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COURRIER DE LECTEUR

Nous publions ci-après la lettre que le camarade GR nous a envoyée au sujet de notre article de critique à la prise de position du CCI sur le référendum français sur la constitution européenne. Nous y joignons notre réponse ainsi que des commentaires plus généraux. Dans la mesure de nos moyens, nous essayons de publier les courriers que nous recevons. Il ne nous est pas possible de tous les reproduire. Néanmoins, nous profitons de l'occasion pour inviter nos lecteurs, sympathisants ou non, critiques ou non, à nous écrire et à nous envoyer des prises de position politiques. Le choix de publier dans notre bulletin ces courriers est de notre responsabilité et c'est en fonction de leur intérêt politique, selon nous, pour l'ensemble de la classe ouvrière, ou pour le camp prolétarien, que nous décidons ou non de proposer à notre correspondant la publication de son courrier. Et c'est avec son accord que nous reproduisons son texte.

Lettre du camarade GR à notre fraction

Le 26/05/2005

Chers camarades de la fraction,

Je souhaite réagir à l’article paru dans votre dernier bulletin et intitulé : Les véritables communistes sont responsables de ce qu’ils disent à la classe ouvrière.

Selon vous : « Derrière cette campagne [pour le référendum], il s’agit en fait d’une réorganisation de l’appareil politique bourgeois, d’une volonté de fourbir son arme essentielle pour contrer la menace ouvrière montante : une gauche musclée, plus sociale et mystificatrice, capable d’encadrer et de dévoyer les luttes futures. »

Le CCI n’aurait pas la même analyse, dans un discours « filandreux » qui « trône en bonne place » et qui « consiste à défendre l’idée que la bourgeoisie française est quasiment en pleine déconfiture ».

Selon cet article du CCI, la bourgeoisie serait dans un « état de délabrement complet », incapable de maîtriser les consultations électorales. Et le CCI adresserait aux « ouvriers » un message insidieux ainsi résumé : « finalement vous n’avez rien à craindre d’une classe ennemie qui est dans un tel état de délabrement » et contribuerait à égarer les dits « ouvriers » et à les désarmer.

Malgré tout l’intérêt que je porte à vos analyses et les critiques que je peux formuler au CCI, je ne peux vous rejoindre dans l’analyse de cet article. La synthèse en est hâtive et les conclusions sont davantage le fruit de ce que vous aimeriez y trouver que de ce qui s’y trouve effectivement.

Détail tout d’abord. Le terme filandreux est ainsi expliqué dans le Petit Robert : « une phrase filandreuse est une phrase interminable, enchevêtrée, confuse ». J’avais, dans un précédent courrier, réagit à un tract du CCI allemand qui l’était particulièrement. Ce texte ne l’est pas. Il est au contraire clair et décline une juste analyse de la situation politique française y compris dans ses aspects historiques récents.

Par ailleurs, j’aimerais bien qu’on m’explique en quoi il « trône »…

Sur le fond, les termes que vous utilisez sont exagérés et tendent à induire un sens qui ne s’y trouve pas. Le CCI est suffisamment critiquable pour ce qu’il fait et ce qu’il dit sans avoir à trouver dans des articles des intentions qui n’y sont pas.

Ainsi ; vous affirmez que, pour le CCI : « L’organisation de ce référendum serait révélatrice de l’extrême faiblesse de la bourgeoisie française. »

Le CCI parle de faiblesse, certes, mais pas non pas « extrême » et de manière plus circonstanciée. Par exemple, dans le paragraphe que vous citez :

« Face à de tels enjeux, l’intérêt de la bourgeoisie française est donc d’imposer un vote favorable à cette constitution, mais il n’est pas exclu, une nouvelle fois, qu’un manque de maîtrise de son propre jeu politique puisse faire capoter ses plans (…) Mais cela signifierait un affaiblissement considérable de la crédibilité de la bourgeoisie française et de son poids diplomatique en Europe comme dans l'arène impérialiste mondiale. »

Vous l’aurez noté comme moi, l’affaiblissement sera celui, d’abord, de sa crédibilité, et non un affaiblissement de fait de sa position de domination sociale dans le pays comme vous le sous entendez ici (et l’affirmez plus bas en disant en conclusion que le CCI minimise la puissance de la bourgeoisie). Ce qui n’est pas une mince nuance. Par ailleurs, affirmer que le vote NON affaiblit la crédibilité de la bourgeoisie française, notamment de ses représentants actuels au pouvoir, est-ce, pour reprendre l’une de vos expressions, une « image dangereusement fausse de l’état dans lequel se trouve l’ennemi de classe » ? N’est-ce pas, au contraire la claire illustration de ce qui est, c’est à dire un affaiblissement de son « poids diplomatique ».

Chirac et son gouvernement (le nouveau comme l’ancien) sont totalement décrédibilisés et ouvertement ridiculisés par les représentants politiques, non seulement européens, mais mondiaux. Est-ce pour autant la bourgeoisie française qui l’est ? En partie, puisqu’il est clair qu’elle ne peut pas mettre aux avant-postes du pouvoir des hommes crédibles pour défendre ses intérêts. Mais si la France pèse encore d’un poids important dans le débat notamment continental, c’est bien parce qu’objectivement sa position économique et financière est incontournable. La crise de la bourgeoisie dont il est question dans cet article est celle de sa représentativité politique. Et que ce soit pour sa fraction de droite ou de gauche, est-il exagéré de dire ce que tout le monde constate : que la campagne perdue pour le OUI a profondément fragilisé les partis ? Et que les représentants discrédités de la bourgeoisie française seront moins convaincants dans leurs négociations politiques pour le partage du gâteau ?

Cette réflexion pose la question de la distinction entre la bourgeoisie et sa représentation politique. L’affaiblissement de l’une est-il synonyme d’affaiblissement de l’autre, sur le plan de la concurrence économique mais également dans son affrontement contre le prolétariat ?

Si les grands groupes transnationaux savent très s’entredévorer en dehors des cadres politique et frontalier, ils ne peuvent toutefois s’affranchir des cadres législatifs qui fixent les règles du jeu, protègent leur pré carré, consolident leurs positions respectives et surtout adaptent les conditions d’exploitation du prolétariat.

Or, la crise du capitalisme agonisant et l’effroyable guerre économique qu’elle engendre interdit tout accord international durable, forçant ainsi les représentants politiques à d’épuisantes négociations dont les conclusions sont constamment remises en causes. Sur le plan intérieur, la crise détruit sur pied toute perspective durable de programme politique cohérent. Depuis déjà bien des années, les différents partis en sont réduits à des pis allers et des mesures incomplètes, souvent minées par l’incapacité à faire passer les décrets, quand elles ne sont pas purement annulées à chaque changement de ministère. L’incapacité de la classe dominante à analyser les fondements de la crise du capitalisme et son aveuglement dans d’éventuelles solutions d’adaptation réglementaires, technologiques ou autre, l’obligent à naviguer à vue, au gré d’écueils qu’elle ne sait anticiper. La violence et la soudaineté des soubresauts de cette crise la contraignent sans cesse à agir dans l’urgence, détruisant aujourd’hui ce qui a péniblement été bâti hier…

Ainsi, sans programme politique durable, au sein d’une situation sociale qui se dégrade inexorablement, les partis et leurs représentants se discréditent au jour le jour par leurs volte faces et leurs échecs répétés : promesses non tenues, programmes irréalistes, effets d’annonce sans réalisation concrète, manque de financement, etc. Il est de notoriété publique que nombre de ministres du « nouveau » gouvernement méconnaissent totalement leur domaine d’affectation et n’envisagent qu’une gestion opportuniste dans l’attente de 2007.

Les enjeux de ses coteries politiques, où chacun se haï et se méprise, ne sont dès lors que des batailles d’ambitions personnelles au service des intérêts de fractions rivales de la bourgeoisie. Le tout baignant dans un discours mensonger et des pratiques largement maffieuses.

Cela ne peut-il s’apparenter, pour reprendre votre formule curieuse, à une bourgeoisie française « quasiment en pleine déconfiture » ?

Ainsi la phrase du CCI : « La façon dont Chirac a mis en œuvre le référendum sur la constitution européenne traduit une fuite en avant dans cette politique, au risque de provoquer un nouvel affaiblissement pour l’ensemble de la bourgeoisie française en cas de victoire du non. » me paraît juste. La caste politique est à l’image du capitalisme : ne pouvant plus agrandir le gâteau, elle en est réduite à se le partager, dans des combats de plus en plus meurtriers. Tout le monde sait que Chirac aurait pu faire adopter sans risque le traité constitutionnel par la voie parlementaire. S’il ne l’a pas fait, c’est uniquement par calcul électoral. Mauvais calcul, c’est évident. Uniquement dictée par des enjeux de rivalités personnelles (et de factions bourgeoises promptes sans complexe au changement de poulain), cette attitude s’apparente fort bien en effet à une fuite en avant. Qui parlera, sans risque du ridicule, de stratégie réfléchie et structurée basée sur l’analyse des affrontements de classes ? Il s’agit d’une manœuvre opportuniste, d’un règlement de compte entre gangsters.

« Il n’y a pas de doute, la bourgeoisie française est en difficulté pour ce référendum» écrit encore le CCI.

Totalement discrédité par ses manœuvres et ses coups fourrés, c’est l’ensemble de la classe politique qui est mis à mal. La représentation électorale de la bourgeoisie se retrouve aujourd’hui privée du seul artifice de projet politique : le renforcement de la construction européenne. Dépourvue de projet national cohérent, prisonnière des contradictions de son propre discours, sa Constitution poudre aux yeux s’écroule avant même d’avoir existé.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce texte n’était qu’une opportunité de plus pour rendre vie à un discours politique atone. Le NON à la Constitution n’entrave en rien la poursuite de la politique européenne telle que l’a mis en place et soutenu l’ensemble de ces mêmes partis. Le NON n’est évidemment en rien une quelconque victoire du prolétariat contre son exploitation.

Quoi qu’il en soit, je ne trouve pas dans cet article de référence explicite à ce que vous appelez l’ « Etat de déliquescence » de la bourgeoisie. En revanche, dans une analyse assez fine des faiblesses de la droite française (résumées par le terme archaïque (« désuet, périmé » dixit Robert…) qui me paraît juste) j’y découvre bien (je vous cite) « ses grandes difficultés voire son incapacité à maîtriser le jeu électoral. »

Car, quoi ? Diriez-vous que la bourgeoisie choisit, détermine de façon assurée à chaque coup qui va l’emporter lors d’une élection ? Elle avait donc prévu le NON qui lamine toute crédibilité à sa représentation politique ? A moins qu’elle ne soit pas décrédibilisée ? Dans ce cas, franchement, montrez-la-moi cette « gauche musclée, plus « sociale » et mystificatrice, capable d’encadrer et de dévoyer les luttes futures » que vous annoncez. Le P.S. libéral de Hollande ? Le P.C. fantomatique de Buffet ? L’extrême gauche groupusculaire ?

Non, le CCI dans cet article ne claironne pas au prolétariat qu’il n’a plus rien à craindre de la bourgeoisie. Il conclut d’ailleurs son texte par ces mots : « Mais cet affaiblissement (de la bourgeoisie) ne signifie nullement un renforcement pour la classe ouvrière. La bourgeoisie, malgré ses difficultés, sait trouver les forces nécessaires pour mystifier et tromper les ouvriers. »

Et dans son texte de première page : « La classe ouvrière n'a absolument rien à attendre du vote sur la Constitution européenne. Ce n'est pas le terrain ni le problème de la classe ouvrière, c'est le terrain et le problème de la bourgeoisie ». Et encore : « L'Etat bourgeois a toujours assuré dans le passé et assurera toujours à l'avenir la défense du capital national CONTRE la classe ouvrière et CONTRE la défense de ses intérêts de classe. »

Oui, la bourgeoisie française est forte et ce n’est pas la péripétie européenne qui va l’affaiblir. Son combat mortel contre le prolétariat continue. Mais sa représentation politique est ébranlée, décrédibilisée et minée par ses rivalités internes. C’est un fait dont la classe ouvrière doit tenir compte car c’est par la bouche des politiques que passe le discours de la bourgeoisie. Et une classe politique qui n’a plus de discours cohérent ne peut que renvoyer le prolétariat à lui-même. Dans sa détresse s’il ne peut y substituer un espoir mobilisateur. Mais dans toute sa confiance si une parole d’espoir peut couvrir cette cacophonie.

Le reproche que je fais au CCI c’est que cette mise en garde sur la dangerosité à la fois du jeu électoral et des ressources de la bourgeoisie s’inscrit dans la vague d’arguments défaitistes si perceptible sous les discours mobilisateurs. Voter ne sert à rien. Lutter n’est pas facile. D’ici à ce que les deux expressions se confondent, il n’y a qu’un pas, on le sait bien.

Mais de grâce, soyons honnêtes dans nos analyses sinon nous y perdrons, nous aussi, toute crédibilité. Comme vous le dites si bien : « les véritables communistes sont responsables de ce qu’ils disent à la classe ouvrière»

GR


Notre réponse au camarade GR

Paris, le 19 juillet 2005.

La Fraction Interne du CCI au camarade GR

Cher camarade,

Nous avons été très intéressés par ton dernier courrier (de la fin du mois de mai) et si nous avons mis un peu de temps pour y répondre c'est lié, en plus des délais dus à nos maigres forces militantes, à la profondeur et à la richesse de la matière que tu soulèves.

Il y a, de fait, plusieurs niveaux de réflexion et de critique dans ton courrier et nous nous devions à la fois de n'en négliger aucun et, à la fois, de décider le plus justement possible la forme que nous voulions donner aux différents niveaux de notre réponse.

I – Les dangers de la gauche

Un premier aspect de la critique que tu nous portes concerne notre analyse de la "réorganisation de l’appareil politique bourgeois". Nous répondrons publiquement à cela (à travers la publication de ton courrier et notre réponse sur ce point dans notre prochain bulletin) parce que c'est pour nous un aspect essentiel de l'aménagement de l'appareil politique bourgeois à la situation actuelle. Nous y revenons ici brièvement en nous centrant sur ce que nous comprenons comme des erreurs de jugement de ta part.

Toute la campagne référendaire s'inscrivait – et s'inscrit – dans une logique qui a commencé bien avant et qui met la classe dominante dans l'obligation de marcher résolument vers la préparation directe d'un affrontement impérialiste généralisé et, en même temps, de se préparer à affronter une classe ouvrière qui réagira nécessairement aux attaques à son niveau de vie (voir à ce propos nos bulletins, en particulier les n° 27, 22, 18, 14 et 4). Depuis quelques mois, tout le monde a pu constater le langage de plus en plus brutal et sans détour des équipes gouvernementales qui, sans état d'âme, mettent en place ouvertement des politiques anti-ouvrières et qui ignorent le mécontentement grandissant que celles-ci provoquent. Si ce mécontentement est globalement ignoré c'est parce que, jusqu'à maintenant, ses manifestations, soit sont dévoyées et donc stérilisées sur le terrain de la démocratie bourgeoise (les élections et autre référendum), soit, quand elles s'expriment sur le terrain de classe, c'est-à-dire sur le terrain des luttes, sont suffisamment maîtrisées et contrôlées par la gauche et les syndicats. Le remue-ménage occasionné par la dernière campagne référendaire notamment au sein de la gauche montre, à l'évidence, que la classe dominante se sent aujourd'hui de plus en plus obligée de renforcer son dispositif anti-ouvrier pour faire face à une situation de colère et de combativité qui ne se dément pas. Ce renforcement passe actuellement par la (re)mise en avant de "la gauche de la gauche", des fractions de gauche les plus aptes à agir sur le terrain des luttes, des fractions de gauche qui ont le langage et l'expérience nécessaires pour cela.

C'est cela qu'il faut analyser et comprendre ; et non pas se laisser berner par la mise en scène des médias qui nous dépeignent à loisir les difficultés, les tiraillements, voire le désarroi d'une classe politique qui, elle-même, exhibe ses divisions, … tout en prenant les mesures anti-ouvrières les plus dures que son système nécessite.

Tu nous écris :

"Car, quoi ? Diriez-vous que la bourgeoisie choisit, détermine de façon assurée à chaque coup qui va l’emporter lors d’une élection ? Elle avait donc prévu le NON qui lamine toute crédibilité à sa représentation politique ? A moins qu’elle ne soit pas décrédibilisée ? Dans ce cas, franchement, montrez-la-moi cette « gauche musclée, plus « sociale » et mystificatrice, capable d’encadrer et de dévoyer les luttes futures » que vous annoncez. Le P.S. libéral de Hollande ? Le P.C. fantomatique de Buffet ? L’extrême gauche groupusculaire ?"

Il nous semble y déceler les effets néfastes, voir dévastateurs, des élucubrations du CCI (nous reviendrons plus loin sur cet aspect) en se sens que :

1° : Nous n'avons jamais dit que la bourgeoisie détermine de façon assurée qui va l'emporter lors d'une élection pour la simple et bonne raison que ce qui se joue lors des élections n'est pas de savoir ce qui sort des urnes mais le degré auquel la classe dominante a été capable de tromper les ouvriers en leur faisant croire que c'est en mettant un papier dans les urnes qu'ils ont un effet sur leur sort ; en les faisant rentrer les plus nombreux possible dans les bureaux de vote.

2° : La "victoire" du NON aurait laminé toute crédibilité à sa représentation politique et celle-ci serait décridibilisée

Là encore, selon nous, tu te laisses embarquer par une logique (que le CCI met en avant dans ses articles avant le référendum, et qu'il "nuance" après celui-ci) qui voit dans les simagrées de la classe politique l'alpha et l'oméga de la vie politique de la bourgeoisie. Où as-tu vu que la bourgeoisie se posait le problème de sa "crédibilité" ?

Tu dis quelque part dans ton courrier que "…si la France pèse encore d’un poids important dans le débat notamment continental, c’est bien parce qu’objectivement sa position économique et financière est incontournable." Nous sommes parfaitement d'accord avec cette idée, simple et de bon sens pour les marxistes.

La bêtise prêtée au président des USA, les magouilles et mensonges auxquels il a eu recours pour lancer la guerre en Irak puis pour se faire réélire, n'ont pas le moins du monde "décrédibilisé" G. Bush. Etant le plus apte pour mener la politique nécessaire au capital US, il a été réélu et il mène à bien cette politique quelles que soient les plaisanteries et moqueries à son propos. Et parce que la position économique et financière des USA est incontournable.

C'est encore tomber dans le piège du parlementarisme et du rôle des élections que de parler de "crédibilité" nécessaire pour les représentants politiques de la bourgeoisie. Cela nous amène au point suivant.

3° Tu nous lances, presque comme un défi, "Dans ce cas, franchement, montrez-la-moi cette « gauche musclée, plus « sociale » et mystificatrice, capable d’encadrer et de dévoyer les luttes futures » que vous annoncez. Le P.S. libéral de Hollande ? Le P.C. fantomatique de Buffet ? L’extrême gauche groupusculaire ?"

Une première remarque : de la même façon que les équipes aux affaires n'ont pas besoin de la crédibilité pour mener leur politique, les équipes de gauche, quand elles sont dans l'opposition et remplissent leur fonction de dévoiement, ne cherchent pas l'onction du vote mais, au contraire, mènent leur travail sur le terrain en se fondant sur leur marginalité, sur le fait que les propositions qu'ils mettent en avant pour "changer la vie" ne rencontrent pas un écho suffisant pour être mises en place.

Peut-on ignorer le rôle dévastateur de ces groupes et partis politiques qui, solidement installés dans l'opposition, phagocytent les réactions de classe et tentent de les entraîner vers le terrain électoral quand les échéances arrivent et qui, entre temps, font miroiter des lendemains qui chantent et mettent toute leur énergie à s'assurer le soutien des ouvriers pour les prochaines échéances ?

Que le P.S. libéral de Hollande ne fasse plus rêver, c'est un fait et c'est justement pourquoi il est nécessaire qu'une aile plus "illusionniste" en sorte et participe activement du sordide petit jeu qui peut faire naître, avec le PC "fantomatique" et l'extrême gauche "groupusculaire" (ainsi qu'avec le renfort des "altermondialistes" d'ATTAC) les forces d'encadrement qui seront capables de dévoyer la classe ouvrière demain. Leur fonction n'est surtout pas d'être majoritaire et "crédible" comme alternative au gouvernement. Leur destin est, tout à l'inverse, d'être rejeté à la lisière du monde politique officiel afin de capitaliser sur leur marginalité et, ainsi, de remplir leur fonction, de "gagner leurs galons" d'opposition radicale et décidée à la politique qui est menée.

La question qui est posée n'est pas – dans un premier temps - de "montrer" où (ou qui) est cette gauche musclée, sociale et mystificatrice, la question est de comprendre qu'elle est en gestation parce qu'elle est une nécessité pour la bourgeoisie. Les "grandes manœuvres" que l'on a vues se déployer au moment de la campagne référendaire et depuis montrent que l'on aurait grand tort de mésestimer les capacités de réaction de l'appareil politique bourgeois et de bercer les ouvriers dans l'illusion que PS, PC et gauchistes sont mal en point.

Voilà le premier point que nous voulions préciser (et que nous développons dans le prochain bulletin).

II – Notre combat contre les dérives du CCI

L'autre aspect essentiel de la critique que tu nous porte consiste à dire que nous "noircissons le tableau" ; que nous caricaturons les positions du CCI "officiel", notamment à propos de cet article. Nous te citons une nouvelle fois :

"Malgré tout l’intérêt que je porte à vos analyses et les critiques que je peux formuler au CCI, je ne peux vous rejoindre dans l’analyse de cet article. La synthèse en est hâtive et les conclusions sont davantage le fruit de ce que vous aimeriez y trouver que de ce qui s’y trouve effectivement."

La critique que nous faisons de l'article de RI n°357 ne se fonde pas sur une synthèse (qu'elle soit hâtive ou approfondie), elle ne vise pas à mettre en cause tel ou tel passage, telle ou telle idée contenue dans le texte. Notre objectif est d'en démonter la logique et de rendre explicite le message implicite qu'il contient.

Face à l'énorme battage auquel la campagne référendaire a donné lieu, quelle devait être l'attitude des minorités révolutionnaires face à leur classe ? Que fallait-il mettre en évidence de façon prioritaire ?

Devait-on s'appesantir sur les supposées faiblesses de la bourgeoisie et sa "fuite en avant" comme le fait l'article du CCI ou bien, tout au contraire, souligner que le terrain électoral est toujours celui de la bourgeoisie et qu'à travers ce référendum, la classe politique dévoyait la classe du terrain de ses luttes, injectait une forte de dose de poison nationaliste et chauvin, réorganisait son appareil politique en dégageant les contours d'une gauche au langage plus "social", plus près des préoccupations de la classe ?

La réponse nous paraît évidente et c'est celle que nous avons donnée dans notre article sur le sujet. C'est aussi le même type de réponse qu'ont donné les groupes du camp prolétarien, le PCI "Le Prolétaire" et le BIPR. C'est la réponse qui se situe d'emblée sur le terrain de la classe ouvrière et de ses intérêts.

A l'inverse, le CCI "officiel" consacre l'essentiel de son article à décrire par le menu les problèmes, faiblesses et difficultés de la bourgeoisie (nous te renvoyons à nos citations de l'article) et n'évoque qu'à la toute fin du texte que la bourgeoisie "malgré ses difficultés, sait trouver les forces nécessaires pour mystifier et tromper les ouvriers".

Tu admettras que les deux points de vue sont diamétralement opposés puisque d'un côté il s'agit de dire que le vote est d'abord un coup porté à la classe ouvrière alors que de l'autre côté c'est un affaiblissement de la bourgeoisie. Même si le rédacteur du CCI concède que cet affaiblissement n'est pas fatal, en quelque sorte, et qu'il n'ôte rien de la volonté de la bourgeoisie de tromper et mystifier les ouvriers.

Cela posé, venons-en au cœur de ta critique : nous crions, selon toi, haro sur le baudet 1 !

Dans l'absolu, nous aurions peut-être pu considérer qu'il ne s'agissait que d'un article maladroit, mal centré, mal axé. Dans l'absolu, pourquoi pas ? Mais ce serait faire abstraction de l'orientation générale du CCI depuis quelques années. Ce serait ignorer les prises de positions, la pratique, l'intervention du CCI que ce soit :

- La caractérisation des luttes en Argentine en 2001 où il crachait sur les luttes au prétexte des couches non prolétariennes participaient du combat ;

- La participation et surtout l'analyse faite des luttes en Europe en 2003. Dans cette situation (que le CCI finira quelques mois plus tard par considérer comme le signe d'une reprise ouvrière) le CCI en est venu, ne l'oublions pas, à appeler les ouvriers en lutte à reprendre le travail et à voir dans ces luttes une manœuvre bourgeoise;

- L'analyse des élections US en 2004 où la reconduite de Bush a été considérée comme une erreur de la bourgeoisie US.

Et nous pourrions multiplier presque à l'infini ce genre de "dérapages" qui, pris un à un peuvent sembler de petites erreurs d'analyse mais qui, considérées dans leur ensemble, dans leur logique, définissent une dérive de fond de la part de cette organisation. Dans la compréhension de la situation, cette dérive de fond s'exprime, depuis quelques années, dans un cadre global d'analyse basé sur la seule décomposition de la société, décomposition qui atteint de façon irrémédiable et définitive toutes les classes de la société : la classe bourgeoise bien sûr (au point qu'elle semble ne plus rien maîtriser, pas même ses propres armes – les élections, par exemple – qui se retournent, semble-t-il, contre elle) mais surtout la classe ouvrière (de moins en moins capable de se défendre de façon immédiate et encore moins de mettre en avant sa perspective historique – cf. les pans entiers du prolétariat, de plus en plus importants, qui seraient, selon le CCI actuel, perdus définitivement pour la révolution).

Et n'est-ce d'ailleurs pas en parfaite cohérence avec ce cadre général que le CCI actuel se déleste progressivement d'une position fondamentale du marxisme révolutionnaire qu'est l'alternative historique "guerre ou révolution" pour mettre en avant une "troisième voie" représentée par la destruction de l'humanité ? Il faut noter au passage que l'alternative historique n'est que l'expression majeure du combat historique entre les deux principales classes de la société (K. Marx, "L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de luttes de classes" Manifeste du Parti communiste), alors que la "troisième voie" rejette sans appel tout combat de classe et donc la lutte de classe comme moteur de l'histoire.

C'est cette dérive de fond que nous considérons, en tant que fraction, avoir le devoir de mettre à jour, de révéler, de rendre claire à la fois pour les militants sincères encore présents dans le CCI, à la fois pour les éléments prolétariens en recherche de clarté politique et, plus généralement, pour l'ensemble de la classe.

Nous avons pu constater en diverses occasions que les critiques que nous portons aux pires excès opportunistes du CCI avaient parfois pour effet d'amener celui-ci à "corriger le tir". Nous nous en réjouissons, bien que ces corrections soient trop rares et jamais reconnues comme telles. C'est là le sens d'une partie de notre combat de fraction.

Notre appartenance ancienne au CCI nous donne une acuité particulière aux dérapages qu'il subit, nous décelons mieux que tout autre les discrets glissements vers des positions étrangères à la classe ouvrière et, si nous pensons qu'il est de la responsabilité de l'ensemble du camp prolétarien (groupes et individus) de réagir à la dérive opportuniste d'une organisation communiste importante, nous savons aussi que la fraction a pour tâche spécifique d'être à la pointe du combat sur ce terrain. Et nous entendons bien remplir cette tâche.

Cela peut parfois donner l'impression que nous aurions quelque chose comme une fixation vis-à-vis de notre ancienne organisation; que notre combat politique serait entaché de petites rancunes personnelles. Nous pouvons te rassurer sur ce point dans la mesure où les enjeux sont trop importants pour que nous nous laissions aller à le déconsidérer de la sorte.

Nous terminons cette lettre déjà bien trop longue en te remerciant une fois encore pour tes courriers, tes remarques et tes critiques qui sont toujours les bienvenus.

Saluts communistes.

La fraction interne du CCI.


Notes:

1 : Tu nous accorderas que notre critique du CCI, pour intransigeante qu'elle soit, reste sur un terrain strictement politique ; que nous ne nous égarons pas, comme le CCI se plait à le prétendre, à des insultes à des attaques personnelles et basses. C'est aussi notre rôle de fraction.

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