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Le CCI dit "Adieu au marxisme"

1. La lutte contre la religion comme substitut à la lutte des classes

Le CCI actuel abandonne totalement et ouvertement le marxisme prolétarien pour adopter une forme d'idéologie libéralo-athéisto-humaniste bourgeoise. C'est ce que révèle l'article de Révolution internationale 408 de janvier 2010, 150 ans après la parution de l'Origine des espèces (Charles Darwin), l'obscurantisme religieux persiste1 ...

"Cette variante du créationnisme ["le dessein intelligent (intelligent design)"2] profite du regain actuel de popularité d’idéologies spiritualistes, obscurantistes et sectaires. Ces idéologies réactionnaires sont souvent inoculées directement par certaines fractions de la bourgeoisie qui y trouvent matière à manipuler des masses de populations désorientées et désespérées par la misère, la barbarie et le manque de perspectives du monde capitaliste. C’est ce qui les pousse à s’évader de la réalité objective, en se réfugiant dans la foi, la croyance aveugle dans un au-delà, dans un “ordre supérieur”, invisible et tout-puissant, qui échappe à toute pensée rationnelle. (...) La religion est toujours le premier rempart des forces conservatrices et réactionnaires pour anesthésier les consciences contre les avancées scientifiques. Elle tente de s’adapter pour tenter de préserver le statu quo en prétendant toujours être un refuge pour “consoler les hommes des malheurs de la société” en les soumettant à une croyance et surtout à une soumission envers l’ordre social existant" (RI 408, 150 ans... nous soulignons).

Ainsi, la division sociale que l'article met en avant n'est plus une division entre les classes mais entre les êtres humains croyants et les rationalistes. Ne reste ainsi qu'une lutte de l'obscurantisme religieux contre la science, une lutte des préjugés religieux contre la conscience humaine, une lutte de la Bible contre L'Origine des espèces. En première ligne de cette lutte, on trouve les églises et les sectes religieuses, surtout les plus obscurantistes, qui seraient opposées aux scientifiques, notamment les naturalistes.

Evidemment, l'article ne nie pas l'existence des classes sociales de la même façon que ni la religion, ni le libéralisme bourgeois ne le font. Mais, dans cette vision, l'existence des classes n'apparaît plus comme la division sociale fondamentale et encore moins comme le moteur de l'histoire. La division et l'opposition fondamentales se situent entre la "foi et la science". Ainsi, il y a "certaines fractions" de la bourgeoisie qui inoculent les idéologies réactionnaires du créationnisme, ce qui signifie qu'il en existe d'autres qui ne le font pas et qui se trouvent donc du côté du rationalisme scientifique. Pour sa part, le prolétariat disparaît de la scène comme classe la plus révolutionnaire et consciente de l'histoire pour passer la main aux "masses (...) désorientées et désespérées par la misère (... qui s'évadent) de la réalité objective, en se réfugiant dans la foi"


De même, le fait que le CCI abandonne le marxisme ne signifie pas qu'il lui ôte toute valeur. Mais ni la religion, ni le libéralisme ne le font non plus. En fait, le CCI considère maintenant le marxisme comme une science de plus, une science parmi celles qui se sont développées sous la domination et l'impulsion du capitalisme, comme une science "humaine" et non comme une science de classe :

"Tout oppose la croyance religieuse à la science et à la démarche scientifique. La démarche matérialiste en science (...) n’est ni une “philosophie” ni une “idéologie” mais la condition nécessaire d’une approche consciente et historique des rapports entre l’homme et son milieu naturel, y compris en prenant son propre comportement comme objet d’étude ; c’est une approche des limites d’une connaissance à laquelle on ne saurait fixer aucune limite. Le développement de la science est totalement associé au développement de la conscience pour l’humanité . (...) A l’inverse des préjugés religieux (qui sont avant tout une idéologie au service de l’ordre existant , du pouvoir établi, qui puisent leur sauvegarde dans le conservatisme et le statu quo), le développement de la conscience est l’élément moteur qui accompagne le développement de la science. Ainsi, la méthode scientifique ne craint pas la remise en cause de ses hypothèses, le bouleversement de ses acquis et c’est pour cela qu’elle évolue, qu’elle est dynamique. Comme le dit Patrick Tort : “ La science invente, progresse et se transforme. L’idéologie récupère, s’ajuste et se remanie”. (...)

La démarche scientifique d’un Copernic, d’un Marx, d’un Engels ou d’un Darwin a été et est encore pour la plupart d’entre eux, combattue ou déformée avec un tel acharnement par les défenseurs d’un ordre social immuable"

La conscience de classe, révolutionnaire, du prolétariat disparaît pour laisser place, alors, à une conscience humaine générale qui s'appuie sur la science en général. Pour leur part, Marx et Engels deviennent des scientifiques parmi d'autres, au côté des Copernic et Darwin. A nouveau, il s'agit de la lutte entre les préjugés religieux qui représentent une idéologie conservatrice au service du pouvoir établi contre la science qui est le moteur du progrès.

"La discussion a par ailleurs réaffirmé qu’il n’y a pas de science bourgeoise ou prolétarienne. Il y a une classe sociale, le prolétariat, qui se nourrit des travaux des scientifiques afin d’enrichir sa compréhension du monde pour pouvoir se donner les moyens de le transformer" (Compte-rendu des Journées de discussion à Lille II :Darwin, les instincts sociaux, la morale, la nature humaine, janvier 2010, sur les pages "online" du site du CCI3)

Donc, le prolétariat n'a plus de théorie révolutionnaire spécifique, de classe , qui lui permet de développer sa "compréhension du monde pour se donner les moyens de le transformer" puisque "il n'y a pas de science bourgeoise ou prolétarienne" mais juste la science humaine dont il doit se "nourrir". C'est exactement le contraire de ce qu'affirmait Marx lui-même pour qui chaque classe développe sa propre science en accord avec ses propres intérêts :

" Tant qu'elle est bourgeoise , c'est-à-dire qu'elle voit dans l'ordre capitaliste non une phase transitoire du progrès historique, mais bien la forme absolue et définitive de la production sociale, l'économie politique ne peut rester une science qu'à condition que la lutte des classes demeure latente ou ne se manifeste que par des phénomènes isolés. (...) En France et en Angleterre la bourgeoisie s'empare du pouvoir politique. Dès lors, dans la théorie comme dans la pratique, la lutte des classes revêt des formes de plus en plus accusées, de plus en plus menaçantes. Elle sonne le glas de l'économie bourgeoise scientifique . Désormais il ne s'agit plus de savoir, si tel ou tel théorème est vrai, mais s'il est bien ou mal sonnant, agréable ou non à la police, utile ou nuisible au capital.

Ainsi, au moment où en Allemagne la production capitaliste atteignit sa maturité, des luttes de classe avaient déjà, en Angleterre et en France, bruyamment manifesté son caractère antagonique ; de plus, le prolétariat allemand était déjà plus ou moins imprégné de socialisme. A peine une science bourgeoise de l'économie politique semblait-elle donc devenir possible chez nous, que déjà elle était redevenue impossible. (...) La marche propre à la société allemande excluait donc tout progrès original de l'économie bourgeoise, mais non de sa critique. En tant qu'une telle critique représente une classe, elle ne peut représenter que celle dont la mission historique est de révolutionner le mode de production capitaliste, et finalement d'abolir les classes - le prolétariat " (K. Marx, Postface à la deuxième édition allemande du tome1 du , janvier 1873).

Et pour couronner le tout, la méthode spécifique du marxisme, le matérialisme historique (ou matérialisme dialectique) est jetée, d'un coup, à la poubelle :

"La théorie de Darwin visait à démontrer de façon dialectique , rigoureuse et scientifique, (...). Cette démarche matérialiste et scientifique de Darwin fut d’emblée violemment attaquée de toutes parts (...). La démarche matérialiste en science (les faits et l’étude des réactions, différentes ou similaires, dans tel ou tel milieu, sont la base de toute expérience scientifique) n’est ni une “philosophie” ni une “idéologie” mais la condition nécessaire d’une approche consciente et historique des rapports entre l’homme et son milieu naturel" 150 ans..., Révolution inter. 

" L’apport de Darwin est en fait le même que celui de Marx, c’est celui d’un raisonnement dialectique introduisant l’évolution dans la méthode d’analyse et permettant ainsi de comprendre la monde sous un jour nouveau : celui d’un monde en constante évolution " ((Compte-rendu des Journées de discussion à Lille sur Darwin déjà cité).

Ici disparaît le matérialisme historique au moyen d'un tour de passe-passe : d'abord on fait passer la méthode de Darwin pour dialectique et historique, puis l'on fait passer la méthode vulgaire de l'empirisme enseignée à l'école secondaire ("les faits et l'expérience comme fondements de la science") pour du matérialisme historique.

Mais le marxisme n'est pas une théorie de l'évolution, mais de la révolution . Sa méthode n'est pas d'observer les faits et d'accumuler les connaissances, mais de mettre en évidence le fondement du mouvement et de la transformation : la lutte des contraires.

" Sous son aspect mystique, la dialectique devint une mode en Allemagne, parce qu'elle semblait glorifier les choses existantes. Sous son aspect rationnel, elle est un scandale et une abomination pour les classes dirigeantes, et leurs idéologues doctrinaires, parce que dans la conception positive des choses existantes, elle inclut du même coup l'intelligence de leur négation fatale, de leur destruction nécessaire ; parce que saisissant le mouvement même, dont toute forme faite n'est qu'une configuration transitoire, rien ne saurait lui imposer; qu'elle est essentiellement critique et révolutionnaire " (K. Marx, Postface à la 2e édition allemande du Capital déjà cité).

2. Abandon du marxisme et adoption du darwinisme

Tout en abandonnant le marxisme, le CCI s'approprie le "darwinisme" comme sa théorie. Plusieurs articles sur Darwin sont apparus ces derniers mois dans sa presse. Mais il ne s'agit pas de la commémoration du 150ème anniversaire de "L'Origine des espèces". Comme il le déclare lui-même, reprendre Darwin et la biologie évolutive constitue, pour le CCI, quelque chose de très important et même d'essentiel pour le combat de la classe ouvrière :

"Car ce qui peut apparaître dans un premier temps comme étant une question scientifique éloignée des besoins de la lutte de classe, est en fait un élément essentiel pour fonder la nécessité et la possibilité d'une société communiste. C'est en effet en comprenant mieux la nature humaine, l'existence d'instincts sociaux et leur rôle dans le développement de la civilisation, que l'on peut mieux définir en quoi le capitalisme constitue intrinsèquement une entrave au progrès de l'espèce humaine et le communisme le cadre indispensable de son émancipation" (Journées de discussion de Lille sur Darwin, Op cit).

On voit là le but du CCI actuel : "fonder la nécessité et la possibilité d'une société communiste". Cependant, selon Marx et Engels, ce fondement provient des contradictions du capitalisme lui-même, du développement des forces productives qui entrent en contradiction avec les rapports de production capitaliste, et de la lutte entre le prolétariat et la bourgeoisie. Ils répètent cela des centaines et des centaines de fois dans leurs principaux textes. Par exemple :

"Au-delà d'un certain point, le développement des forces productives devient un obstacle pour le capital ; donc le rapport capitaliste devient un obstacle au développement des forces productives du travail. Parvenu à ce point, le capital, c'est-à-dire le travail salarié, entre vis-à-vis de la richesse sociale et des forces productives dans le même rapport que les corporations, le servage, l'esclavage, deviennent une entrave dont, nécessairement, on se débarrasse. L'ultime figure servile que prend l'activité humaine, celle du travail salarié d'un côté, du capital de l'autre, se trouve ainsi dépouillée, et ce dépouillement lui-même est le résultat du mode de production correspondant au capital ; les conditions matérielles et intellectuelles de la négation du travail salarié et du capital, qui sont déjà elles-mêmes la négation de formes antérieures de la production sociale non-libre, sont elles-mêmes résultats de son procès de production. L'inadéquation croissante du développement productif de la société aux rapports de production qui étaient les siens jusqu'alors s'exprime dans des contradictions aiguës, des crises, des convulsions. La destruction violente du capital, non pas par des circonstances qui lui sont extérieures mais comme condition de sa propre conservation, est la forme la plus frappante du conseil qui lui est donné de se retirer pour faire place à un niveau supérieur de production sociale" (K. Marx, Manuscrits de 1857-1858, "Grundrisse" , Editions Sociales).

Et cette contradiction entre le développement des forces productives sociales et les rapports de production capitalistes, "la contradiction entre la production sociale et l'appropriation capitaliste se manifeste comme l'antagonisme entre le prolétariat et la bourgeoisie" (Engels, Anti-Dühring).

L'actuel CCI, au contraire, considère maintenant que le fondement tant du fait que le capitalisme devienne une "entrave" que de la nécessité et de la possibilité du communisme est déterminé par... les instincts sociaux et la nature humaine. Le darwinisme s'est introduit de manière si forte au sein du CCI que celui-ci a considéré nécessaire de lui dédier une partie de son dernier congrès international en invitant un éminent biologiste évolutionniste pour qu'il apporte ses lumières aux militants !

"(...) Nous avons demandé à un chercheur spécialisé dans la question de l'évolution du langage (...) de f aire une présentation devant le congrès de ses travaux, lesquels sont basés, évidemment, sur l'approche darwinienne. Les réflexions originales de Jean-Louis Dessalles sur le langage, le rôle de celui-ci dans le développement des liens sociaux et de la solidarité dans l'espèce humaine ont un lien avec les réflexions et discussions qui se sont menées, et qui se poursuivent, dans notre organisation à propos de l'éthique et de la culture du débat " Revue internationale  138, 18e congrès du CCI : vers le regroupement internationalistes).

En adoptant une "approche darwinienne", le CCI d'aujourd'hui fait donc ses adieux au marxisme sans regret, ni remord.

3. Révisionnisme y darwinisme

La volonté qu'a le CCI actuel de mêler, d'une certaine manière, darwinisme et marxisme, de créer une espèce de darwinismo-socialisme, ou bien directement de permettre le "dépassement" du marxisme grâce au darwinisme, n'est pas quelque chose de nouveau comme, peut-être, certains de ses lecteurs, sympathisants ou jeune militants pourraient le penser. Là-dessus, le CCI d'aujourd'hui ne fait que reproduire - presque mot pour mot - une vieille forme de révisionnisme.
En effet, à la fin du 19ème siècle, au sein de la 2ème International, l'opportunisme et le réformisme politique (évolution pacifique de la société, collaboration de classes) se sont développés avec le révisionnisme comme justification théorique. Un des caractéristiques essentielles de cette politique était d'ôter tout caractère de classe au marxisme et de mettre en avant une idéologie "humaniste" abstraite, d'introduire ainsi l'idéologie dominante, celle de la bourgeoisie. Parmi les tentatives de réviser, de "compléter" ou de "dépasser" le marxisme classiste et "unilatéral" (dans le sens qu'il se pose comme théorie du prolétariat), surgit la conception de substituer ou de "compléter" le matérialisme historique par le darwinisme. Cette conception fait dépendre l'évolution de la société des "caractéristiques naturelles" de l'homme.

De même que des idéologues justifient la concurrence capitaliste par la théorie de "la survie des plus forts", ce socialisme darwiniste préconisait l'idée selon laquelle la société devait s'adapter à la nature humaine laquelle, fondamentalement, serait "bonne", solidaire, collectiviste, etc. La recherche d'une nouvelle société se présentait alors non pas comme le mouvement de la lutte des classes mais, une fois encore, comme la recherche de l'harmonie entre tous les êtres humains. Le marxisme dut mener un combat contre cette conception (représentée en particulier par L. Woltmann) :

"Il existe probablement une troisième possibilité : celle de tomber dans le syncrétisme et la confusion. Un bon exemple en est fourni par L. Woltmann qui réconcilie les lois éternelles de la moralité avec le darwinisme et Marx avec le christianisme (Antonio Labriola. Socialisme et philosophie, Ch. 7.- Note 3, traduit par nos soins de l'anglais4).

"Mais Woltmann va plus loin et là nos opinions divergent. Il dit :« Mais Bebel, et avec lui tous les partisans dogmatiques du matérialisme historique, oublient que l'homme n'a pas seulement un raisonnement scientifique mais est aussi un être moral et pratique et que la réaction de la conscience morale dans les conditions actuelles engendre l'idée d'une forme supérieure de société et mènera à la réalisation de celle-ci  »

L'homme est certainement un être moral ; il a certaines perceptions que nous appelons morales. Mais quand ces perceptions morales sont mises en relation avec la société, nous voyons que ces vues morales dépendent des intérêts de classe . L'influence que la morale sociale produit est aussi de nature très matérielle, (...). L'idée que la conscience morale a jusqu'ici été la cause de la transformation des formes économiques et politiques de la société humaine, sera combattue par nous autres les "partisans dogmatiques" du matérialisme historique jusqu'à ce que nos contradicteurs soient capables de nous fournir une nouvelle base plus claire pour l'explication du phénomène en question. Pour nous, il est clair que l'explication fournie par le matérialisme historique est totalement suffisante (...) " (August Bebel, 1899, La théorie darwinienne et la source du socialisme, traduit par nous de l'anglais, Social Democrat Vol. III No. 4, April 15, 1899, p.118-121, from Die Neue Zeit ).

A la fin du 19 siècle, le marxisme a déjà dû combattre les théories de "principes humains" abstraits, comme la "morale humaine", qui se substituent à la production et à la lutte des classes comme moteur de l'histoire. Et en même temps, il a dû aussi combattre, au sein de ces théories, l'utilisation qui était faite de la "nature humaine" et de quelques autres facteurs (comme l'être social de l'homme), pour fournir une pseudo base "scientifique" à l'existence de ces supposés principes humains abstraits :

"Quand on veut faire passer une théorie d'un domaine à l'autre, au sein desquels s'appliquent des lois différentes, on ne peut qu’en tirer des déductions erronées. Tel est le cas quand nous voulons découvrir, à partir de la loi de la nature, quelle forme sociale est naturelle et la plus en conformité avec la nature, et c’est exactement ce que les darwinistes bourgeois ont fait. Ils ont déduit des lois qui gouvernent le monde animal, où la théorie darwinienne s'applique, que l’ordre social capitaliste, qui est en conformité avec cette théorie, est dès lors l’ordre naturel qui doit durer toujours. D'un autre côté, il y avait aussi des socialistes qui voulaient prouver de la même manière que le système socialiste est le système naturel. Ces socialistes disaient : (...) La supériorité naturelle de ceux qui sont plus sains, plus forts, plus intelligents ou moralement meilleurs, ne peut aucunement prédominer tant que la naissance, la classe sociale ou surtout la possession de l'argent déterminent cette lutte. Le socialisme, en supprimant toutes ces inégalités artificielles, rend les conditions aussi favorables pour tous, et c'est alors seulement que la vraie lutte pour l'existence prévaudra dans laquelle l’excellence personnelle constituera le facteur décisif. D’après les principes darwiniens, le mode de production socialiste constituerait donc celui qui serait véritablement naturel et logique".

En tant que pendant critique des conceptions des darwinistes bourgeois, cette argumentation n’est pas mauvaise, mais elle est tout aussi erronée que cette dernière. Les deux démonstrations opposées sont également fausses car elles partent toutes les deux de la prémisse, depuis longtemps dépassée, selon laquelle il existerait un seul système social naturel ou logique. Le marxisme nous a enseigné qu'il n'existe pas de système social naturel et qu'il ne peut y en avoir ou, pour le dire d’une autre manière, que tout système social est naturel, parce que chaque système social est nécessaire et naturel dans des conditions données. (...) Le capitalisme n'est pas le seul ordre naturel, comme le croit la bourgeoisie, et aucun système socialiste mondial n'est le seul ordre naturel, comme certains socialistes essayent de le prouver" (A. Pannekoek, 1912, Marxisme et Darwinisme) 5


Finalement, les marxistes ont souligné que le socialisme ne sera pas le résultat de l'application d'un principe moral abstrait, ni le résultat de la conviction des exploités et des exploiteurs sur une supposée "véritable nature humaine", mais sera nécessairement le produit de la lutte de classe du prolétariat, de la révolution :

"Marx a donné au mouvement ouvrier et au socialisme une fondation théorique. Sa théorie sociale a montré que les systèmes sociaux se développaient en un mouvement continu au sein duquel le capitalisme ne constituait qu'une forme temporaire. Son étude du capitalisme a montré que, du fait du perfectionnement constant de la technique, le capitalisme doit nécessairement céder la place au socialisme. Ce nouveau système de production ne peut être établi que par les prolétaires dans leur lutte contre les capitalistes dont l'intérêt est de maintenir l'ancien système de production. Le socialisme est donc le fruit et le but de la lutte de classe prolétarienne " (A. Pannekoek, 1912, Marxisme et Darwinisme ).

4. Fondamentalisme ou libéralisme, totalitarisme ou démocratie...

Le CCI actuel reprend donc de vieux arguments du révisionnisme. Mais ce n'est pas seulement sur cela qu'il s'appuie pour remplacer aujourd'hui le marxisme par le darwinisme. Ces dernières années, la bourgeoisie a mené une série de campagnes idéologiques autour de la fausse alternative " totalitarisme ou démocratie ". Par exemple, toutes les guerres lancées par les Etats-Unis ces dernières années (Afghanistan, Irak...) ont eu pour justification la défense du "monde libre et démocratique" contre les "régimes totalitaires". Avec cette campagne, la bourgeoisie fait tout pour maintenir le prolétariat enchainé à l'Etat bourgeois, pour qu'il conserve des illusions par rapport au jeu électoral et démocratique : ce jeu serait le seul moyen pour solutionner ses problèmes ; sans lui, il subirait une situation plus mauvaise, de dictature, de manque de liberté, etc. À ce battage idéologique empoisonné, la classe dominante ajoute une autre fausse alternative pour piéger le prolétariat : "fondamentalisme religieux ou libéralisme" . Face au déferlement du fanatisme et de l'intolérance religieuse, seuls le libéralisme, l'humanisme, la tolérance etc. font obstacle. Cela signifie, en fin de compte, qu'il faut, encore une fois, défendre... la démocratie bourgeoise.

Ce bombardement idéologique permanent, qui connaît de multiples variations à travers les médias, évolue et s'affine selon les besoins de chaque bourgeoisie nationale. Ainsi, dans les pays européens, il est courant de brocarder le créationnisme (en tant que forme de fanatisme religieux) qui est enseigné dans les écoles des Etats-Unis. Aux Etats-Unis, le remplacement de Bush par Obama a suscité aussi des débats sur la tolérance du second par rapport au fondamentalisme du premier, etc. Dans un pays comme le Mexique, ces derniers mois, les différents partis de la bourgeoisie ont attisé la "lutte" église-libéralisme à travers des campagnes sur "l'Etat laïc", sur "l'éducation religieuse dans les écoles", "la famille et l'homosexualité", etc.

Prenons un exemple. En 2000, a été lancé un "Manifeste humaniste" qui était signé par des scientifiques et des intellectuels. On peut notamment y lire ce qui suit :

"Nous sommes particulièrement alarmés par les tendances anti-scientifiques et anti-modernes qui s'expriment à travers l'émergence de voix fondamentalistes stridentes, la persistance du fanatisme et de l'intolérance qu'ils soient d'origine religieuse, politique ou tribale. Dans de nombreuses régions du monde, ce sont les mêmes forces qui s'opposent à tous les efforts qui sont faits pour résoudre les problèmes sociaux ou pour améliorer la condition humaine (...). Le seul message que porte aujourd'hui l'humanisme sur la scène mondiale est lié à son engagement auprès du naturalisme scientifique. La plupart des visions du monde qui sont encore de mises aujourd'hui sont de caractère spirituel, mystique ou théologique. (...) La théorie scientifique de l'évolution fournit une explication beaucoup plus mesurée sur les origines de l'humanité et se base sur des principes tirés d'un grand nombre de sciences. (...) Ni la cosmologie moderne ordinaire, ni le processus d'évolution n'apportent d'explication suffisante sur des desseins intelligents

La réalisation des valeurs éthiques les plus hautes est essentielle dans la cosmovision humaniste (...). Les tendances morales sont profondément enracinées dans la nature humaine et ont évolué tout au long de l'histoire humaine. (...) L'urgente nécessité d'une communauté humaine émerge aujourd'hui pour développer un nouvel Humanisme Planétaire - c'est celui qui cherche non seulement à préserver les droits humains et développer la liberté et la dignité des hommes, mais aussi qui implique l'engagement de chacun de nous envers l'humanité toute entière. (...) De ce fait, les frontières politiques du monde s'avèrent totalement arbitraires . Il nous est donc nécessaire de les dépasser, d'aller au-delà." (Manifeste Humaniste de 2000 en faveur d'un Humanisme Planétaire 6 , traduit par nous de sa version espagnole).

Le CCI d'aujourd'hui ne fait, dix ans après, que reprendre - presque mot pour mot - toutes les idées que ce "Manifeste" met en avant. De plus, ce dernier parle aussi de la nécessité de combattre l'inégalité sociale, de la contamination de l'environnement, du danger de la mauvaise utilisation des progrès industriels et de guerres croissantes. Cependant, avec toutes ces pieux soucis et désirs, le Manifeste Humaniste glisse comme quelque chose qui se sous-entend et fait partie de ces soucis, comme partie du combat contre le fondamentalisme et les tyrannies, au nom d'une éthique humaine, ce qui suit :

"Cela signifie que la fin ne justifie pas les moyens  ; au contraire, nos buts sont modelés par nos moyens et il y a des limites au-delà desquelles il ne nous est pas permis d'aller. Cela est particulièrement important aujourd'hui à la lumière des tyrannies dictatoriales du 20e siècle dans lesquelles des idéologies politiques très déterminées ont utilisé des moyens idéologiques avec une ferveur quasi religieuse afin de réaliser des projets visionnaires . Nous sommes particulièrement conscients des souffrances tragiques infligées à des millions de personnes par ceux qui, sous couvert d'apporter le meilleur bien possible, n'ont été capables de fournir que le plus grand mal."

Ce Manifeste met dans le même sac ces tyrannies du 20e siècle et le fondamentalisme actuel, comme des idéologies visionnaires qui manipulent les masses. D'après l'histoire "officielle", le fascisme et le stalinisme ont été les "tyrannies dictatoriales du 20e siècle". Mais aussi que le stalinisme est le produit du marxisme, de la révolution prolétarienne et de la politique des bolchéviques. Ce qui exclut toute possibilité d'une révolution prolétarienne. Quelle est alors, selon le "Manifeste Humaniste", la perspective politique ?

"Plusieurs régimes sociaux et politiques se sont succédés aussi au 20e siècle et ils ont fourni les bases pour le futur 

- les empires coloniaux du 20e siècle ont complètement disparu ;

- La menace du totalitarisme s'est éloignée ;

la Déclaration universelle des Droits de l'Homme a été adoptée, au jour d'aujourd'hui, par la majorité des nations du monde (en parole tout au moins) ;

les idéaux de démocratie, de liberté et d'une société plus ouverte se sont largement étendus en Europe de l'Est, en Amérique Latine, en Asie et en Afrique (...) ;

comme les économies nationales ont fini par entrer dans la globalisation, la prospérité économique, de la zone de l'Europe et de l'Amérique du Nord, a gagné d'autres parties du monde. Les marchés libres et les méthodes entreprenariales ont ouvert les régions sous-développées aux investissements de capital et au développement

(...) Nous avons besoin de continuer à défendre le développement de la démocratie dans les diverses nations de la communauté mondiale, mais aussi nous avons besoin d'améliorer les droits transnationaux de tous les membres de la communauté planétaire" (Manifeste Humaniste 2000).

Selon ce "Manifeste", la seule issue politique est donc... l'actuelle démocratie bourgeoise, le même Etat capitaliste, le même régime capitaliste de "libre marché" et de travail salarié . En d'autres termes, il cherche à embellir le capitalisme, en masquant ses traits les plus horribles (le fondamentalisme, le manque d'éthique, la pauvreté, la pollution, les guerres...), dans le but de le faire perdurer. Nous pouvons affirmer que cet " humanisme " - qui se présente drapé de "l'éthique humaine", avec une "vision scientifique" et qui "se préoccupe des déshérités" - est, pour la défense et le maintien du système d'exploitation capitaliste, mille fois plus insidieuse et efficace que le fondamentalisme le plus barbare. C'est précisément cette idéologie que le CCI actuel est en train d'adopter.


Au-delà des campagnes idéologiques, il est clair qu'il existe des luttes entre les différentes fractions de la classe capitaliste (tant entre les différentes nations qu'au sein de chacune). Cependant, aujourd'hui, cela ne signifie pas que certaines d'entre elles seraient "réactionnaires" ou "obscurantistes" alors que d'autres seraient "progressistes" ou "rationnelles". Depuis un siècle en effet, c'est-à-dire depuis le moment où le capitalisme est entré dans sa phase de décadence, toutes les fractions de la bourgeoisie se sont retrouvées également réactionnaires. Car, dans cette phase, il ne s'est plus agi, pour la bourgeoisie, d'essayer d'impulser la "civilisation" mais surtout d'éviter que son ennemi de classe - le prolétariat mondial - la mette à bas pour toujours. Et dans ce but, elle emploie à sa convenance tant la religion que la science, tant le fondamentalisme que le libéralisme. Le dernier anniversaire de L'Origine des espèces de Darwin a particulièrement servi la bourgeoisie pour alimenter ses campagnes idéologiques, ses débats entre "religion et science", entre "fondamentalisme et humanisme libéral". Au lieu de dénoncer tout ce battage, en mettant à nu ces dangereuses fausses alternatives, le CCI... se met à y participer activement.


Quand le CCI actuel affirme que ce sont "quelques fractions" de la bourgeoisie qui "inoculent les idéologies réactionnaires", il gomme les frontières de classe, il emprunte dangereusement le chemin qui mène à prendre partie, à certains moments, pour les fractions "les moins réactionnaires", "les moins obscurantistes" ou pour "les progressistes". Il ouvre la voie à sa "perte" totale comme organisation prolétarienne.

Mais Marx et Engels n'ont-ils pas aussi défendu la science ? Comment alors est-il possible que cette défense de la "science contre la religion" conduise maintenant le CCI à l'abandon du marxisme ?

5. Science humaine ou... révisionnisme

En de nombreuses occasions, en effet, Marx et Engels insistèrent sur l'importance qu'avait pour eux le développement de la science à leur époque, en particulier sur l'importance qu'avaient les travaux de Darwin, de même que sur les limites de la méthode théorique sur lesquels ils s'appuyaient. En se développant, les sciences naturelles prouvaient de manière empirique que la nature n'était pas rigide, ni immuable, qu'elle n'avait pas de "vérités éternelles" et qu'elle n'obéissait pas à une "fin" préconçue (la téléologie), mais qu'elle obéissait aux lois du mouvement dialectique. Elles prouvaient aussi que la société capitaliste n'était pas immuable et éternelle, mais qu'elle avait une limite historique et qu'elle devait laisser place un jour à une autre société. Cependant, Marx et Engels ne cessaient pas d'observer que les hommes de sciences se trouvaient prisonniers d'un mode de pensée non-dialectique et que leurs découvertes se heurtaient sans cesse à leur méthode de raisonnement et d'analyse :

"Il est difficile de prendre en main un livre théorique de science de la nature sans avoir l'impression que les savants sentent eux-mêmes à quel point ils sont dominés par cette incohérence et cette confusion, et comment la soi-disant philosophie actuellement en vogue ne leur offre absolument aucune issue. Ici il n'y a désormais pas d'autre issue, pas d'autre possibilité de parvenir à la clarté que le retour, sous une forme ou sous une autre, de la pensée métaphysique à la pensée dialectique" (Engels, Dialectique de la nature, Sur la dialectique, Editions sociales).

Dans ce sens, Darwin était, pour Marx et Engels, l'exemple type de ces scientifiques. D'une part, ils considéraient L'Origine des espèces comme "la base, dans l'histoire naturelle," de leurs propres conceptions (Lettre de Marx à Engels, 19 décembre 1860) mais, de l'autre, ils ne cessaient de mettre en évidence les "insuffisances" de sa méthode :

"L'ouvrage de Darwin est très important, il me sert de base scientifique pour la lutte historique des classes . Il faut évidemment se résigner à la rudesse anglaise de l'exposé. Mais malgré tous ses défauts, il porte pour la première fois un coup mortel à la « téléologie » dans les sciences naturelles et, de plus, il en analyse empiriquement le sens rationnel..." (Lettre de Marx à Lasalle, 16 janvier 1861).

"Le Darwin que j'ai à nouveau parcouru m'amuse quand il prétend appliquer à la flore et à la faune également, la théorie « de Malthus », comme si chez Monsieur Malthus l'astuce ne résidait pas justement dans le fait qu'elle n'est pas appliquée aux plantes et aux animaux, mais seulement aux hommes (...). Il est curieux de voir comment Darwin retrouve chez les bêtes et les végétaux sa société anglaise avec la division du travail, la concurrence, l'ouverture de nouveaux marchés, les « inventions » et la « lutte pour la vie » de Malthus" (Lettre de Marx à Engels 18 juin 1862, Editions sociales).


"De la doctrine darwiniste, j'accepte la théorie de l'évolution , mais je ne prends la méthode de démonstration (lutte pour la vie, sélection naturelle) que comme une première expression, une expression provisoire, imparfaite, d'un fait que l'on vient de découvrir . Jusqu'à Darwin, ce sont précisément les gens qui ne voient aujourd'hui que la pour la vie (Vogt, Büchner, Moleschott, etc.) qui affirmaient l'existence de l' action coordonnée de la nature organique (...).Les deux conceptions se justifient dans une certaine mesure, dans certaines limites. Mais l'une est aussi bornée et unilatérale que l'autre. L'interaction des corps naturels - vivants et morts - implique aussi bien l'harmonie que le conflit, aussi bien la lutte que la coopération . Si, par conséquent, un soi-disant naturaliste se permet de résumer toute la richesse, toute la variété de l'évolution historique en une formule étroite et unilatérale, celle de la « lutte pour la vie », formule qui ne peut être admise même dans le domaine de la nature que cum grano salis [avec un grain de sel, c'est-à-dire avec quelques réserves], ce procédé contient déjà sa propre condamnation.

Toute la doctrine darwiniste de la lutte pour la vie n'est que la transposition pure et simple, du domaine social dans la nature vivante, de la doctrine de Hobbes : bellum imnium contra omnes [la guerre de tous contre tous] et de la thèse de la concurrence, chère aux économistes bourgeois, associée à la théorie malthusienne de la population. Après avoir réalisé ce tour de passe-passe (...), on retranspose les mêmes théories cette fois de la nature organique dans l'histoire humaine, en prétendant alors que l'on a fait la preuve de leur validité en tant que lois éternelles de la société humaine" (Lettre d'Engels à P. Lavrov, 12 novembre 1875).

Depuis plusieurs années maintenant, le CCI actuel nous a rabâché sa conception de l'existence d'une "morale humaine", une morale générale et abstraite placée au-dessus des classes sociales ; une "morale humaine" qui ne provient pas de l'histoire sociale mais de la "nature humaine" qui est elle-même définie de manière abstraite et a-historique à partir de certains traits naturels (les instincts sociaux). Nous avons prouvé7 que toute cette conception n'est que la reproduction presque littérale du vieux révisionnisme du 19e siècle. Aujourd'hui le CCI actuel franchit un pas supplémentaire et étend sa notion à d'autres champs de l'idéologie : aux "sciences" en général. Il n'y a plus de science bourgeoise ou prolétarienne, seulement la "science" en général. Les sciences sociales, telles qu'elle se développent sous l'actuelle société bourgeoise, cessent d'être - selon le CCI actuel - un instrument et une expression de la domination de la bourgeoisie. Ainsi, l'économie politique, le droit, la sociologie... ne sont plus des sciences qui prétendent justifier et rendre éternel le mode de production capitaliste, elles ne sont plus des formes de l'idéologie bourgeoise, mais l'expression de la pensée humaine pure, abstraite et a-historique. Quant au socialisme scientifique (comme aimait l'appeler Engels), qui inclut tant la théorie de la révolution communiste que la méthode du matérialisme historique, c'est-à-dire le marxisme, il cesse d'être l'expression la plus profonde, et réellement scientifique, de la conscience de classe du prolétariat et que seul le prolétariat lui-même peut développer. Le marxisme devient donc une science parmi les autres, "neutre".

Mais peut-être va-t-on nous objecter que l'idée selon laquelle il n'y a ni science prolétarienne, ni science bourgeoise, mais simplement une "science générale" dont "se nourrit le prolétariat", ne se réfère pas aux sciences sociales, mais seulement aux sciences naturelles. À cela nous répondrons qu' une des caractéristiques du révisionnisme est précisément l'ambiguïté, la généralisation abstraite, grâce à laquelle il espère éviter la critique frontale tout en conservant sa position. Le révisionnisme ne rejette quasiment jamais ouvertement le marxisme. Il cherche "juste" à le "dépasser", à "l'améliorer", à "l'actualiser". Ainsi, dire qu'"il n'y a pas de science bourgeoise ou prolétarienne" signifie qu'il y a la science "en général", laquelle implique toutes les sciences. Comme cette "science en général" est indéfinie et vague, cela contraint le révisionnisme à apporter une "précision" : "Par sciences, on entend les sciences naturelles". Même ainsi, il n'est pas question, pour nous, de laisser le révisionnisme faire des sciences naturelles des sciences "neutres", "a-historiques" ou "a-classistes".

Tout d'abord, nous tenons à rappeler que les sciences naturelles ont accompagné l'ascension et les révolutions de la bourgeoisie, jouant le rôle de bélier contre les conceptions religieuses qui étaient à la base de la domination idéologique des pouvoirs féodaux. Ce rôle est, par exemple, clairement relevé par Engels (dans Dialectique de la nature) qui rappelle justement comment les scientifiques ont été persécutés et parfois brûlés vifs par l'Eglise. Ce qui signifie, de façon évidente, que les sciences naturelles se sont développées en premier lieu avec un caractère de classe, comme un instrument révolutionnaire au service de la bourgeoisie. (Même si, une fois au pouvoir, la bourgeoisie se servit de l'Eglise pour défendre ses intérêts propres, et que cette dernière "s'embourgeoisa").

En deuxième lieu, nous tenons à préciser que les sciences naturelles, qui sont aussi une force productive, acquièrent le même caractère contradictoire que toutes les autres forces productives sous le capitalisme : si, d'un côté, elles tendent au développement absolu, universel, abstraction faite de leur caractère spécifique (le caractère bourgeois), en même temps elles ne peuvent se libérer de ce dernier. Comme moyen pour l'obtention du profit, elles ne peuvent - dans le cadre du capitalisme - se développer que dans la mesure et dans le sens où l'exige l'accumulation du capital. Il n'existe donc pas un "développement pur" des sciences naturelles mais uniquement un développement en accord avec les intérêts de la classe capitaliste. A nouveau, cela marque le caractère de classe des sciences naturelles, et cela tant que s'exerce la domination du capitalisme.

"Ainsi, la production fondée sur le capital crée d'une part l'industrie universelle - c'est-à-dire le sur-travail, le travail créateur de valeur -, et de l'autre elle crée un système d'exploitation générale des propriétés naturelles et humaines, un système de l'utilité générale ; tant la science que toutes les propriétés physiques et spirituelles se présentent comme support de ce système alors que, hors de cette sphère de la production et de l'échange sociaux, rien ne se présente comme supérieur en soi, comme justifié pour soi" (Marx, Grundrisse, Folio 636, Ediciones Siglo XX, traduit de l'espagnol par nos soins).

En fin de compte, les "sciences naturelles" ne sont sûrement pas des entités éthérées. Elles sont le produit de personnes qui - même si elles restent enfermées dans leurs laboratoires - vivent aussi dans la société de classes, appartiennent à une classe sociale déterminée et subissent l'influence des différentes idéologies et luttes de leur classe. Voilà pourquoi leurs travaux sont marqués par leurs conceptions politiques, religieuses, morales, etc., ce qui, de nouveau, donne au contenu théorique de leurs recherches une tournure idéologique de classe. Nous le voyons avec Darwin lui-même. Mais il en est de même pour des domaines apparemment "neutres" ou "abstraits" comme l'astrophysique (comme ce fut le cas d'Einstein qui s'est efforcé à vouloir adapter ses équations mathématiques à un univers immobile et non à un univers marqué par un mouvement d'expansion-effondrement). Finalement, dans la mesure où les "hommes de science" interviennent dans la politique, dans la lutte des classes, ils le font aussi avec un point de vue de classe déterminé, bien que leur fonction sociale les revêt d'une auréole qui les placent au-dessus du commun des mortels, et bien que parfois ils se considèrent eux-mêmes comme une espèce de "gardiens de l'humanité" (ou que certains les considèrent comme tels) comme nous le voyons, par exemple, dans le cas des scientifiques qui ont signé le "Manifeste Humaniste" et qui, en réalité, défendent bec et ongles l'actuel système d'exploitation.

Enfin, concernant cette "nouvelle" conception que le CCI adopte à propos de l'existence d'une "science humaine" au-dessus des classes, qu'il vient d'ajouter à celle d'une "morale humaine" générale et abstraite qu'il nous avait fait découvrir précédemment, nous n'avons, pour l'instant, rien de plus à ajouter. Le marxisme révolutionnaire prolétarien lui a déjà réglé son compte dans le combat contre le révisionnisme, qu'il soit contre Bernstein ou contre De Man :

"Cette doctrine composée des fragments de tous les systèmes possibles sans distinction semble au premier abord complètement libre de préjugés. En effet, Bernstein ne veut pas entendre parler d’une "science de parti" ou, plus précisément, d’une science de classe, pas plus que d’un libéralisme de classe ou d’une morale de classe. Il croit représenter une science abstraite universelle, humaine, un libéralisme abstrait, une morale abstraite.

Mais la société véritable se compose de classes ayant des intérêts, des aspirations, des conceptions diamétralement opposées ; et une science humaine universelle dans le domaine social, un libéralisme abstrait, une morale abstraite sont pour le moment du ressort de la fantaisie et de la pure utopie. Ce que Bernstein prend pour sa science, sa démocratie, sa morale universelle tellement humaine, c’est tout simplement celles de la classe dominante, c’est-à-dire la science, la démocratie, la morale bourgeoises " (Rosa Luxemburg, Réforme sociale ou révolution ?, ch. L'effondrement, 1898).

Le CCI actuel continue à courir, de plus en plus vite, sur les pas de Bernstein, vers le révisionnisme et l'opportunisme et, malheureusement, au vu de sa nouvelle crise organisationnelle qui a mené à la scission de quelques militants8, il semble qu'il n'y ait plus beaucoup (s'il en reste) de militants disposés à lutter en son sein pour arrêter cette course suicidaire.

La Fraction, Janvier 2010.




Notes:

1. Cet article est reproduit en espagnol dans Acción Proletaria  211 et sous un autre titre en anglais, The persistence of religious obscurantism , sur les pages "online" en anglais.

2." Les religions ont cependant été contraintes de masquer la poursuite de leur croisade anti-darwinienne en propageant une idéologie visant à maintenir la croyance religieuse derrière une pseudo-“construction scientifique” alternative : le “dessein intelligent” ( intelligent design ) " (150 ans... RI



3.http://fr.internationalism.org/ri407/compte_rendu_des_journees_de_discussion_a_lille.html (reproduit seulement à ce jour et à notre connaissance en italien sur les pages web du CCI)

4. http://www.marxists.org/archive/labriola.works/a105.htm

5. Cette oeuvre de Pannekoek a bien été publiée récemment par le CCI comme un moment de sa marche vers le darwinisme. Mais comme le marxisme de Pannekoek le met un peu "mal à l'aise", il lui faut préciser dans la préface à la publication : "En opérant une rupture entre morale naturelle et morale sociale, entre nature et culture, Pannekoek n'avait pas suffisamment compris la continuité évolutive existant entre la sélection des instincts sociaux, la protection des faibles par l'entraide, et ce qui a permis à l'Homme de s'engager dans la voie de la civilisation " (Revue internationale 138. introduction à l'article de Pannekoek). On comprend bien la divergence entre Pannekoek et le CCI actuel : le premier est sur le "terrain de la lutte des classes" alors que le CCI d'aujourd'hui est sur le "terrain de la civilisation de l'Homme".

6. Le Manifeste Humaniste 2000 a été publié à l'origine dans: Free Inquiry, Automne 1999, vol. 19, nº 4, mais on peut le trouver facilement sur Internet en plusieurs langues (sauf en français, en tout cas nous ne l'avons pas trouvé) .

7. Voir dans nos Bulletin communiste n°38 et 39 les articles de critique à la théorie de la "morale humaine". Nous les avons aussi publié en brochure sous le titre Morale prolétarienne, lutte des classes et révisionnisme.

8. Dont parle à peine et très vaguement le rapport sur le 18e congrès international du CCI - où se trouve la soi-disant "culture du débat" ?.


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