contre le communisme qui se conclut par l'affirmation suivante : "L'espoir et la perspective levés par Mai 1968 semblaient avoir eux-mêmes disparu. Mais le 18e congrès de RI qui vient de se tenir, de même que les Congrès [précédents depuis] 2003, ont pu réaffirmer (...) que tel n'était pas le cas (...) car des luttes se développent maintenant au coeur du capitalisme mondial, au moment même où tous les continents connaissent également des grèves et des luttes". Nous ne pouvons ici nous attarder sur ce qu'entend le nouveau CCI sur "l'espoir et la perspective" soulevés par Mai 68. Rappelons juste que les Thèses sur le mouvement étudiant que le CCI avait adoptées suite au "mouvement étudiant contre le CPE" liquidait la position d'origine de notre organisation (cf. notre Bulletin communiste 38, A propos de la lutte contre le CPE, la dérive conseilliste du CCI) sur la question (1). Le bilan du congrès reconnaît, correctement, que "la question de la perspective de la lutte de classe, la nécessité de la révolution communiste reste encore aujourd'hui en-dehors de la conscience qui existe dans la très grande majorité de la classe ouvrière". Le lecteur nous accordera qu'il y a là rien de particulièrement nouveau, ni profond. La seule perspective concrète qui est donnée aux combats de classe actuels est le développement de "la solidarité indispensable au développement de l'extension et de l'unité de son combat". Tout le monde sera d'accord avec cette idée générale.

Jusqu'alors, le lecteur reste sur sa faim face à ces généralités. Mais la fin de ce passage, la moitié du texte, soulève un espoir sur un éventuel intérêt politique réel des discussions : "Mais cette situation [l'état grave et décomposé du capitalisme aujourd'hui] pose de fait à la lutte ouvrière des questions autrement plus complexes encore à résoudre qu'au moment de Mai 68. Ce sont les luttes à venir qui devront dans leur pratique se confronter et résoudre l'ensemble de ces questions". Suite à cela, nous étions en droit de nous attendre à tout un développement, fruit des discussions "riches et intenses" que le congrès aurait dû avoir, sur ces "questions autrement complexes". Malheureusement, notre espoir s'arrête là. Il est rapidement douché. Anéanti. Le paragraphe se termine sur cela et le suivant traite d'autre chose. Nous ne saurons même pas quelles sont ces questions complexes.

Et la question de la guerre et des rivalités impérialistes ?

Rien. Nada. Pas un mot ! Pas un mot sur les rivalités impérialistes. Sur leur aggravation. Pas un mot sur les conflits guerriers. Sur leur multiplication. Pas un mot sur le militarisme. Sur l'augmentation générale des dépenses d'armement et militaires. Pas un mot sur les effets directs de la crise économique aigüe actuelle, l'exacerbation de la concurrence pour la quête désespérée de marché et la mainmise économique et stratégique sur les ressources en matière première, énergétiques et autres, sur la dramatique intensification des oppositions stratégiques, politiques et de plus en plus militaires entre les principales grandes puissances impérialistes. Rien. Pas un mot. Et évidemment pas un mot sur la marche vers la guerre impérialiste généralisée. Ce congrès n'avait rien à dire sur la guerre. Aucun avertissement, aucune perspective, pour la classe ouvrière sur cette question qui devient une question cruciale dans la situation historique actuelle et qui affecte brutalement, directement, dès aujourd'hui, les conditions de vie et de travail de millions de prolétaires de par le monde et l'évolution future du rapport de forces historique entre les classes.

Si le congrès avait évoqué la question de la guerre impérialiste, nul doute que ce bilan se serait appuyé sur ces discussions pour évoquer la guerre en Georgie, vieille au moins de 3 semaines quand l'article sort. Aussi incroyable que cela puisse paraître pour une organisation communiste, il n'en a rien dit !

Alors, que reste-t-il de ce congrès ? Des avancées dans la "culture du débat" ?

C'est ce que proclame le bilan. "Cela fait maintenant plusieurs années que le CCI a placé la question de la culture du débat dans le mouvement ouvrier au coeur de ses préoccupations, tant théoriques que pratiques. Ce 18e congrès a poursuivi en profondeur ce travail". Très bien. Bilan positif donc. Et d'en rajouter sur la qualité des débats "ouverts, fraternels, faits d'écoute attentive et réciproque, [et qui ont manifesté] le mieux tout notre maturation dans ce domaine". Tout lecteur s'attend alors, pour le moins, à une indication, sinon une information, sur les discussions, ou plutôt sur les thèmes, que ces débats ont abordés afin de pouvoir vérifier la réalité de cette auto-satisfaction. Il sera déçu. Le compte-rendu du congrès ne dit rien non plus là-dessus. Sinon que les groupes invités, OPOP du Brésil, EKS de Turquie, ont repris "entièrement à leur compte cette manière de débattre et la réflexion du CCI sur cette question".

Sur ce dernier point, nul besoin de vérifier notre confiance dans le CCI actuel. Nous ne doutons pas un seul instant que le groupe gauchiste et syndicaliste OPOP reprenne entièrement à son compte cette manière de débattre. Elle ne peut que lui convenir. Elle lui permet de se faire octroyer par le CCI le label Gauche communiste sans une quelconque rupture avec son passé et ses positions bourgeoises. En effet, à ce jour, nous n'avons vu aucun débat réel - nous ne parlons même pas de critique, et encore moins de dénonciation - autour des positions syndicalistes et gauchistes de ce groupe. La "culture du débat" des liquidateurs de notre organisation se limite de toute évidence à "l'écoute attentive et réciproque" entre les positions de classe du prolétariat et les positions du gauchisme, aile gauche du capital selon la plate-forme du CCI - faut-il le rappeler ? Bref, de débat réel, c'est-à-dire ici de confrontations des positions politiques divergentes, et dans ce cas opposées, il n'y en a pas.

Sur ce plan, la "culture du débat" est un bluff. Mais peut-être en est-il autrement sur d'autres questions ? Pour notre part, fraction du CCI, nous nous attendions à un bilan du congrès sur une des orientations principales que le précédent de 2006 s'était donné : à savoir le débat "sur les questions de l'éthique et de la morale prolétarienne [dont la] discussion se révèle être cruciale pour le combat de l’ensemble de la classe ouvrière, mais également pour le renforcement de la vie de ses minorités révolutionnaires" (RI 370, 17e congrès de RI, 2006) (2). Encore une déception. Pas un mot ! Rien. Disparu le débat crucial pour la classe ouvrière. Envolé le texte d'orientation. Evanouis. Volatilisé. Evaporé. Eclipsé. On n'en parle plus. Nous n'osons croire que, outre les quelques réponses individuelles, notre critique à ce texte (Bulletin communiste 38 et 39, Morale prolétarienne, lutte des classes et révisionnisme) que nous avons publié sous forme de brochure, que notre réaffirmation de la position marxiste sur le sujet, que nos arguments, aient réussi à eux-seuls à clouer le bec aux tenants de la "culture du débat" et de "l'écoute attentive et réciproque" ; et, plus grave encore, à faire passer aux oubliettes un débat crucial pour la classe ouvrière et "le renforcement de ses minorités révolutionnaires" ! Nous en serions fort marris.

Le débat sur la morale du CCI des liquidateurs est aussi un bluff. Il n'y a rien non plus dans ce bilan sur le débat "économique" sur les années de reconstruction d'après-guerre, le dernier débat lancé et qui a l'air de passionner les militants. Bref, du point de vue prolétarien, la "culture du débat", c'est du baratin qui ne réussit pas à occulter le vide et le silence de la vie politique réelle du CCI actuel.

Un congrès silencieux. Un congrès pour rien ?

Depuis la crise de 2001, tous les congrès du CCI avaient eu un sens et marquaient une étape. La conférence extraordinaire de mars 2002 avait voté notre exclusion du CCI ouvrant la porte à la révision des positions et des analyses de notre organisation. Le 15e congrès du CCI (2003) avait adopté la position révisionniste sur l'existence d'une troisième voie se substituant à l'alternative guerre ou révolution (cf. notre bulletin 21). Depuis lors, sans aucune explication, la troisième voie a disparu des écrits du CCI - là aussi, le fait de notre dénonciation d'alors ? Le 16e congrès de RI (2004) avait rejeté les "schémas du passé pour comprendre la dynamique actuelle du rapport de force entre les classes" (cf. notre bulletin 25). Quelques mois plus tard, ce rejet des "schémas" du passé allait amener la section du CCI en Allemagne à distribuer un tract rejetant la grève comme arme de la classe ouvrière en pleine grève "sauvage" des ouvriers d'OPEL à Bochum (cf. notre bulletin 29). Le 16e congrès du CCI (2005) avait, lui, liquidé un des fondements de la théorie de la décadence en décrétant que le cycle crise-guerre-reconstruction-nouvelle crise n'existait plus et que la menace de guerre impérialiste généralisée avait disparu. Le 17e de RI (2006) avait, outre l'annonce du large débat public sur la morale, adopté les Thèses sur le mouvement étudiant qui liquident l'analyse du CCI sur Mai 68. Le 17e congrès international (2007), lui, avait avancé que le véritable danger qui menaçait l'humanité était "l'apocalypse écologique". Ce thème semble maintenant en voie d'abandon ou d'oubli. En tous cas, passer au second plan.

Aujourd'hui, le 18e congrès de RI fait pâle figure en comparaison. Aucune innovation. Aucune liquidation particulière. Aucun pseudo-approfondissement théorique. Ou politique. Aucun débat réel. Aucune perspective avancée. Ni pour la classe ouvrière - en particulier face à la question de la guerre impérialiste. Ni pour les minorités révolutionnaires. Rien. Le CCI opportuniste de la liquidation n'a plus rien à dire au prolétariat. Il n'a plus rien à dire aux forces vives de la Gauche communiste, aux éléments dynamiques qui s'en rapprochent. Il ne sert qu'à détourner, déformer et dévitaliser de nouvelles énergies militantes et à donner une fausse virginité révolutionnaire aux gauchistes de tous poils. Les travaux du 18e congrès de sa section en France en sont la brillante illustration.

Septembre 2008.


Notes:

1. De toute évidence, la nouvelle position, révisionniste, sur Mai 68, est reprise dans un article de la section allemande, traduit en français et "online". Le titre est suffisamment parlant :1968 en Allemagne : au delà du mouvement de protestation, la quête d'une société nouvelle ! De quels mouvements de protestation l'article parle-t-il ? Des mouvements des étudiants gauchistes autour de Rudi Dutschke "contre la guerre du Vietnam". De fait, l'article les salue jetant à bas toutes les positions du CCI, c'est-à-dire de Révolution internationale et d'Internacionalismo, qui dénonçaient à l'époque ces mouvements comme gauchistes et comme soutien au bloc impérialiste de l'Est contre celui de l'Ouest au nom de l'appui aux luttes de libération nationale.

2. Quelques mois plus tard, lors de la parution de ce texte, le CCI nous promettait encore un débat public : "certains aspects de notre débat étant arrivés à maturité, nous avons jugé utile de porter les extraits de ce texte d’orientation à l’extérieur afin que la réflexion entamée par le CCI puisse s’engager et se poursuivre dans l’ensemble de la classe ouvrière et du milieu politique prolétarien" (Revue internationale 127, 4e trimestre 2006).


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