Home | Bulletin Communiste FICCI 35 | 

Marx au rédacteur de l'"Eastern Post"
[Aux environs du 27 janvier 1872]

Dans son immortel poème, Dante dit que pour un proscrit l'une des tortures les plus cruelles est d'avoir à côtoyer des gens de toutes sortes. J'ai profondément ressenti la justesse de cette plainte lorsque je me suis vu contraint pendant un temps d'entamer une polémique publique avec des gens comme Monsieur Charles Bradlaugh et Cie. Je ne lui permettrai pas néanmoins plus longtemps d'utiliser cette querelle, dont il m'attribue la responsabilité, pour faire à peu de frais sa propre publicité à l'étranger.

Il a publié contre moi une accusation qui, s'il l'avait portée en Allemagne, l'eut couvert de ridicule aux yeux de tous les partis. Là-dessus, je l'ai mis au défi d'apporter publiquement des preuves qui pourraient lui donner le moindre prétexte pour des calomnies aussi ridicules qu'infâmes. Je l'ai fait non pour me justifier mais pour le démasquer. Avec la rouerie d'un clerc de notaire, il tente de se soustraire à cette obligation en m'incitant à me soumettre à un "jury d'honneur".

Croit-il vraiment qu'il suffise qu'un Bradlaugh ou que les rédacteurs de la presse du demi-monde parisien ou que la presse bismarkienne à Berlin ou que le Tagespress de Vienne ou que le Criminal-Zeitung de New York ou encore la Moscow-Gazette me calomnient pour que je me sente obligé de justifier, voire de comparaître devant un "jury d'honneur" dont les membres seront aussi les amis de ces "honorables" messieurs ?

J'en ai fini avec Monsieur Charles Bradlaugh et je le laisse jouir du réconfort que lui apporte la paisible contemplation de lui-même.

Sincèrement vôtre.

Karl Marx.


Home | Bulletin Communiste FICCI 35 |