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Histoire du mouvement ouvrier
La lutte de la Gauche italienne en 1924 et 1925 et le CCI

Le contexte mondial après juillet 1924

1924 est l’année cruciale du changement de rapport de force entre les classes au niveau mondial après l’échec de la révolution allemande. Au sein même du mouvement communiste le rapport de force s’inverse également entre la “ gauche ” et le “ centre ”.

Dans cette période, Zinoviev, en tant que Président de l'IC, fait passer la "bolchévisation" comme une politique de "gauche" : un cours à gauche de l'IC; c'est la raison pour laquelle il essaie de convaincre la gauche de le suivre et, en particulier, Bordiga de devenir vice président de l'IC au point que Bordiga qui n'est pas dupe sur la réalité centriste de la politique de l'IC, écrit " Mais on nous dit : 'vous êtes décidément insatiables! L'internationale va à gauche et vous n'êtes pas encore contents'. Et bien, admettons que l'internationale aille à gauche; mais si je me réfère à mon discours du IV° congrès, je note qu'alors je critiquais précisément cette tendance de la direction de l'internationale à aller à droite ou à gauche selon les indications de la situation".

Ce changement de rapport de force entraîne des conséquences importantes De nombreux aspects mériteraient d’être développés ici :

- la "canonisation" de Lénine;

- la question du parti de masse (la “ levée léniniste ” de recrutement) et la question du front unique ;

- la 'bolchévisation' et la question des cellules d’usine, de quartier, etc.., en opposition à l’organisation en sections;

- la question du parti des ouvriers et des paysans qui aboutit aux USA à la création du parti des ouvriers et des fermiers qui va se mettre à la remorque de La Follette et déboucher sur le désastre de la révolution en Chine ;

- la question du régime intérieur des partis et la question "Trotski". L'Opposition de Trotski est condamnée comme 'déviation petite-bourgeoise' par le PCUS (23/31 mai 1924) et l'IC soutient le CC du PCUS pour sa fermeté dans la défense du léninisme;

- la question de l’analyse de la situation mondiale et l’idée de la “ stabilisation momentanée de la situation ” ce qui amène l’IC à pousser toujours à l’insurrection : Cf. la tragique insurrection en Estonie, en Bulgarie, etc,… (or c’est en 1924 que s’affirme le pouvoir du maréchal Hindenbourg en Allemagne et que le fascisme se consolide en Italie);

la question de l’inter-classisme.

Après le V° Congrès de l’IC (juillet 1924) est lancée la campagne de “ bolchévisation ” des partis communistes. Les orientations du V° Congrès sont critiquées par la Gauche italienne (GI) et Bordiga. Et c'est alors que la GI subit l’attaque la plus féroce de la part de l’IC mais surtout du “ centre ” gramscien qui se trouve à la tête de la Centrale du PCI.

Je ne traiterai ici que la question organisationnelle et celle du régime intérieur du PCI alors qu'il y aurait bien d'autres aspects de la bolchévisation à voir.

I - Du V° Congrès (juillet 1924) à l’Exécutif élargi de l’IC (mars-avril 1925)

La situation intérieure du parti se dégrade au point que Bordiga s'élève contre la tactique du PCI dans une lettre personnelle aux membres de la gauche (du 8 novembre 1924). Elle se veut une sonnette d'alarme sur un processus de dégénérescence du parti.

"Les choses qui suivent sont exposées de façon absolument schématique, vous devez les considérer comme une communication personnelle".

Selon lui, la politique du PCI consiste à "amener du terrain de la discussion du contenu politique et tactique sur le terrain personnel et disciplinaire, demandant au parti de se prononcer non sur les opinions de la gauche mais de la récuser, tout en demandant que ses chefs participent aux tâches dirigeantes. Comme bien évidemment il est juste du point de vue formel que personne ne refuse d’accomplir le travail du parti et que la minorité doit faire taire ses désaccords, mais c’est ce qui permet d'éviter l'examen des véritables causes de la crise du parti et d’obtenir le consentement et les votes sur cette invitation à la concorde qui plus d'une fois est inspirée par une ingénue sympathie en faveur des camarades de la gauche. (…)

C'est vrai qu'avant d'arriver aux votes du V° Congrès, il nous a été réitéré la proposition de faire partie des organes dirigeants du Parti, mais selon les documents officiels à la condition explicite de renoncer à nos 'erreurs'." L'Internationale et le parti cherchaient à ce que la 'gauche' et Bordiga aient une participation 'à la direction du parti' qui est, en réalité, uniquement intéressée "à dissimuler l'intention de vider et de dévaluer la gauche et ses membres dans l'opinion des membres du parti". D'ailleurs "Il faut noter que dans le Comité central et même au Comité exécutif l'on ne peut pas faire du travail pratique mais seulement mener l'inévitable discussion".

Dans la suite de la lettre il critique la campagne faite dans le parti pour dénaturer sa position politique laquelle consiste à refuser sa participation sur le terrain pourri qui lui est proposé. Et il finit par la phrase suivante : "Toute cette crainte et phobie tendant à démontrer combien est hypocrite cette ostentation qui déplore le fait que je ne voudrais plus être assidu dans le parti ; il faut ôter toute illusion des camarades sur la signification de l'invitation de la gauche".

Cette lettre indique qu'il existe bien un courant de Gauche organisé ou tout au moins qui possède des relations politiques suivies dans le PCI, qui entretient des relations épistolaires et qui se tient informé de la situation politique dans le parti.

Dans cette période se tiennent les congrès fédéraux au cours desquels les membres de la gauche sont écartés des tâches dirigeantes. Si, dans ces derniers, la gauche est majoritaire la Centrale ne propose pas de vote effectif "sur aucune question sous le prétexte qu'elles n'avaient qu'un caractère purement informatifs". (Cf. lettre de Bordiga du 8/11/24).

Le 15 février 1925 Togliatti informe le secrétariat de l'IC qu'il existe encore dans le parti un fort courant de sympathie en faveur de Trotski et que les fédérations suivantes sont toujours orientées à gauche : Turin, Allesandria, Novara, Biella, Milan, Pavie, Côme, Bergamo, Trente, Modène, Rome, Naples, Ancone, Terano, Macerata, Aquilà, Foggia, Tarente, Cosenza, Crémone et que, parmi les autres, les membres de la gauche sont très présents. Ce panorama de la force de la gauche montre combien la Centrale a du manœuvrer pour réduire cette dernière. Gramsci a utilisé toutes les armes : théoriques, politiques, organisatives et administratives.

La question Trotski va servir à mettre au pas le parti.

La Centrale publie dans le journal Stato Operaio du 6/02/25 une motion qui dit notamment :

"La question Trotski a été liquidée au XIII congrès du PCUS et au V° Congrès mondial, il a été démontré que ses prévisions étaient infondées, mais le camarade Trotski a enfreint la discipline en soulevant à nouveau son opposition en posant cette fois-ci une question de confiance générale sur le Centre dirigeant du Parti et de l'IC".

La Gauche réagit comme un seul homme à la publication de cette motion. Bordiga écrit un article de défense de Trotski qui ne sera publié que le 4 juillet 1925 dans l'Unità alors qu'il était rédigé depuis le 8 février 1925. La direction du PC refuse de le publier et le soumet au Présidium de l'IC qui va mener des opérations de retardement.

"Le présidium (de l'IC) demande à Bordiga , en conséquence de l'attitude qu'il prend sur la question Trotski, de venir à la réunion de l'Exécutif Elargi de l'IC à laquelle cette question sera discutée. Le Présidium sollicite la Centrale italienne de demander à Bordiga s'il est d'accord, vue la proximité de l'exécutif élargi au sein duquel il pourra s'expliquer et obtenir plus d'informations, de lui faire la proposition de renoncer momentanément à la publication de son article jusqu'à la fin de l'Exécutif." (1)

Dans cet article Bordiga finit en disant : "Trotski doit être jugé sur ce qu'il dit et écrit. Les communistes ne doivent pas être personnalistes, et le jour où Trotski trahira, il sera temps de le dénoncer sans un regard. Mais la trahison ne doit pas être déclarée du fait de l'intempérance des contradicteurs ou de leur position privilégiée dans le débat." (La question Trotski)

Cet article est publié en juillet quand il est clair que la gauche est définitivement battue dans le PCI et que le Comité d'Entente a bien été dissous.

Le parti est donc mis au pas au moyen de la question Trotski qui est liée à la "bolchévisation". Le CE du PCI dans une circulaire du 9 mars au fédération écrit :

" Le mot d'ordre de la bolchévisation a été mis à l'ordre du jour du V° Congrès mondial. Le débat qui a eu lieu entre le CC russe et le camarade Trotski a permis de mettre en lumière quels sont les éléments avec lesquels un parti communiste est devenu un véritable parti bolchevique. Dans notre motion nous avons indiqué deux éléments fondamentaux :

1/ l'existence dans le parti d'une complète homogénéité idéologique, résultant des principes du marxisme révolutionnaire et du léninisme;

2/ l'existence et le respect de la part de tous les camarades d'une ferme discipline de travail".

Et plus loin dans le chapitre : "bolchévisation du parti et position de Bordiga" on lit :

"dans un parti bolchevik il ne doit pas exister de fraction ni un état de "fractionnisme" lequel perturbe les bases de l'unité idéologique et de l'action nécessaire au Parti."

"dans un parti où il existe une situation fractionniste il n'est pas possible de développer des discussions régulières et continue parce que tant la Centrale du Parti et que l'IC refusent d'ouvrir le débat, ce dernier pousserait à aiguiser l'opposition fractionniste".

Jusqu'au 9 mars 1925, la politique de Gramsci a pour but de discréditer la gauche. A partir de cette date, il passe à des mesures de rétorsion. La véritable bolchévisation du PCI commence par l’élimination de Bruno Fortichiarri du secrétariat fédéral et du comité fédéral de Milan et par la circulaire du 9 mars 1925 de la Centrale.

Le 22 mars (jour où Bordiga devait être à Moscou à la réunion de l’IC), Bruno Fortichiari invite Bordiga à faire une Conférence publique à l’Université prolétarienne sur la question des “ classes moyennes ” et cela à la barbe de la Centrale du parti. Bordiga, à la sortie de la conférence, est acclamé par une masse énorme de camarades. De plus il y a 2000 militants en tenue de combat qui se tiennent prêts à intervenir contre toute intervention des fascistes ou de la police de l’Etat. La Centrale n’a pas pu interdire la Conférence mais comme elle cherche à s’attaquer à la fédération de Milan tenue par la Gauche, elle va se payer la tête de Bruno Fortichiari. Sous ce prétexte, il est destitué de toutes ses fonctions et l’on sait qu’il avait un rôle important dans le parti et au sein de cette fédération qui était la place forte de la gauche.

La centrale édicte un texte : "Disposition du CE pour l'unité idéologique du parti".

"Les Comités dirigeants milanais qui ont cru licite de faire cette démonstration contre le parti et l'internationale, ils se sont en cela discrédités face à la masse des militants qui ne peuvent pas reconnaître l'autorité de ceux qui violent la discipline du parti.

Les dispositions pour sa dissolution ont déjà été appliquées. Dans l'impossibilité de procéder actuellement à de nouvelles élections et dans la nécessité de continuer, sans retard, le travail de propagande idéologique (..) un nouveau comité est nommé avec le concours des meilleurs camarades milanais" (le remplacement s'est donc effectué sans élection du fait de la décision de la Centrale).

Les arguments invoqués sont les suivants : " A cette occasion le camarade Bordiga a souligné son opposition à l'Internationale communiste prenant l'occasion d'une question capitale : la discussion survenue dans le parti russe.

'Les dirigeants des organes milanais ont eu communication par le CC, que le camarade Bordiga avait refusé d'aller, comme c'était son devoir, à la réunion du Comité exécutif élargi où on devait discuter de la question russe et dont il était membre et pas du tout à titre honorifique".

En résumé :

Gramsci et les “ centristes ” au sein de la Centrale se déchaînent et commencent alors un travail de désagrégation contre les positions que la gauche possède à l’intérieur du parti en créant un climat d’intimidation, en isolant ses membres et en leur interdisant tout échange de vues entre eux. La Centrale lance une campagne sous le prétexte de “ fractionnisme ” contre les camarades de la Gauche et Bordiga. Pour la Centrale, Scoccimaro qualifie Bordiga de “ déviationniste de droite ” et de “ fractionniste ” et il le justifie par l’équation “ bordiguisme = trotskisme ”. Le trotskisme vient d’être dénoncé comme ayant “ une nature non bolchevique ” par le V° Congrès de l’IC en suivant les résolutions du dernier Congrès du PCUS. Enfin Trotski est condamné parce qu’il n’a pas “ reconnu ses propres erreurs et pour avoir fait seulement un acte d’obéissance formelle ” (2).

Pour la CE du PCI, la bolchévisation veut dire “ homogénéisation et uniformité ” et ,lutte contre la “ gauche italienne ” pour en arriver à la conception du “ parti d’acier, cimenté par la fidélité des militants et obéissants aux chefs ” ( III° Congrès du PCI).

Les méthodes administratives dans la lutte interne : la Bolchévisation du PCI

Quelques aspects cités dans le volume 4 “ documenti sul comunismo rivoluzionario in Italia ” et repris par moi :

* Utilisation d'un système-méthode-technique de déformation des idées et d’exagération politique.

* Eriger en système doctrinal la “ mystique du parti monolithique, de l’unité à tout prix ” pour liquider toute résistance interne. Ce qui s’oppose à ce que disait Trotski d’après ce même volume 4: “la vie des idées dans le parti ne peuvent se concevoir sans des regroupements momentanés sur le plan idéologique, et si les regroupements et les fractions sont un système négatif, le remède ne peut consister dans leur interdiction, mais dans la correcte direction du parti ”. (souligné par moi).

* Le débat au lieu de se centrer sur l’analyse de la situation et sur les tâches du parti est concentré sur les questions des fractions et les questions personnelles et disciplinaires.

* Des déviations du léninisme qui traitent les opposants d’“ agents anti-parti ” et autres épithètes, on est passé à la diffamation systématique.

* Il est développé contre les opposants de nombreux mécanismes de pression, de violence et de chantage. La gauche a été interdite d’utilisation de la presse, destituée d’autorité des fonctions électives, privée des moyens du parti, soumise à des mesures disciplinaires, menacée d’expulsion ou expulsée, soumise à la surveillance du parti, empêchée de se réunir.

II – Après le V° Exécutif élargi – le Comité d’Entente.

La réponse à la destitution de Bruno Fortichiari est la constitution du Comité d’Entente. Il n’a pas pour tâche, de son point de vue, de lutter contre la direction du parti, ni de créer un instrument pour préparer le courant à résister et à contrecarrer l’action désagrégatrice et répressive de la Centrale. Il se propose de développer un simple lien entre les membres du courant et de préparer les questions organisationnelles pour le futur Congrès du parti.

- La phase préparatoire.

Le Comité d'Entente envoie en avril une lettre aux camarades de la Gauche et apprend aux membres du courant qu'un Comité s'est formé.

Après avoir expliqué le pourquoi du Comité et la nécessité de lutter une fois de plus la lettre indique :

"Nous conseillons aux camarades qui ont des taches de parti et les camarades en général de divers lieux de se mettre immédiatement en contact avec le Comité d'Entente et de fournir le plus vite possible des adresses sûres pour recevoir la correspondance. Cette circulaire est particulièrement réservée aux camarades à qui elle est adressée. Nous nous réservons la possibilité de donner, dans la prochaine circulaire, aux camarades comment la propagande et le travail de préparation devra être organisé pour le congrès".

Nouvelle lettre du 22 mai 1925 : " Nous avons eu ton adresse par le camarade "X". (..) peux-tu nous dire si ton adresse pourra encore être utilisée ? ( ..) Nous incluons dans la présente une copie de la circulaire personnelle et secrète diffusée par le Comité d'entente. (..)

Ce serait bien que tu puisses venir à Milan pour discuter avec les camarades chargés de ce travail.

Notre adresse provisoire est Madame Ceccini Grossi, via Vigevano,9 - Milano."

Le 12 mai se tient à Naples la Conférence nationale de la Gauche. La Conférence adopte les fameux 9 "points de la gauche"; elle réunit une centaine de cadres dirigeants du parti. Secchia et Dozza (ces derniers, quand la Centrale coupera les vivres aux fonctionnaires du parti qui se déclarent appartenir à la Gauche, deviendront des "centristes" gramscien) et d'autres membres de l'appareil proposent d'utiliser les fonds du parti pour permettre au Comité de fonctionner. Bordiga et Damen refusent la proposition indiquant que pour l'instant le rôle du Comité était de regrouper les camarades pour la préparation du congrès et qu'il n'était pas nécessaire d'avoir des fonds pour cette fin.

- Suite à toute cette phase préparatoire qui a duré 2 mois, le Comité d’Entente se déclare officiellement avec la circulaire datée du 1er juin 1925 transmise à l’Exécutif du parti et signée par Damen, Repossi, Lanfranchi, Venegoni, Manfredi, Fortichiari.

La centrale lance une campagne dans l'Unità contre la gauche et, ne voyant pas parmi les signataires le nom de Bordiga, déclare que c'est "une manœuvre qu'il y ait l'absence du nom de Bordiga". Le jour suivant, ce dernier répond par une lettre ouverte dans laquelle il déclare "sa pleine adhésion au Comité d'Entente et demande si les camarades de la Gauche peuvent répondre aux affirmations diffamatoires de la Centrale". Cette lettre ne sera publiée que le 18 juin dans l'Unità en disant que " les mesures prises contre le Comité d'Entente sont dues au danger de scission dans le parti et demande au camarade Bordiga des explications sur son attitude." Bordiga y répond le jour suivant. La centrale ne publiera cette réponse que le 2 juillet avec un communiqué du CC ordonnant d'autorité de dissoudre le Comité d'Entente sous peine d'expulsion.

En parallèle, Gramsci destitue tous les membres du Comité de leurs fonctions, des tâches fédérales et de celles des sections. Damen et Repossi sont destitués du Comité syndical communiste.

Seuls quelques Comités fédéraux résistent à l'intimidation de la Centrale:

Cosenza, Foggia, Aquilà, Cremone, Bergamo. Contre ces fédérations, sont prises des mesures disciplinaires (destitutions) et pour la fédération de Consenza il est décidé de suspendre le journal hebdomadaire l'Operaio qui se déclarait : "organe de la fraction extrémiste".

Ugo Girone est expulsé du parti.

Contre Damen et Girone il est diligenté une enquête du parti. Les éléments de la gauche subissent une perquisition du parti sur eux et chez eux.

Damen, Lanfranchi, Venegoni, Manfredi, Fortichiari, Repossi sont suspendus, en attendant la décision du CC, de toutes leurs tâches et travaux. (communiqué de la CE du 7 juin).

- La gauche se défend politiquement face à cette campagne : Réponse de la gauche italienne au communiqué du CE du 7 juin (que l'Unità ne publiera que le 7 juillet).

Elle relève que la Centrale "se comporte comme une fraction dans le parti" et que les "fractions ne se combattent pas avec les mesures répressives mais en dépassant les divergences ce qui demande que la discussion ne se dérobe pas du terrain politique en passant à celui des sanctions et des mesures disciplinaires et qu'on laisse les camarades participer au travail préparatoire du congrès sans inhibition".

Le 19 juin le Comité d'Entente adresse une nouvelle lettre circulaire demandant aux camarades de la Gauche "une action immédiate, énergique et simultanée auprès des organismes du parti pour revendiquer notre droit à la critique et pour déclarer absurde et dommageable pour le parti les mesures de l'exécutif contre certains membres de notre courant de pensée".

Bordiga envoie un télégramme de protestation au Présidium de l'IC demandant que soit mis fin aux mesures disciplinaires continues contre la Gauche.

Constatant que la diffamation et les mesures disciplinaires ne font pas capituler la Gauche, le 28 juin le CE décide de porter l'attaque décisive : il demande que le Comité d'entente se dissolve ou ses membres seront expulsés.

Le présidium de l’IC intervient pour accuser la Gauche d’avoir constitué un appareil à l’intérieur du parti et à Bordiga d’essayer de créer un regroupement international avec la gauche allemande (on sait que c’est faux, cf. : lettre de Bordiga à Korsch). Ce dernier avalise les mesures de la Centrale et mandate pour intervenir en Italie Humbert-Droz comme délégué. Ce dernier convoque à Milan le 3 juillet une réunion à laquelle assistent plusieurs membres (Damen, Fortichiari, Repossi, Venegoni, Cecchina Grossi) pour le Comité d'Entente. Il demande aux membres de ce dernier de se dissoudre sous peine d’expulsion de tous ses membres.

Contre cette mesure, Repossi envoie une lettre indignée à Zinoviev et Bordiga un nouveau télégramme de protestation au Présidium. Le Présidium répond à Bordiga qu'il a chargé son délégué "de prendre des mesures pour terminer la question sans douleur", il faut "la cessation sans condition de l'agitation fractionniste et la soumission de la minorité à la majorité".

Par discipline la Gauche dissout le Comité mais cela signe la défaite de la gauche. Celle ci pensait pouvoir encore défendre ses positions politiques au Congrès. En fait, Gramsci défendait l'idée, dans la Centrale que le Congrès ne pourrait avoir lieu que si la gauche était battue. Si la Gauche a pu se défendre encore au Congrès de Lyon et au VI congrès de l'internationale c'était un baroud d'honneur. La fin du Comité d'entente signe la fin de cette période. La suite est connue avec la création de la fraction à l'étranger.

Lettre de défense de Bordiga sur le sujet du 8 juin 1925 à la Centrale du PCI

“ Quand une Centrale se trouve devant ce problème (il s’agit de la situation dans laquelle se trouve le PCI d’Italie face au courant de la Gauche italienne) elle doit donner la parole aux camarades qu’elle attaque et remettre toutes les décisions au congrès.

A part toutes les raisons que nous démontrons comme fausses en tant que ligne de principes et de méthode marxiste qui consiste à réduire la question au comportement personnel de quelques inscrits (membres) et au jeu de la discipline formelle ; nous voulons clarifier tout de suite quelques points qui démontrent comment la voie choisie par la centrale, ne sert pas à défendre mais à nuire au Parti et à son unité ce qui nous tient à cœur plus qu’à tout autre et que nous nous engageons à défendre malgré la fâcheuse situation créée par les erreurs de la Centrale.

L’accusation de “ fractionnisme ” ne sert à rien parce que nous la retournons tout de suite sur la base des faits parce que nous sommes considérés comme en situation tendancieuse et de fractionnisme du point de vue des camarades de la Centrale.

Actuellement, nous comprenons la constitution du Comité d’Entente comme l’unique moyen pour prévenir les inconvénients créés par votre méthode de direction du Parti et, par contre, (notre attitude) comme le moyen de diriger dans un sens moins dangereux, les réactions de la périphérie du Parti contre le système du centre.

(…)

Comme dans un vrai Parti Communiste il ne devrait pas y avoir de fraction, il est facile de susciter, pendant un certain temps, une réaction contre un groupe de camarades présentés comme des troubles fêtes. Chose qui devient inopérante si l’on peut sortir de ce simplisme et de cette réaction sentimentale obtenue au préjudice d’une vraie conscience communiste et (obtenue) par le prestige du parti. Vous refusez obstinément, par peur de nous donner raison, d’ouvrir la discussion à la place de l’ennuyeuse répétition du vote de formules sur l’unité et contre la division en refusant de poser le problème de façon historique et en soutenant le processus du vieux système social-démocrate par opposition à l’unité effective et à la centralisation communiste(..)

Je comprends, dit l’ouvrier, que même au sein du parti communiste tout se réduit à une lutte entre les leaders, lesquels sont capables de briser le parti pour l’emporter sur ses rivaux : et alors, ceux qui disaient que la scission de Livourne a ruiné le parti et a permis au fascisme de triompher, avaient raison.

(..) Tout le monde voit comme un tel mot d’ordre : “a bas les tendances ! ” lancé aussi démagogiquement tandis qu’en même temps l’on n’explique pas ni on ne veut pas nous permettre d’expliquer comment se pose pour nous marxistes la question de la mission des fractions et tendances, aboutit seulement – et çà toujours été ainsi, c’est toujours la pire des tendances celle qui se déguise en anti-tendance ( 3) - à une position de défaitisme et de liquidationnisme dans notre parti et de sa glorieuse tradition qui fait perdre aux camarades la vision de l’utilité historique du processus qui conduit à la libération du prolétariat mondial contre l’influence opportuniste.

Quand l’on pourra développer la partie théorique de cette argumentation, alors on verra comment même théoriquement cette position de liquidation est en partie entreprise par la fraction centriste qui dirige le parti.

Je dis cela pour rappeler aux camarades l’inutilité de l’offensive développée par la Centrale et de son ostentation à appliquer une discipline impitoyable conçue comme une sorte de performance sportive… ”

J'ai sélectionné quelques textes, j'y reviendrai car cette partie de l'histoire de la Gauche communiste est mal connue et mérite d'être porté à la connaissance des camarades.

Toutefois, les camarades noteront que la gauche italienne a franchement fait preuve d’indiscipline notoire (4), à côté des soi-disant attitudes anti-statutaires des camarades de l’actuelle fraction interne du CCI, ils ont réellement manifesté leurs désaccords de façon spectaculaire. Face à cette attitude les membres de l’actuelle fraction interne du CCI sont très respectueux des statuts et ont fait preuve d’un extraordinaire souci de l’unité de l’organisation. Toutefois, nous soutenons tous l’attitude la Gauche italienne et nous pensons tous que l’erreur fondamentale de la Gauche italienne consiste dans la dissolution du Comité d’Entente et l’abandon du combat décidé qu’elle avait engagé.

III – L'expérience de la Gauche communiste italienne en 1924/25 et le CCI

Tous les faits cités se retrouvent presque caricaturalement aujourd'hui dans notre histoire.

 "amener du terrain de la discussion du contenu politique et tactique sur le terrain personnel et disciplinaire, demandant au parti de se prononcer non sur les opinions de la gauche mais de la récuser, tout en demandant que ses chefs participent aux tâches dirigeantes" (Bordiga). Le CCI ne conçoit pas la situation de crise actuelle du CCI comme la conséquence d'un débat politique qui n'a pu avoir lieu depuis plusieurs années. Il n'arrive toujours pas à se développer du fait que les questions sont mal posées et le sont uniquement en termes d'individus, de clans, etc..

 L'Internationale et le PCI demandent que la 'gauche' et Bordiga aient une participation 'à la direction du parti'. Le but était "de vider et de dévaluer la gauche et ses membres dans l'opinion des membres du parti". D'ailleurs "Il faut noter que dans le Comité central et même au Comité exécutif l'on ne peut pas faire du travail pratique mais seulement mener l'inévitable discussion" (Bordiga).Il critique aussi la campagne faite dans le parti pour dénaturer sa position politique de refus de participation sur le terrain pourri proposé :

"Toute cette crainte et phobie tendant à démontrer combien est hypocrite cette ostentation qui déplore le fait que je ne voudrais plus être assidu dans le parti ; il faut ôter toute illusion des camarades sur la signification de l'invitation de la gauche". Les camarades Juan et Olivier sont suspendus parce qu'il n'ont pas participé, pour des raisons similaires, à une réunion du SI mensuel;

 "il est facile de susciter, pendant un certain temps, une réaction contre un groupe de camarades présentés comme des troubles fêtes" (Bordiga). Dans le CCI, l'on a créé la même situation pour déprécier l'action des camarades de la fraction.

 "dans un parti bolchevik il ne doit pas exister de fraction ni un état de "fractionnisme" lequel perturbe les bases de l'unité idéologique et de l'action nécessaire au Parti." (la Centrale du PCI). Dans le CCI aujourd'hui, on ne reconnaît pas l'existence d'une fraction de façon réelle même si les statuts le reconnaissent.

 La question de l'autocritique. Trotski a été condamné par ce qu’il n’a pas “ reconnu ses propres erreurs et pour avoir fait seulement un acte d’obéissance formelle “. "Il a été réitéré, à Bordiga, la proposition de faire partie des organes dirigeants du Parti, mais selon les documents officiels à la condition explicite de renoncer à nos 'erreurs'". Les membres du Collectif suivant la résolution de la CE de RI devraient critiquer leur attitude du mois d’août avant que les OC actuels du CCI publient leurs contributions.

 Suppression des journaux de la Gauche italienne : Prometeo et Operaio de Cosenza. La question de la censure des textes de la Fraction (résolution du CE sous prétexte que les membres de l'ancien Collectif devaient faire leur autocritique auparavant).

 Elimination de Bruno Fortichiarri du secrétariat fédéral et du comité fédéral de Milan. Dans le CCI destitution d'Aglaé en tant que membre du SE de RI.

 La Centrale gramscienne se comporte comme une fraction 'cachée' dans le Parti et, par contre, accuse de fractionnisme la Gauche. C'est la même chose dans le CCI, alors que 3 camarades de l'ancien SI demandaient le transfert des OC en dehors de Paris. Les organes centraux du CCI actuels sont dirigés par une partie de l'ancien SI. Les OC actuels sont juges et parties.

 Gramcsi et les “ centristes ” au sein de la Centrale isolent les membres de la gauche et leur interdisent tout échange de vues entre eux. Dans le CCI, le camarade Juan est sanctionné et ne peut pas parler avec les camarades pendant sa période de suspension (5). En Russie, Staline avait à sa disposition des isolateurs.

 Eriger en système doctrinal la “ mystique de l’unité à tout prix ” pour liquider toute résistance interne. Ce qui s’oppose à ce que disait Trotski : “ la vie des idées dans le parti ne peuvent se concevoir sans des regroupements momentanés sur le plan idéologique, et si les regroupements et les fractions sont un système négatif, le remède ne peut consister dans leur interdiction, mais dans la correcte direction du parti". Dans le CCI, tout ce qui va à l'encontre de l'unité à tout prix , alors qu'on est dans une période de crise interne de l'organisation (il s'agit bien d'une période bien particulière) est sanctionné sans essayer de comprendre l'attitude des camarades. Et les regroupements nécessaires sont considérés comme des regroupements secrets qui mettent à mal la "loyauté" vis à vis de l'organisation, la discipline et la vie même de l'organisation.

 Ugo Girone est expulsé du parti sans qu'il puisse se défendre de façon contradictoire alors que les faits évoqués étaient faux. Juan est suspendu sans qu'il puisse se défendre face aux OC ou même face à la commission ad hoc qui traite de ces questions. En fait, la décision est prise sur la foi d'un unique (et tendancieux) témoignage.

 Les éléments de la gauche italienne ont subi des perquisitions du parti sur eux et chez eux. Peter dans une réunion de section de Paris, dit en substance que : “ si l'on pouvait le faire, on ferrait une perquisition chez les membres de la fraction pour prendre les adresses des camarades qu'ils possèdent ”. L'on a vu que Rosa Luxembourg a envoyé 300 télégramme à ses camarades le soir du vote des crédits de guerre en 1914. Les membres du Comité d'Entente font de même par rapport aux membres de leur courant pour les regrouper en 1925. Le CCI, lui, trouve cette attitude de la fraction anormale.

 Damen, Lanfranchi, Venegoni, Manfredi, Fortichiari, Repossi sont suspendus en 1925. Olivier et Juan subissent les mêmes mesures de rétorsion.

 Olivier et Juan sont suspendus parce qu'ils prennent des notes ou des enregistrements. D'abord ce n'est pas chaque fois qu'ils sont suspendus pour cela et, en plus, cela dépend du jour. Mais encore ce genre de mesure est nouvelle dans le mouvement ouvrier. Tout le monde sait que Trotski avait un zèle particulier pour faire suivre des malles et des malles contenant ses archives à travers toute l'Europe. Il a même réussi à les faire sortir de Russie et c'est grâce à ses archives qu'il a pu écrire l'histoire et tirer les leçons de ce qu'il a connu. Dans le CCI, non, cela n'existe pas.

Que les camarades jugent !

En ce qui nous concerne, nous pensons que la réflexion doit aller au-delà de la simple énumération des faits ci-dessus. La méthode de l’IC et des OC actuels du CCI qui ne voient qu’au travers de “ la discipline pour la discipline ”, ce qui aboutit à une politique inévitable de sanctions, va directement à l’éclatement et à la désagrégation de l’organisation et inévitablement à utiliser les méthodes listées ci-dessus. C’est une fausse politique qui va contre “ l’unité ” de l’organisation et contre “ sa défense ” dont les camarades nous abreuvent tout le temps.

Les "fractions ne se combattent pas avec les mesures répressives mais en dépassant les divergences ce qui demande que la discussion ne se dérobe pas du terrain politique en passant à celui des sanctions et des mesures disciplinaires et que l'on laisse les camarades participer au travail (…) sans inhibition". Voilà qu’elle est la véritable méthode marxiste, celle que MC nous a transmis. Jamais il n’a utilisé la “ discipline pour la discipline ” pour éviter la discussion au fond ! (6) C’est notre méthode, elle n’a rien à voir avec la méthode stalinienne.

Olivier

PS : Nous reviendrons sur les leçons tirées par Bordiga et MC sur le fonctionnement interne d’une organisation révolutionnaire dans un prochain numéro.



1 . On sait que Bordiga ne sait pas rendu au V° Plénum de l'IC.

2 . on a l’impression d’entendre la résolution de la CE de RI qui déclare ne pas vouloir publier les textes des membres du Collectif qui n’auraient pas fait leur auto-critique pour la participation à ce dernier

3 . Bordiga dénonce comme tendance “ cachée ” la tendance à la tête de la Centrale du PCI

4 . Deux mois de réunions et de travail du courant de la gauche sans déclaration publique, une réunion publique à Milan contre l’avis de la Centrale.

5 Les mêmes dispositions étaient imposées par le SE de RI à la camarade Aglaé dans une lettre du 7/10/01 « Ton refus de rencontrer une délégation est révélateur de ton état d’esprit hostile au CCI et signifie que tu es en train de te mettre toi-même en dehors de l’organisation. Nous t’appelons à te ressaisir et à mettre fin à ce type d’attitude qui ne peut qu’aggraver ta dérive et te conduire tout droit vers le milieu du parasitisme anti-CCI. De même, nous te demandons de cesser toute discussion parallèle avec des membres du ‘collectif’ -et notamment Olivier et ST. » 

6 . L’épisode de la fraction ex-LO est parlante en la matière . Quand Bérard était venu lui proposer un deal pour appartenir aux organes centraux, MC n’en avait jamais parlé afin que la discussion politique puisse se dérouler.


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