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Réponse au rapport d'activités de la Fraction de la Gauche communiste internationale
(Tendance Communiste Internationaliste)


Camarades,

Merci de partager ce rapport avec nous. Nous supposons qu'il faut le lire comme le bilan d'une expérience dont vous essayez de tirer certaines leçons avant de prendre une nouvelle direction dans votre démarche particulière afin de contribuer à la lutte pour l'émancipation de la classe ouvrière.

Nous avons été en discussion à la fois avec la FGCI et la Fraction Interne du CCI depuis maintenant une dizaine d'années et nous pouvons relever dans ce document des points importants de rapprochement sur plusieurs questions. Nous voudrions en particulier souligner vos visions les plus déterminantes sur le parti et sur le fait qu'il ne surgira pas simplement et spontanément des luttes économiques. Pour vous citer :

« Au cours de ces discussions, a été clairement précisé que nos deux courants historiques partageaient la même position sur le fait que la conscience de classe n'était pas le produit mécanique et immédiat des luttes économiques du prolétariat et que de plus elle ne venait pas de « l'extérieur de la classe ouvrière ».

Nous sommes aussi heureux de lire que :

« Une autre séquelle du passé du CCI, de notre passé, nous est clairement apparue lors des débats avec le BIPR. Tout en continuant à nous revendiquer en particulier de la GCF, nous n'avons pu que constater qu'une grande partie des critiques que « nous » avions émises contre la constitution du PCInt en 1943-45 n'avait pas fondamentalement lieu d'être d'autant que les membres de la Gauche Communiste de France dont est issu le CCI, étaient d'accord pour la nécessité et la formation du parti en Italie à ce moment-là. »

Nous avons apprécié tout ce que vous avez fait à la fois dans la FICCI et la FGCI pour appuyer notre tendance comme un point de référence pour les communistes potentiels. Nous devons reconnaître que vous avez raison d'écrire que :

« Au fil du temps, cette dimension de notre activité est devenue plus centrale. Nous avons essayé de privilégier au maximum notre relation avec le BIPR que nous considérions comme le seul pôle de regroupement restant après la déconfiture politique et organisationnelle du CCI. Ceci s'est traduit par des rencontres, des débats, des clarifications politiques (en particulier sur la question de la conscience de classe, du parti, et sur la constitution du PCInt en 1943), une collaboration politique qui s'est traduite par la tenue de réunions communes à nos deux organisations, de réunions publiques du BIPR soutenues par nous à Paris et par des traductions d'articles de cette même organisation en français et en espagnol. En même temps, et en complément à cette orientation centrale, nous avons systématiquement cherché à répondre aux différents contacts, individus et groupes ou cercles émergeant de par le monde – on peut se référer à plusieurs correspondances que nous avions publiées dans notre bulletin. En particulier, nous avons commencé à développer un travail de discussion et de clarification politique avec les Communistes Internationalistes de Montréal (aujourd'hui les CIK) sur la base des plate-formes politiques du BIPR et du CCI. Après un période d'appartenance – ou pour le moins de collaboration étroite – au groupe canadien GIO adhérant au BIPR et suite à leur séparation d'avec le GIO, les camarades surent s'ouvrir à l'ensemble de la Gauche communiste – CCI, PCInt dit « bordiguiste », nous-mêmes. Notre première tâche fut d'éviter que ces camarades se positionnent « en-contre » vis-à-vis du BIPR après une expérience qu'ils estimaient malheureuse. »

Votre cohérence politique sur cette question a été inébranlable et marquée par plusieurs actes de fraternité personnelle et politique. Personne ne peut douter de l'intégrité et de l’honnêteté avec lesquelles vous avez essayé de mener à bien ce en quoi vous croyez. En fait, nous nous sommes souvent sentis coupables de ne pas être capables de vous répondre plus et mieux. D'une certaine manière, notre relation a été un modèle de comment les communistes ayant des divergences doivent établir des relations les uns avec les autres. Nous pouvons avoir des désaccords mais nous avons suffisamment de respect mutuel pour reconnaître que notre but est le même même si nos stratégies et nos perspectives sont différentes.

Donc nous pouvons être d'accord avec votre conclusion selon laquelle :

“… nous sommes plus que jamais convaincus de la nécessité impérieuse du parti, organe de direction politique du prolétariat, expression la plus haute de la conscience de classe, pour la réussite des confrontations massives entre les classes qui s'annoncent. Sans une minorité d'avant-garde communiste, c'est-à-dire regroupée en parti international et centralisé, le prolétariat court à la défaite historique.”

Mais c'est aussi précisèment cela qui nous ramène au début de nos discussions. Malgré toutes nos tentatives mutuelles pour nous comprendre, nous avons des visions du monde entièrement différentes. Nous ne souhaitons pas engager une discussion ou une critique d'une tierce partie mais votre émergence du CCI et votre insistance selon laquelle vous êtes la « réelle » essence du CCI a été le plus grand obstacle pour arriver à un dépassement de nos divergences.

Ceci est même évident dans les domaines où vous nous avez fait l'honneur de nous appeler le « pôle de regroupement » pour les forces de la Gauche communiste aujourd'hui. Nous pouvons être d'accord que nous avons brandi un drapeau, un point de référence pour les communistes mais notre perspective de comment, et quand cela arrivera est entièrement différente. En premier lieu, vous voyez le concept de « pôle de regroupement » comme un absolu. A l'époque, c'était le CCI, maintenant c'est la TCI (puisque tous les bordiguistes dans leurs « partis » séparés pensent qu'ils sont déjà l'article fini, ils n'ont pas de conception autre que celle selon laquelle le reste du monde doit les rejoindre). Mais nous avons toujours insisté sur le fait que nous ne sommes pas le futur parti international du prolétariat, ni même son seul noyau.

C'est quelque chose que nous ne pensons pas que vous ayez pris en compte car vous restez précisèment dans le vieux cadre du CCI. Nous ne souhaitons pas revenir sur de vieilles polémiques ni faire une analyse profonde de ce qui n'a pas marché avec le « projet CCI » mais nous devons dire quelque chose afin de faire un effort supplémentaire pour démontrer que nous sommes loin de l'idée que vous répétez encore dans votre rapport selon laquelle nous sommes le seul futur noyau du parti prolétarien mondial. Pour que ce soit clair, peut-être faut-il dire en quoi nous avons été différents du CCI depuis le début. Le CCI a été formé d'abord par des jeunes hautement-éduqués dans la perspective que la fin du boom d'après-guerre ménerait rapidement à une crise sérieuse du capitalisme. Pour reprendre les termes du CCI, la contre-révolution était alors terminée et la classe ouvrière étaient en situation de se réaffirmer historiquement. Le cours historique était à la révolution (ou, s'il échouait, à la guerre mais cela était impensable car cela signifiait la fin de l'humanité dans leur vision millénariste). Le lien entre crise et lutte de classe et entre lutte de classe et conscience politique de classe n'était pas aussi spontané que le pensait le CCI. Et vous semblez en être d'accord maintenant si nous relisons la citation déjà reproduite :

« Au cours de ces discussions, a été clairement précisé que nos deux courants historiques partageaient la même position sur le fait que la conscience de classe n'était pas le produit mécanique et immédiat des luttes économiques du prolétariat et que de plus elle ne venait pas de « l'extérieur de la classe ouvrière ».

Quand la vague de grèves qui a salué la fin du boom d'après-guerre (1968-1976) n'a pas réussi à produire une élévation de la conscience politique, la conclusion du CCI a été que c'était dû aux mystifications bourgeoises et toutes leurs analyses se consacrèrent aux machinations (ou Machiavélisme) de la bourgeoisie. Et le CCI a persisté avec l'idée qu'il était le pôle de regroupement (on disait à la CWO que le PCint était bordiguiste et « sclérosé » et donc qu'il ne fallait même pas discuter avec lui). Cette attitude quasi-religieuse et cette hypothèse selon laquelle chacun n'aurait qu'à simplement reconnaître la nouvelle vertu du CCI a aidé à la destruction des Conférences internationales même si le CCI ne l'admettra jamais. Nous ne rentrerons pas dans toutes les scissions qu'a connues le CCI qui ont suivi, mais la première (autour de l'affaire Chénier) était vraiment sur le manque d'orientation du CCI envers la véritable lutte de classe et non celle qu'ils ont imaginée. La notion « d'années de vérité » a été inventée afin de maintenir la fiction que le « cours historique » était à de grandes confrontations de classe. Au lieu de cela, nous étions dans une situation entièrement nouvelle où l’État capitaliste gérait la crise et réussissait à maintenir et continue encore à maintenir le système capitaliste malgré les manifestations clairement horribles de toutes ses contradictions, situation qui a ouvert la voie au démantèlement de la stabilité d'après-guerre, à la globalisation et au supposé marché « libre » adoré par les néo-libéraux. Ce que vous appelez les dérives opportunistes du CCI découlent du même besoin de répondre à la faillite de ses perspectives. Que fait une organisation qui proclame être le pôle de regroupement face à un tel défi ? Elle aurait pu revoir ses perspectives et dire que le « cours de l'histoire » allait prendre un temps plus long pour réussir ou elle pouvait inventer un autre dogme idéologique ( et c'est ce qu'elle a fait avec la « décomposition »). Ce fut pour vous un signe d'opportunisme mais en fait c'était en continuité directe avec ce qui a été dit auparavant sur le « cours historique ». Ce que nous essayons d'expliquer, c'est que les racines de la crise qui ont mené à votre expulsion du CCI étaient présentes depuis le début.

Voilà pourquoi nous avons insisté sur le fait que nos deux approches sur la question de l'émergence de l'organisation politique internationale de la classe ouvrière étaient différentes. Pour le vieux CCI, la question était d'établir un pôle de regroupement centralisé auto-proclamé auquel chacun devait adhérer aujourd'hui comme le noyau du futur parti international centralisé. Le CCI considère maintenant que c'était une erreur de se référer à lui-même comme « le pôle de regroupement » mais vous vous accrochez encore à la notion (à la différence que c'est maintenant la TCI qui remplit ce rôle) ou comme vous l'exposez :

« … nous restons convaincus que toute organisation communiste, aussi petite soit-elle, doit se considérer et agir comme un groupe international centralisé, avec une même plate-forme politique en particulier, quelle que soit sa configuration et sa présence géographique »

Comme vous le savez très bien, nous n'avons jamais partagé cette manière de voir le problème même si nous sommes d'accord sur le but final. Depuis le début, nous avons toujours estimé que la lutte de classe mettrait plus de temps à arriver à un niveau de conscience globale pour la formation de la future Internationale. Sur son chemin, la classe ouvrière mondiale devra passer par davantage d'expériences bien qu'elle ait une histoire déjà si riche, expériences que nous pouvons espérer mais que nous ne pouvons prédire avec certitude. Voilà pourquoi nous avons toujours dit que nous n'étions pas le seul noyau de la future Internationale révolutionnaire même si nous espérons jouer un rôle significatif dans son établissement. De même, il vaut mieux qu'émergent de réelles organisations au sein de la classe ouvrière dans chaque pays où elles sont présentes plutôt que d'établir des succursales de trois ou quatre camarades qui viennent juste de tomber d'accord avec notre plate-forme. En fait, nous pouvons dire qu'une centralisation prématurée peut être une barrière pour l'émergence de nouvelles forces dans chaque aire géographique. Ce qui tient la TCI regroupée n'est pas un système artificiel de discipline mais une reconnaissance que la classe ouvrière de chaque territoire est confrontée à des problèmes légèrement différents (essentiellement pour des raisons historiques) et que chaque groupe local affilié doit y répondre par lui-même. Nous n'avons pas besoin de décréter une « culture du débat » car c'est ce qui nous a maintenu unis pendant plus de 20 ans. Cela ne simplifie pas ni ne résout les problèmes politiques dans la mesure où c'est plutôt une manifestation de la situation réelle de dispersion et de confusion au sein de la classe ouvrière. En fait, il est possible que lorsque nous parlons de l'Internationale prolétarienne centralisée du futur, nous parlions de quelque chose de centralisé seulement autour d'un programme politique commun mais qui laisse aux activistes locaux le soin de choisir comment le programme sera porté sur le terrain (un scénario pas si éloigné de la réalité du bolchevisme quand il était une véritable tendance révolutionnaire au sein de la classe ouvrière).

Nous ne sommes pas très clairs sur ce que vous entendez lorsque vous dîtes que votre but est de proposer « à ceux qui nous sont les plus proches, notamment les CIK, d'engager un processus de constitution d'une nouvelle organisation » mais nous espérons que cette étape développera le dialogue entre nous tous. Sur cette question, nous ne serions pas trop dédaigneux vis-à-vis des groupes que vous caractérisez comme conseillistes (certains, oui, le sont mais d'autres non). La plupart des camarades qui sont issus du CCI et selon la documentation que vous-mêmes avez largement fournie sur votre site web, on comprend pourquoi ceux qui ont été grillés par cette expérience [comme les camarades de Controverses] peuvent souhaiter renoncer à ce qu'ils croient être la trajectoire « normale » d'organisations déjà sur-centralisées. Ils ont aujourd'hui un projet complètement différent mais ils sont ouverts et honnêtes (comme vous-mêmes) et nous pouvons ainsi avoir un dialogue réel même si nous finissons par reconnaître nos divergences et nos objectifs comme différents. Mais nous sommes du même côté et luttons pour le même but. Un tel débat n'est pas une perte de temps mais, comme vous le savez très bien, est une partie de l'inévitable processus de clarification des minorités prolétariennes internationales face à l'imprévisible et inéluctable marche de l'histoire.

En attendant, ce serait un grand pas en avant si vous pouviez participer à la formation d'une organisation internationaliste basée sur des communistes français qui pourrait agir comme un véritable noyau orienté, non seulement vers le débat avec les internationalistes du monde, mais aussi vers la classe ouvrière avec laquelle vous êtes directement en contact.

Salutations internationalistes,

J. pour le Bureau international de la TCI.

Le 10 janvier 2013


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